Le grand jeu commence - France Catholique
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Pontificat de François - numéro spécial
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Le grand jeu commence

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Donc, nous avons enfin une date pour le début du conclave. Étant donné le choix entre les lundi, mardi et mercredi de la semaine prochaine, les cardinaux réunis ont choisi d’être modérés et de prendre la date du milieu. Je ne me vante pas quand je dis que j’avais prévu ce moyen terme — ce dont mes collègues de la presse, ici à Rome, conviendront. Il s’agissait simplement d’une extrapolation logique : il semble y avoir un air de prudence et de modération dans tous les événements à ce jour. Donc, à bien des égards, ce dernier résultat est la moindre surprise.

Il y a encore beaucoup de temps entre maintenant (vendredi soir, au moment où j’écris) et cette date. Trois jours entiers pour continuer à apprendre à se connaître. Cela laisse le temps de prendre la mesure de ce que pourrait être le prochain successeur de Pierre. Celui-ci sera sans doute l’une des quelques personnalités marquantes dont on parle déjà. Il ne semble pas y avoir un candidat-surprise qui émerge. Toutefois la presse italienne, y compris certains vaticanistes expérimentés, semblent donner au cardinal Dolan, archevêque de New York une chance beaucoup plus forte que ce qui semble réaliste.

Dolan a plusieurs faiblesses en tant que candidat. Il ne parle vraiment que l’anglais. Or, par défaut, l’italien est la lingua franca au Vatican. Cette lacune à elle seule le gênerait pour mener à bien la réforme administrative ainsi que la mise au pas de la Curie que tout le monde attend du prochain pape.

C’est évidemment un homme charmant et de grand cœur, mais je ne suis moi-même pas tout à fait sûr que le rassemblement mondial des cardinaux soit prêt pour tant de charme et un si grand cœur. En outre, sa façon toute personnelle de s’exprimer (son shtick dirait-on en langage populaire américain), est plus adaptée à Manhattan et à ses banlieues qu’à l’Urbs romaine, sans parler des conversations in partibus infidelium, pour utiliser l’expression canonique habituelle. 1

Si vous vouliez risquer une hypothèse à ce stade, vous voudriez tenir compte de ces trois desiderata : réformateur, pasteur, et quelqu’un qui annonce clairement la foi. Pendant le prochain pontificat, nous n’allons probablement pas voir une suite d’encycliques à portée sociale ou de nouvelles évolutions de la doctrine. Ce dont nous semblons avoir besoin à proche ou moyen terme ce sont des efforts pour faire du riche enseignement des deux derniers pontificats une réalité vivante dans l’Eglise partout dans le monde.

Maintenant, permettez-moi de formuler une hypothèse — peut-être seulement un fantasme né ce soir de ce que je viens d’écrire et que je peux être amené à réviser dans les jours à venir. En prenant en compte tous ces éléments, on ne peut pas trouver mieux comme candidat que le cardinal canadien Marc Ouellet. Bien sûr, si vous y réfléchissez bien, il a mieux que ce nom, Ouellet, impossible à prononcer (ou-é-let semble être la version de compromis pour l’instant entre les Canadiens et les Français), mais vous allez vous y habituer, ne vous en faites pas.

Ouellet est un grand réformateur. Quand il était archevêque de Québec, en dépit de la sécularisation quasi totale de la province autrefois si fortement catholique, il n’a pas hésité à mettre en place des évêques orthodoxes et courageux. Donc, il a prouvé qu’il peut être un réformateur énergique, même contre de forts vents contraires.

En tant que Canadien, de toute évidence il comprend l’Amérique du Nord mieux que la plupart des Européens. Mais il a passé des années à enseigner en Colombie et a donc beaucoup d’expérience de l’Amérique latine. De plus, il a vu la Curie de l’intérieur. Il dirige la Congrégation pour les Evêques — et si vous avez eu une bonne nomination épiscopale ces derniers temps dans votre diocèse, c’est probablement à lui que vous le devez. Il préside aussi la Commission pontificale pour l’Amérique latine. Il a ainsi été proche du cœur du pouvoir de la Curie, mais — et ceci est très important – pas trop proche.
Il est également dans la ligne théologique / philosophique de Joseph Ratzinger (avec Scola, Schonborn, et un outsider, Gerhard Mueller, un archevêque allemand, préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi mais pas cardinal).

Etre issu de la Curie, et même de la périphérie de la Curie, n’est pas sans risque pour un futur pape. Un de nos amis ayant une grande connaissance de l’Eglise et de la politique, me confiait aujourd’hui même à propos de cette situation, que choisir un pape parmi les membres de la Curie, c’était un peu comme mettre la main dans un sac contenant six serpents et une anguille, en espérant attraper l’anguille.

La même personne me disait que ce n’est pas la franc-maçonnerie à l’intérieur du Vatican ou le « lobby gay » – qui tous deux existent – qui sont le vrai problème. Le prochain scandale pourrait provenir de la corruption financière et de la séduction du pouvoir.
Je lui ai demandé si, parmi ces dangereux courants, il y avait un lobby catholique à l’intérieur du Vatican. Nous le saurons bientôt.

  1. Note de la traductrice : Robert Royal a fait de l’humour en accolant « to employ a technical theological term » à « shtick » et au contraire en qualifiant de « popular expression » la formule latine « in partibus infidelium » utilisée par l’Eglise catholique pour parler des terres peuplées d’infidèles. Ce n’est pas facile à rendre pour des lecteurs français.