Vendredi 23 Novembre 2012, il est 19H00 au palais de justice de Lyon, Régis de Camaret, l’ex entraineur de tennis, vient d’être condamné à huit ans de réclusion criminelle pour viol et agression sexuelle sur mineures. Les faits remontent à une vingtaine d’année. Et pour seulement deux plaignantes, ils n’étaient pas prescrits. Mais pendant une semaine ont défilé à la barre une vingtaine de jeunes femmes, donnant des témoignages bouleversants. L’affaire a pu atteindre la cour d’un tribunal grâce au courage de l’ancienne championne de tennis, Isabelle Demongeot. Elle a brisé la loi du silence par un livre en 2007, Service volé. Peu à peu elle découvre qu’elle n’est pas la seule à avoir subi viols et attouchements sexuels. La gendarmerie va chercher une à une des femmes qui ne se connaissaient pas et ayant subi à des degrés divers les assauts du pervers.
J’écris ces lignes parce que je suis proche d’une des témoins, qui s’est entraînée au tennis à Saint-Tropez avec Nathalie Tauziat et Isabelle Demongeot. Assister aux audiences de ce procès a été parfois très éprouvant. Et ayant partagé les soirées et discuté avec les principales plaignantes pendant cette semaine de procès plusieurs points m’ont frappé.
Premièrement, le témoignage et la souffrance de ces femmes sont poignants. « Que de souffrances exprimées à la barre des témoins, d’enfances, d’adolescences brisées, de rêves détruits, de femmes en détresse après tant d’années », a lancé l’avocate générale. Deuxièmement, une vraie loi du silence a entouré ces faits tragiques. Chaque victime essaie de se reconstruire en oubliant. Le pervers isole ses victimes, chacune se croyant seule dans son cas. La parole ne peut se libérer que longtemps après. Et Régis de Camaret nie tout. Troisièmement, lié à ce silence nous avons la personnalité de l’accusé : Docteur Jekyll et Mister Hyde. Régis de Camaret est clivé. D’un côté, c’est un être brillant, reconnu dans son métier puisqu’il coache des championnes. Il est un bon père de famille, jamais violent. De l’autre, nous avons un pervers qui s’abat sur ses proies. Il construit un centre d’entraînement avec une vitrine, les victoires de Nathalie Tauziat et Isabelle Demongeot, attirant dans ses filets des parents et des enfants en quête de réussite, rêves brisés dans le sordide. Il peut s’adonner tranquillement à ses vices destructeurs. Se met en place un véritable système sectaire avec son gourou. Toute tyrannie pratique le double langage, la loi du silence, la soumission au chef charismatique, l’obéissance à une idéologie, ici le désir de réussite sportive et médiatique. Clivé, il clive aussi les gens autour de lui, les pour et les contre. Ce dédoublement est aussi celui d’une face extérieure présentable apparemment lumineuse et celui d’une face cachée et obscure.
Que la justice ait pu passer, on ne peut que s’en réjouir. Mais cette histoire n’est que la pointe émergée de l’iceberg. Il n’y a pas que Régis de Camaret qui est clivé. Notre société aussi ne veut pas voir sa face obscure. Par une forme de coïncidence le verdict tombe entre la journée mondiale des droits de l’enfant du 20 novembre et la journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes du 25 novembre. En France, plus de 75 000 femmes sont violées chaque année et presque autant d’enfants. Depuis l’affaire DSK la parole se libère. Notons que sans son passage aux Etats-Unis, il n’y aurait jamais eu d’affaire DSK. Tristane Banon n’aurait jamais porté plainte. Il serait peut-être président, l’Etat couvrant ses turpitudes, au nom de la séparation schizophrène entre personnage publique et personne privée. Ce clivage nous le retrouvons pour la pédophilie et l’éphébie. Voilà ce qu’écrit Frédéric Mitterrand dans La mauvaise vie en 2005. « J’ai pris le pli de payer pour des garçons […] Évidemment, j’ai lu ce qu’on a pu écrire sur le commerce des garçons d’ici […] Je sais ce qu’il y a de vrai. La misère ambiante, le maquereautage généralisé, les montagnes de dollars que ça rapporte quand les gosses n’en retirent que des miettes, la drogue qui fait des ravages, les maladies, les détails sordides de tout ce trafic. Mais cela ne m’empêche pas d’y retourner. Tous ces rituels de foire aux éphèbes, de marché aux esclaves m’excitent énormément […] On ne pourrait juger qu’un tel spectacle abominable d’un point de vue moral, mais il me plaît au-delà du raisonnable […] La profusion de jeunes garçons très attrayants et immédiatement disponibles me met dans un état de désir que je n’ai plus besoin de réfréner ou d’occulter. L’argent et le sexe, je suis au cœur de mon système, celui qui fonctionne enfin car je sais qu’on ne me refusera pas. » Ces propos ne l’ont pas empêché de rester tranquillement au Ministère de la Culture.
Cohn-Bendit a publié en 1975, dans Le Grand Bazar : « Il m’était arrivé plusieurs fois que certains gosses ouvrent ma braguette et commencent à me chatouiller. Je réagissais de manière différente selon les circonstances, mais leur désir me posait un problème. Je leur demandais: “Pourquoi ne jouez-vous pas ensemble, pourquoi m’avez-vous choisi, moi, et pas les autres gosses?”. Mais s’ils insistaient, je les caressais quand même. » Et lorsque François Bayrou en 2009 a voulu dénoncer ces écrits, c’est Bayrou qui a été condamné médiatiquement. Ce qui est écœurant, ce n’est pas seulement le contenu de ces textes, mais c’est la possibilité qu’ils soient publiés en toute sincérité bien pensante. Pour les rendre publics, il faut que leurs auteurs ne voient pas le problème. Aveuglement et déni ne sont pas le privilège de Régis de Camaret.
Certains sont plus discrets. Et ils peuvent l’être car en France, au nom du respect de la vie privée, les journalistes n’enquêtent pas sur ces sujets. S’il y a des rumeurs on détourne le regard et on garde le silence. Autour de Jack Lang plane une odeur de soufre. Et lorsque Luc Ferry a voulu lever le voile en juin 2011, ce dernier s’est repris rapidement pour ne pas être accusé de dénonciations sans preuve. Ce que l’on peut dire de manière certaine sans être accusé de diffamation, est que Jack Lang, « le bel homme » selon le mot de Laurent Gerra, a signé en 1977 une pétition contre la majorité sexuelle dans le journal Le Monde, pétition reprise par Libération. Les adultes ont quand même le droit de faire l’amour à des adolescents ? Ce journal a d’ailleurs un véritable passé pédophile.
Pour se libérer de la morale bourgeoise on donne la parole à Gabriel Matzneff, Tony Duvert, Jacques Dugué témoignant de leur expérience et faisant l’apologie de la pédophilie. « Jouissons sans entrave. » « Il est interdit d’interdire » Les slogans des soixante-huitards sont aussi ceux des violeurs de femmes et d’enfants. La libération du désir peut être tyrannie. Et Serge July, ex-directeur de Libération, est un collabo de l’infamie ? Lui aussi est clivé entre le chroniqueur écouté sur RTL et un passé bien trouble ?
Certes la vie privée d’un homme n’est pas forcément le décalque de sa vie publique. Si vous aviez à élire à la présidentielle un des trois candidats suivants, connaissant leur vie privée, quel serait votre choix ? Le premier est associé à des politiciens véreux, consulte des astrologues. Il a eu deux maîtresses, fume comme un pompier et boit 8 à 10 Martini par jour. Le second a été viré deux fois. Il dort jusqu’à midi. Il a fumé de l’opium au collège et boit un quart de litre de whisky par jour. Le troisième candidat est un héros de la guerre, médaillé. Il est végétarien et boit une bière occasionnellement. Il n’a jamais eu d’histoire extraconjugale. En votant pour le dernier vous choisissez Adolph Hitler. Le premier était Franklin Roosevelt et le second Winston Churchill. La vertu de Robespierre était tyrannique.
Si l’on doit distinguer le personnage public de la personne privée, une séparation totale au niveau social ne tient pas. Le principe de la démocratie pour Montesquieu est une certaine vertu.
Tout le monde constate aujourd’hui la difficulté d’être enseignant. Alors que nous sommes en période de crise économique et que la perspective d’être fonctionnaire peut en rassurer plus d’un, que la fonction de transmission d’une culture demeure une noble tâche, nous sommes dans la situation paradoxale où, dans certaines matières, il y a moins de candidats au CAPES que de poste au concours, ou tous les postes ne sont pas pourvus faute de candidats compétents. L’enseignement devient impossible sans un respect de l’autre. Le ministre de l’Education nationale, Vincent Peillon, propose en septembre 2012 d’enseigner la morale à l’école. Mais pourquoi donc la noble mission devient-elle un enfer ? Voici une suggestion d’analyse pour Monsieur le ministre. Selon Evelyne Sullerot (Le Grand remue-ménage, 1997) 50 % des adolescents toxicomanes appartiennent à des familles dissociées. Et pour M. Archambault, dans une enquête de L’Institut National d’Etudes Démographiques publiée le 2 mai 2002, le divorce des parents pénalisent la scolarité des enfants. Et si les causes de la perturbation des enfants à l’école n’étaient pas que sociale et économique, comme on le répète toujours, mais aussi psychologique, morale et religieuse ? Mais avec la laïcité à la française, avec la distinction de la personne privée et publique, la séparation entre l’intime et l’extérieur devient schizophrénique. Va-t-on remettre en cause la tyrannie amorale du désir ? Nos responsables politiques clivent la dimension sociale et publique de la dimension morale. Le déni continue. Le gouvernement propose l’adoption des enfants par des personnes homosexuelles, cerise sur le gâteau d’une vision sociale bienpensante.
Evidemment l’éducation de ces enfants ne sera pas pire que celle des enfants de divorcés. Mais l’homosexualité et l’hétérosexualité sont devenues les contraires d’un même genre, les deux faces d’une même pièce, l’incapacité à l’homme et à la femme de s’aimer et de se respecter. Frédéric Mitterrand et DSK, même combat. Sans critique de sa vision éthique, Monsieur Peillon ne pourra que constater impuissant la montée inexorable de la violence à l’école et la déprime de ses enseignants.
Ce déni du rapport entre éthique et politique, ce silence sur les causes morales et psychologiques du déséquilibre social est-il total ? Malgré le brouhaha médiatique, le conformisme intellectuel des journalistes des grands médias, phagocytant le débat, anesthésiant les consciences, il me semble voir le sursaut possible d’un réveil éthique. Il n’est plus possible aujourd’hui de faire l’apologie de la pédophilie, ni même de l’éphébie. La condamnation de toute forme de viol prend de l’ampleur. Philippe Arino, dans L’homosexualité en vérité, briser enfin le tabou, (2012) ose montrer un certain rapport possible entre devenir homosexuel et avoir subi un viol. Ou encore, selon les sondages la majorité des français est contre l’adoption d’enfants par des personnes homosexuelles. Le droit de l’enfant à avoir son père et sa mère, le respect de l’amour dans la différence appartiennent encore à la conscience d’un plus grand nombre. Enfin, si l’on questionne les gens, ils sont majoritairement contre le clonage humain. Or les soubassements implicites de ce refus touchent de nombreuses dimensions éthiques1. Il n’est plus interdit d’interdire. Dissocier l’éthique du politique n’est plus sans entrave. Le clivage entre la vie extérieure sociale et la vie intérieure morale et psychologique va passer au tribunal. Docteur Jekyll et Mister Hyde doit dormir en prison. Il faut briser la loi du silence de la tyrannie du désir.
— –
Régis de Camaret fait appel de sa condamnation pour viols
http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2012/12/03/01016-20121203ARTFIG00663-regis-de-camaret-fait-appel-de-sa-condamnation-pour-viols.php