Telle est la question qui est posée avec le projet de loi permettant le mariage de deux personnes du même sexe, avec, comme conséquence logique, l’adoption des enfants et, dans ce cadre, de façon à peine dissimulée, la perspective de l’assistance médicale à la procréation (AMP) pour les femmes et, à terme, au nom de l’égalité, celle de la gestation pour autrui (GPA) au profit des hommes, qui n’est même pas actuellement permise pour le couple marié d’un homme et d’une femme.
Ce qui est véritablement en cause n’est pas, comme on le prétend, la recherche d’avantages plus ou moins égalitaires pour les couples d’homosexuels par rapport aux couples mariés ; si on veut accorder aux unions homosexuelles une stabilité des avantages patrimoniaux au-delà de ceux du PACS, rien n’empêche de le faire et cela n’impose nullement de modifier le mariage. On voudrait aussi permettre à deux homosexuels d’élever un enfant qu’ils ne peuvent concevoir eux-mêmes puisque leur union est intrinsèquement inféconde ; il faudrait recourir à une adoption, bien difficile à justifier dans l’intérêt de l’enfant alors que tant de couples mariés sont en attente d’adoption. Quant à concevoir un enfant par AMP au profit d’un couple de femmes ou par GPA pour un couple d’hommes, qui ne voit que ce sont des artifices de nature à détruire, avec l’environnement équilibré d’une famille, la notion même de filiation, sans égard pour les enfants enrôlés de force dans un tel cataclysme moral et social ? Tout au plus pourrait-on raisonnablement admettre des décisions spécifiques, un enfant orphelin pouvant être, par exemple, adopté par un oncle affectivement proche, fût-il homosexuel.
Il y a, en fait, une volonté de transformer radicalement l’institution du mariage avec, comme prétexte, le désir d’apporter un statut contractuel à une fraction de la population de l’ordre de 5 %, dont certains ne le demandent même pas, alors que, pour les autres, on peut facilement l’obtenir autrement dans les limites du bien commun et du respect de l’enfance.
A-t-on vraiment confié le pouvoir au Président de la République, au gouvernement et au Parlement pour qu’ils détournent la notion même de mariage avec un pareil motif ?
Un excellent petit livre vient de paraître, qui traite des aspects juridiques de la question1 1. C’est sous l’angle juridique également que nous voudrions apporter un éclairage particulier tant la situation dans laquelle nous sommes paraît surréaliste et abusive.
Il y a en France une hiérarchie dans les règles de droit. Au-dessus des lois ordinaires, il y a la Constitution, qui traite de l’organisation des pouvoirs publics et qui ne peut être modifiée que par une procédure exigeante et spéciale qui peut revêtir diverses formes, la révision constitutionnelle. Les lois ordinaires doivent, en principe, être conformes à la Constitution et une instance juridique supérieure, le Conseil Constitutionnel, a pour mission, suivant plusieurs modalités possibles de saisine, de veiller au respect de la Constitution. Cependant, la notion de règle constitutionnelle dépasse de beaucoup l’organisation des pouvoirs publics. Deux textes auxquels le préambule fait référence ont valeur constitutionnelle avec les mêmes garanties : la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 et le préambule de la Constitution de 1946 ; il s’y ajoute la Charte pour l’environnement de 2004 qui a aussi valeur constitutionnelle avec les mêmes garanties. De plus, le Conseil Constitutionnel a développé une analyse en définissant progressivement des « principes fondamentaux reconnus par les lois de la République » qui ont valeur constitutionnelle, tels que les droits de la défense, la liberté individuelle, la liberté d’enseignement et la liberté de conscience, notamment. Pour certains d’entre eux au moins le bon sens les estime tellement fondamentaux qu’on n’imagine guère qu’une révision constitutionnelle puisse gravement y porter atteinte.
Si une loi instituant le mariage pour des personnes de même sexe est votée, il est très probable qu’elle sera aussitôt soumise au contrôle du Conseil constitutionnel avant promulgation.
Elle pourrait être mise en cause de plusieurs façons, notamment par référence aux articles 1 et 2 et aussi de l’article 5 de la Charte de l’environnement, en considération de l’environnement familial qui pourrait être imposé à un enfant.
Article 1er : Chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé.
Article 2 : Toute personne a le devoir de prendre part à la préservation et à l’amélioration de l’environnement.
Article 5 : Lorsque la réalisation d’un dommage, bien qu’incertaine en l’état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l’environnement, les autorités publiques veillent, par application du principe de précaution et dans leurs domaines d’attributions, à la mise en œuvre de procédures d’évaluation des risques et à l’adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage.
Cet article 5, compte tenu des effets mal analysés à ce jour de l’éducation imposée à un enfant par deux homosexuels, pourrait amener à l’obligation d’une évaluation préalable.
D’autres mises en cause pourraient être faites, au titre, notamment, du respect des engagements internationaux (Convention des droits de l’enfant de 1989).
Enfin, le fait de changer radicalement le sens du mot « mariage » paraît pouvoir être retenu comme une atteinte à la liberté individuelle qui est un des «principes fondamentaux reconnus par la loi de la République» par la perturbation qu’il introduit dans la langue et les usages sociaux. Par comparaison, supposons que la loi impose d’appeler «femme» un homme ou «crétins» les membres de l’Académie Française, ne serait-ce pas une atteinte insupportable à la liberté de vivre en paix morale et sociale ?
N’est-ce pas véritablement un abus de la part des pouvoirs publics de tenter de transformer une institution à caractère quasi-universel en pervertissant le sens du mot qui la désigne ?
L’abus de droit est le fait d’exercer un droit à une autre fin que celle pour laquelle il a été prévu, alors même qu’on respecte la lettre des textes ; de multiples applications de cette notion existent en droit français ; ainsi un fonctionnaire d’autorité qui recruterait son neveu à un poste par pur favoritisme alors que d’autres candidats sont plus compétents commettrait un abus de droit qu’on appelle à juste titre «détournement de pouvoir» ; faire un montage juridique dans le but exclusif d’échapper à l’impôt expose à être condamné pour abus de droit ; émettre dans son voisinage un son de niveau admissible sans aucun profit pour soi-même et dans le seul but de «faire enrager» son voisin peut être sanctionné pour abus de droit.
Il n’y a aucune raison, sous prétexte d’offrir un statut contractuel à une petite minorité d’homosexuels, de pervertir la notion de mariage. On peut y voir à juste titre un abus de droit et, venant des pouvoirs publics, un acte d’oppression.
Il se pourrait cependant, par impossible, que le Conseil Constitutionnel ne relève pas l’inconstitutionnalité d’une telle loi. Après tout, il n’a pas sanctionné la législation qui permet l’avortement volontaire, mise à mort d’un être humain («être» parce qu’il est vivant, et «humain» par sa nature même puisqu’il ne deviendra pas un canard ou un cheval si on le laisse vivre mais un enfant puis un adulte). Cela permet aujourd’hui l’avortement pour simple convenance jusqu’à douze semaines de gestation (y compris dans les conditions atroces, à domicile, de « l’avortement médicamenteux ») ou encore celui de plus de 90 % des trisomiques 21 à n’importe quel stade de développement alors que la plupart sont parfaitement viables, ce qui relève d’un cruel eugénisme.
L’article 2 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen donne valeur constitutionnelle au droit de résistance à l’oppression ; par sa nature, qui est de résister aux pouvoirs publics, y compris juridictionnels, comme le faisaient les révolutionnaires, il a même une valeur supra-constitutionnelle…
Au cas où le Conseil Constitutionnel n’établirait pas le barrage qui s’impose, et en l’absence probable de tout autre recours, il me resterait plus qu’à exercer ce droit dans des conditions qui ne portent pas atteinte à la paix civile…
Pourquoi le pouvoir lance-t-il un pareil défi ?
Jacques BAY
Maître en droit public
HEC. Dipl. IEP Paris
Pour aller plus loin :
- INTRUSION DE LA THEORIE DU GENRE A L’ECOLE ET DANS LA SOCIETE
- Quand le virtuel se rebelle contre le réel, l’irrationnel détruit l’humanité
- Le Gender pour tous et les droits des parents
- Evolution de la loi sur l'avortement (loi Veil)
- Quelles lumières de Dieu sur le couple et le mariage dans la crise actuelle ?
- Aude Mirkovic – Anne-Marie Le Pourhiet, Mariage des personnes de même sexe – la controverse juridique, éditions Téqui, 64 pages, 7,90 euros. Voir aussi Béatrice Bourges, Aude Mirkovic, Elizabeth Monfort, De la théorie du genre au mariage de même sexe… l’effet dominos, éditions Peuple Libre, 128 pages, 8 euros