Le Frère Pierre-Marie Delfieux, fondateur des Fraternités de Jérusalem — mouvement de renouveau particulièrement vivant, centré à l’église Saint-Gervais/Saint-Protais à Paris avec des antennes en expansion en Europe et au Canada — nous a quittés, et a été inhumé pratiquement sans couverture médiatique. La messe célébrée à Notre-Dame à Paris a rassemblé une foule immense, avec de nombreux jeunes collégiens et lycéens. Des centaines de prêtres, et une douzaine d’évêques participèrent à une magnifique et émouvante célébration — un aspect attachant typique de la Fraternité.
Je n’ai entendu parler de cet événement que grâce à un ami qui, m’ayant fait connaître Saint-Gervais voici quelques années, a pensé avec raison que j’apprécierais l’information. Dans le tohu-bohu déclenché par la renonciation du Pape et les spéculations sur son successeur, il ne fallait sans doute pas s’attendre à ce que la presse ait encore une goutte d’énergie à consacrer à une information catholique de tout autre nature — et cependant importante en Europe, et, mieux, dans la France laïque. Et puis, ce n’est pas dans le droit fil des commentaires soigneusement entretenus sur la crise profonde de l’Église.
Emblématique de notre époque est l’oubli de ce qui marche bien, très bien, comme beaucoup de choses au sein de notre Église Catholique, alors que nombre de gens, y-compris beaucoup de catholiques, ne s’intéressent qu’à ce qui va de travers. Le scandale est le meilleur marchand de journaux, il en sera toujours ainsi, naturellement. Et pourtant, il y a bien des événements méritant notre attention si on veut une vraie photo du Catholicisme en cet instant de l’histoire de l’Église.
On dirait une version catholique du blocage budgétaire [NDT: incapable de parvenir à un compromis avec le Congrès, le président Obama se heurte à une restriction incontournable des dépenses de l’État fédéral.], malgré tout ce qui se raconte, crise d’un bras de fer apocalyptique et panne des institutions, la vie continue — plutôt bien, avec parfois des surprises agréables. Et de toutes façons, comme l’écrivit un jour Ezra Pound, «une institution qui a survécu aux frasques des Borgia est dotée d’une certaine résilience héréditaire.
Il est bon de garder cela présent à l’esprit à l’approche du conclave. (Je m’envole ce lundi 4 pour Rome, EWTN [chaîne mondiale de télévision catholique] m’a demandé de participer aux émissions en direct débutant jeudi 7 mars au soir pour suivre les travaux des cardinaux. Je rédigerai chaque jour un bref commentaire qui sera publié sur cette page.) Car nous aurons besoin de suivre attentivement et calmement les événements et l’élection papale.
Un bon paquet de spéculations insensées a récemment fait surface, allant de la nécessaire réforme de la Curie à un indispensable pape-gestionnaire et autres contraintes incontournables. De plus, ce super-bureaucrate devra être super-charismatique — et pastoral — et avoir une masse de qualités qu’on a peine à imaginer rassemblées en un seul être humain. La liste des desiderata serait bien anodine si elle n’exposait le prochain pape à l’échec devant l’impossibilité de réaliser toutes ces espérances irréalisables.
Le choix d’un pape est important. Comme un président des États-Unis un pape exerce un immense pouvoir sur un immense peuple, un troupeau à peu près aussi nombreux que la population de la Chine, et réparti dans le monde entier. Mais tout comme pour un président, il y a des limites qu’un homme seul, même entouré d’autres hommes exceptionnels, ne peut franchir. Et au-delà des simples limites humaines, savons-nous vraiment ce qui pourra redonner de l’élan au catholicisme et nous aider à relever les nombreux défis déjà lancés ? La plupart des suggestions qu’on entend sont bonnes en tant que telles. Mais elles ne sont guère qu’une reformulation améliorée de ce qui a déjà été tenté. Souhaitable, mais insuffisant.
Même la « Nouvelle Évangélisation » — mot-programme émis par le Vatican pour lancer de nouveaux efforts de re-conversion de nations historiquement chrétiennes essentiellement en Europe, d’un coup d’éperon missionnaire si besoin — semble s’engager sur les mêmes vieilles voies, tout en essayant d’employer des techniques modernes. Il n’y a là rien de mal, mais c’est, semble-t-il, bien peu pour maîtriser la réalité récalcitrante.
On ne peut s’empêcher de croire qu’il faudrait du neuf, pas encore imaginé à présent. Un élan vers la sainteté — et une formation de base relancée, pour sûr — reformulé et amorcé d’une façon qu’on n’a pas encore aperçue. Le Cardinal Wuerl mettait le doigt dessus l’autre jour en déclarant que l’Église ne peut continuer comme d’habitude. Mais, avec sagesse, il s’est abstenu de donner, au-delà d’indications générales, de nouvelles pistes de comportement. Les méthodes anciennes appliquées au cours des dernières décennies sous deux pontifes de grande sagesse ont été plutôt décevantes, c’est le moins qu’on en puisse dire.
L’Église commet aussi une erreur en essayant trop vigoureusement d’entrer dans le monde. Karl Barth, le plus grand théologien protestant du vingtième siècle, relevait à l’issue du Concile Vatican II (il y était invité mais, malade, ne put y assister) : « Est-on bien certain que le dialogue avec le monde doive passer avant la proclamation vers le monde ? » C’est une invitation à adopter une posture prophétique, pas une pacifique campagne de marketing. Le programme de Vatican II d’engagement social des catholiques, « Gaudium et Spes » en particulier, a frappé Barth comme non seulement exagérément optimiste mais un peu à côté de la plaque quant à la compréhension du monde selon le Nouveau Testament. Il rappelle qu’au cours des siècles le Christianisme s’est souvent heurté au « monde ».
Il nous faudra réfléchir à tout cela, et à bien d’autres vérités qui nous interpellent au cours des jours et semaines à venir. Mais, comme Pierre-Marie Delfieux et la Fraternité qu’il a fondée nous le montrent, il existe des réponses, de bonnes réponses, aux défis qui nous sont lancés. Elles peuvent venir d’un grand pape réformateur, tel Grégoire VII, ou, peut-être — comme à Cluny et Clairvaux par la fondation d’ordres, comme les franciscains, les dominicains, les jésuites — jaillir d’élans spirituels que nul ne saurait anticiper — jusqu’à leur venue.
Ça s’est déjà produit dans le passé, et ça se produira certainement à l’avenir. Oremus, prions.
Source : http://www.thecatholicthing.org/columns/2013/peace-catholicisms-not-in-total-crisis.html