Cette voix de petite fille - France Catholique
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La chasteté : apprendre à aimer
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Cette voix de petite fille

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Laissez-moi l’appeler « le père Ratzinger du Vatican ». Je sais bien que son titre officiel est « pape émérite », mais cela va prendre du temps avant que je ne m’y fasse. Dans la période qui a suivi l’annonce de son renoncement (ma première réaction a été horrifiée), quand j’ai trouvé le temps, j’ai relu ses écrits.

Quoique je n’ai pas d’expérience en la matière, je jurerais que « le rottweiler de Dieu » auquel s’attendaient les progressistes est à classer parmi les papes les plus doux. Ce qui ne veut pas dire qu’il manquait de courage ou de ténacité. Je me réfère à une qualité qui transparaît dans ses écrits et que je suis seulement en mesure d’apprécier à l’heure actuelle, quand je me penche sur son pontificat, quand je m’y plonge même.

C’est une évidence. Bien qu’il ait été très disposé à catéchiser, le père Ratzinger devenu pape était réticent à rédiger des encycliques. Lui qui a renoncé à un trône qu’il n’avait jamais brigué, déférait d’instinct à ses prédécesseurs, comme s’il n’était qu’un simple ouvrier dans la vigne.
J’ai récemment mentionné ailleurs ses entretiens du mercredi, lors desquels, depuis quelques années, il présentait quelque chose comme une autobiographie de l’Eglise écrite par l’Esprit Saint à travers les vies et réflexions des saints. Une érudition phénoménale soutenant de brèves et simples références aux premiers apôtres, aux Pères et Docteurs de l’Eglise, aux saints et saintes qui ont parsemés les siècles. Ils sont l’histoire interne de l’Eglise, transcendant les événements extérieurs.

Le vieux pédagogue, aussi à l’aise parmi les séminaristes et ses confrères prêtres que dans les salles, couloirs ou cafétaria de ce moderne équivalent du Lycée d’Aristote, était autant l’opposé d’un Rottweiler qu’un professeur puisse l’être, sans être pour autant un caniche non plus. (Quoiqu’il ne faille pas sous-estimer les caniches : les forces spéciales françaises sont connues pour en faire usage.)

Le père Ratzinger que nous conserverons – aussi longtemps que dureront ses livres — correspond tout à fait à son ton doux, à son sourire dans lequel j’étais loin d’être le premier à détecter quelque chose de béatifique. Bien que très organisé, dans la plus pure tradition germanique, il n’est pas tant un conférencier qu’un tuteur et un ami. Son style est adapté au lecteur solitaire, il lui témoigne un grand respect.

Parfois, il semble être à la fois moins et plus qu’un prêtre. Son livre sur L’esprit de la liturgie est remarquable par sa façon de considérer le sujet à la fois de l’intérieur et de l’extérieur, avec un « esthéticisme » respectueux ( mot allemand malheureux pour exprimer l’appréhension de la beauté). La liturgie est considérée comme bien plus qu’une simple controverse : il l’utilise pour nous enseigner, à nous catholiques désorientés, comment prier, comment nous tenir et nous agenouiller devant l’autel, spirituellement parlant.

Comment en effet nous libérer de nos propres volontés, de notre désir propre que nous voulons imposer à Dieu, alourdissant ainsi le lumineux fardeau qu’Il nous apporte. Il faut laisser l’Hôte parler, la Splendeur se révêler à nous : « L’Eglise dans son ensemble doit, pour l’amour de Dieu, s’efforcer au meilleur car de la nature même de la liturgie, par une nécessité spirituelle, naît une culture qui devient une référence pour la culture séculière. »

Il nous parlait personnellement à chacun, ou pour mieux dire en tête à tête avec chacun d’entre nous, d’une Eglise et d’une doctrine indubitablement publics, de nos jours comme dans la Rome païenne. Le Père Ratzinger n’a pas eu plus de doutes comme pape qu’il n’en avait eu auparavant sur la certitude que l’Eglise Catholique devait s’adresser à tous les hommes et pas seulement aux catholiques. Il a agi en ce sens, et ses rencontres avec l’élite intellectuelle ou politique de notre époque n’étaient pas contraintes mais naturelles.

Et là je pense à son recueil exaltant L’Eglise, l’œcuménisme et la politique, auquel je reviens avec une compréhension renouvelée par les circonstances actuelles et avec la conscience accrue de combien cet homme a amélioré mon propre discernement politique avant même que je devienne catholique.
Pour une part, il y avait son don de distinguer l’important de l’accessoire. Il y a plusieurs façons d’arriver au but, et nous devrions être attentifs à quelle voie est ouverte plutôt qu’être obsédés par les obstacles parsemant la route qui a notre préférence. Mais plus fondamentalement encore, le père Ratzinger écrit de grandes choses en partant de petites.

L’un des meilleurs exemples est son discours La conscience en son temps prononcé devant la société Reinhold Schneider il y a quarante ans. Qu’il ait choisi de parler d’un romancier et poète — gravement sous-estimé d’ailleurs — est le premier point à noter. (Schneider n’a survécu à Hitler que parce que son procès a été reporté au-delà de la fin du régime et que les nazis ont été trop stupides pour réaliser avant qu’il ne soit trop tard quelle terrible menace il représentait pour eux.)

A travers Schneider, le père Ratzinger met le doigt sur le conflit politique représentatif de l’ère moderne, pour les chrétiens comme pour tout un chacun. C’est le conflit entre le totalitarisme sous toutes ses formes (y compris la démocratie) et la conscience. Cela est mis en lumière dans le roman de Schneider sur Bartolomé de las Casas, le Dominicain à qui le premier l’Eglise a décerné le titre de « protecteur des indiens » dans le Nouveau Monde, au XVIe siècle.

Dans ce roman, trouve place une rencontre entre une frêle et pauvre indigène de la tribu des Lucayos et l’un des conquistadors les plus impitoyables. Elle n’est rien. Tout ce qu’elle peut faire, c’est souffrir. Et par sa souffrance, elle régénère l’âme déchue du conquistador.

Et le père Ratzinger de demander : « N’est-il pas fou de compter sur la conscience de cette petite fille, quand nous voyons ce qui a réellement de l’importance aux yeux du monde et les seules choses qui comptent vraiment ?… Que sommes-nous supposé faire, laisser la poésie diriger la politique pour résoudre les problèmes de notre temps ? »

Et il laisse cette question donner la réponse. Le pouvoir du Christ s’est déployé dans sa souffrance impuissante, et pareillement le pouvoir de l’Eglise, quand elle a réellement du pouvoir, et pareillement le pouvoir de tout homme. C’est cela qui prévaudra.

Source : http://www.thecatholicthing.org/columns/2013/that-little-girl-voice.html

Photo : Reinhold Schneider