Un décès dans la famille - France Catholique
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Un décès dans la famille

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La mort d’un oncle m’a ramené cette semaine au Connecticut où j’ai grandi. Je ne sais pourquoi, le poème de George Orwell, C’est ainsi qu’étaient les joies me revient dans ces occasions :

« En revoyant une scène de notre enfance, on sent invariablement: comme tout est devenu petit, et comme on s’est soi-même terriblement détérioré ! »

Ce n’était pas une image tout-à-fait juste (« invariablement » ?) surtout pour un homme qui choisissait ses mots avec soin. Mais il y a du vrai dans ce qu’il dit.

Les lieux physiques semblent plus petits que quand vous étiez enfant : le champ paraissait une forêt, l’église était grandiose comme Chartres. En tant qu’adulte, vous les parcourez sans réfléchir et vous les voyez par rapport à une expérience beaucoup plus récente. Mais par une étrange ironie de notre jeune vingt-et-unième siècle, à certains égards, Orwell a fait fausse route.

Le monde que je revois seulement à l’occasion maintenant était beaucoup plus grand que le mien, et il l’est toujours. Une grande partie de ma compréhension d’une Eglise universelle comme le catholicisme et de mon attachement à elle, et à un bon sens simplement humain émane des gens qui m’ont entouré dans ma jeunesse, des gens comme les personnages des Evangiles qui savaient et dont la plupart savent encore travailler de leurs mains et être tranquillement et concrètement productifs. Je me place à des kilomètres en-dessous d’eux — « détérioration » est le mot correct — sous ce rapport.

A la mi-été, je ressens un sentiment archaïque de diminution qui vient simplement du fait que les arbres qui entourent ma maison bloquent le soleil et ne me permettent même pas de faire pousser des tomates. Croyez-moi, j’ai essayé et même espéré vivre selon la ligne du prophète Michée (4:4) qui m’a aussi fasciné très tôt d’une certaine façon :

« Mais ils feront asseoir chaque homme sous sa vigne et sous son figuier, et nul ne les effrayera. »

Les anciens ont facilement réussi tout cela, et beaucoup d’autres choses encore. (Ne vous y trompez pas : ils écoutaient aussi de la musique et lisaient des livres, surtout au sujet des événements historiques qui les touchaient). Mes raisins n’ont jamais prospéré. J’ai déplacé un figuier dans un grand pot pendant près de dix ans et forcé une petite douzaine de figues à venir chaque année, avant qu’il ne meure.

Comment pouvez-vous comprendre ces paraboles sur les semeurs, les différentes profondeurs de terrain, le blé et l’ivraie et beaucoup d’autres choses si vous n’avez pas une vraie expérience de notre dépendance des fruits de la terre — et finalement du Créateur de cette terre ?

Maintenant nous parlons tous énormément du système capitaliste, de la technologie agricole, des réseaux de transport, etc. dont nous nous servons. Ce sont toutes de bonnes choses dont nous pouvons être reconnaissants, mais dans un sens intermédiaire et secondaire, non d’une façon principale et primordiale. Cela fait une grande différence que vous pensiez que la nourriture vient d’un système quelconque plutôt que du sol, et de Dieu.

La génération qui savait cela dans ses os arrive à sa fin. La mienne, plus hésitante, est en train de disparaître, et les nouvelles générations seront encore bien différentes. Il vous faut une très forte imagination pour vous remettre dans cette relation avec la terre et la manière dont elle donne une compréhension vraiment humaine et éclaire les Evangiles.

Il est difficile de dire ce qui arrivera quand presque personne n’aura plus ce sens de la vie.

La grande génération qui s’en va maintenant avait aussi une réelle sobriété – dans divers domaines. (Ils connaissaient l’importance des boissons catholiques aux moments et aux doses convenables.) Mon oncle était à la fois un homme responsable et hautement charismatique. Quand je me suis marié dans l’église même où ses funérailles ont eu lieu la semaine dernière, le prêtre qui officiait m’appelait tout le temps par son nom — même après que je me suis penché et ai essayé de le détromper.

On pouvait encore constater l’étendue de sa grande personnalité par les centaines de gens en dehors de la famille qui le connaissaient localement et qui sont venus à son enterrement — je ne les connaissais absolument pas.

C’étaient pour la plupart ceux qui avaient construit le pays pendant la dernière moitié du siècle. Des gens solides qui s’occupaient de leurs affaires et allaient à la Messe le dimanche. Un grand nombre d’entre eux travaillait chez Sikorsky Aircraft dans ma ville, où mon oncle travaillait aussi, et ils avaient tout conçu depuis les lourdes et hautes grues jusqu’aux hélicoptères présidentiels.

Mon oncle avait une lourde responsabilité. Il certifiait que les vaisseaux étaient capables de voler. Bien qu’il n’ait qu’une éducation secondaire, de l’Armée de l’air il a fait son chemin lentement par le rang au point d’inventer (je l’ai entendu dire) les tests pour les pales d’hélicoptères.

En même temps, il était assez modeste pour me demander de l’aider quand il prenait des cours de mathématiques requis par la compagnie et que je suivais des cours de math avancés au lycée.

Cela sonne bien de certifier que les vaisseaux sont capables de voler, et c’était bien. Les gens vous connaissaient personnellement et savaient que vous pouviez assumer cette responsabilité. Et ils savaient aussi que quand l’un d’entre eux tombait, vous essayiez de trouver pourquoi sans grommeler et en espérant apprendre quelque chose afin de faire mieux.

Il est typique, je suppose, de déplorer aussi la disparition des vertus de vos parents alors que leur génération s’en va. Mais quelque chose disparaît vraiment en Amérique. Téléphones portables, tablettes, ordinateurs sont des gadgets commodes, mais ils n’appartiennent pas à la même catégorie que les choses qui ont fait la puissance de l’Amérique — y compris la force tranquille de ceux qui les ont construites.

Le pape François, en allant à Rio, a parlé d’une génération qui grandit en ce moment et qui pourrait ne jamais avoir l’expérience d’un travail régulier, surtout dans les années de jeune adulte où le caractère se forme vraiment pour le reste de la vie.

Il y a tant de trous dans notre tissu social en ce moment — en plus du chômage important, de l’insécurité économique, des troubles internationaux et du chaos moral – qu’il est difficile de savoir même où commencer. Mais au moins ceux qui se souviennent d’un monde plus riche et plus grand peuvent en parler.

Je pense aux derniers vers du Roi Lear :

« Il nous faut subir le fardeau de cette triste époque,

Dire ce que nous sentons, non ce que nous devrions dire.

Les plus vieux ont le plus souffert, nous qui sommes jeunes,

Nous ne verrons jamais tant de choses, nous ne vivrons pas si longtemps. »

(Traduction de François Victor-Hugo)

Source : http://www.thecatholicthing.org/columns/2013/a-death-in-the-family.html