Paganisme pas mort - France Catholique
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Pontificat de François - numéro spécial
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Paganisme pas mort

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J’ai été surpris par un article paru sur la Toile : il est de Gilbert Sincyr, l’auteur d’un livre qui est aux antipodes de ce que j’aime : Le Paganisme. Recours spirituel et identitaire de l’Europe, préfacé par le survivant Alain de Benoist.

Que dit cet auteur, nouvel apologiste du paganisme, à propos de cette antiquité préchrétienne ? Que « si les églises se vident, ce n’est pas parce que l’homme a perdu le sens du sacré, c’est parce que l’Européen se sent mal à l’aise vis-à-vis d’une religion qui ne répond pas à sa sensibilité »… Et cette pauvre « sensibilité » serait en quelque sorte traumatisée par l’absence de liberté et de responsabilité qui seraient la marque du christianisme. Premier haut-le-cœur conceptuel : que vient faire la sensibilité dans les choix ontologiques de l’être humain ? Qu’elle soit concernée quand il s’agit d’exprimer la foi, fort bien, mais la définition de la foi lui échappe…

La liberté est une révélation absolue donnée par les évangiles, bien au-delà de ce que concevaient à son sujet les philosophes qui les ont précédés. Le sens de la responsabilité n’a jamais été exigé aussi clairement que par eux. L’Église répéterait sans cesse, dit-il, que son « destin… dépend du bon vouloir d’un Dieu étranger, que dès sa naissance il est marqué par le péché, et qu’il devra passer sa vie à demander le pardon de ses soi-disant fautes »… Admirable de contradiction avec ce qui est enseigné par le Christ lui-même : le destin de l’homme en son immortalité dépend de ses choix comme de son orientation. Le Dieu qu’il choisit ou refuse de reconnaître pour Celui qu’Il est comme pour ce qu’Il fait, ce Dieu-là est tout sauf étranger : Il va jusqu’à revendiquer hautement et incessamment le titre de Père !

Quant aux « soi-disant fautes », dernier mot qui ne saurait signifier ce qu’est le « péché », on peut en rire, mais avec tristesse, quand on regarde aussi bien du côté de nos histoires, notamment celles du dernier siècle, que de notre présent. Je n’ai jamais rien lu d’aussi incohérent, à la limite de la provocation : l’ignorance, feinte sans doute, n’excuse pas tout.

Vient, cerise sur le gâteau, l’allusion à « l’évolution » qui serait la marque de nos sociétés actuelles : l’évolution vers où, vers quoi ou qui ? Cette évolution justifierait-elle le rejet du monothéisme ? Le Dieu qui « exige », ce Dieu qui situerait ainsi le « salut » à une hauteur inaccessible, est-il le Dieu chrétien ? Assurément non. Mais ces mensonges théologiques ne sauraient être l’explication de la descente continue de notre civilisation vers le pire de tout ce que l’homme a pu imaginer en fait de décadence…

La liberté revendiquée par l’auteur est un don absolu du Créateur, ce n’est point l’homme qui s’est rendu libre, unique être qui le soit dans notre univers, encore faut-il distinguer dans les choix que permet cette liberté de création. Les directions possibles n’ont pas même dignité. L’« aspiration à [cette] liberté de l’esprit » qu’invoque Gilbert Sincyr ne saurait être réduite à ce « chemin à rebours de la condamnation évangélique, originelle et perpétuelle ». Encore faudrait-il pour en comprendre la portée avoir des notions sur la Création d’origine qui n’en soit pas restée à la pomme d’Ève… Il y a chez l’auteur un esprit de confusion qui lui fait penser que l’on devrait reconnaître Dieu à la fois comme le responsable de ce qui est bon mais aussi du mal comme de la souffrance. Même de la sienne propre ? Pourtant due seulement à ce que l’homme a su inventer pour contraindre et violenter son semblable, notamment dans les divers paganismes qui ont existé et continuent d’ailleurs à sévir.

Mais nous servir le concept absurde d’une condamnation par l’Évangile, c’est nous prendre pour des abrutis incapables à la fois de lire, de comprendre et de choisir.

Voici une citation qui vaut son pesant de cendres : le paganisme, « c’est le terme qui englobe l’héritage spirituel et culturel des Indo-européens. Le Paganisme est une Vue du monde basée sur un sens du sacré, qui rejette le fatalisme. Il est fondé sur le sens de l’honneur et de la responsabilité de l’Homme, face aux évènements de la vie. Ce mental de combat s’est élaboré depuis le néolithique au fil de milliers d’années nous donnant une façon de penser, une attitude face au monde. Il est à l’opposé de l’assujettissement traditionnel moyen-oriental devant une force extérieure, la volonté divine, qui contrôle le destin de chacun. Ainsi donc, le Paganisme contient et exprime l’identité que se sont forgés les Européens, du néolithique à la révolution chrétienne. » Voilà un paragraphe qui devrait satisfaire un homme du Grand Orient de France qui voulut, il y a quelques années, me faire adhérer à sa Loge…

Que ce monsieur prosélyte du paganisme d’il y a dix mille ans confonde le Dieu Trinitaire révélé par le Christ au Dieu issu de l’islam est triste, mais normal aujourd’hui, époque où la référence de base est l’idole que chaque être humain est appelé à devenir pour lui-même. Ce qui est d’ailleurs la nouveauté du paganisme souhaité par l’auteur : son paganisme pour notre temps ne nous offre pas mieux que le contenu et l’expression de « l’identité que se sont forgés les Européens, du néolithique à la révolution chrétienne ». Lesdits Européens auraient d’ailleurs, selon cet auteur qui ainsi révolutionne l’Histoire, été « convertis pas la force », ce qui ne fut en rien mon cas.

Ce qui soudain surgit dans les déclarations de Gilbert Sincyr vaut le déplacement : son paganisme n’a nul besoin d’un ou de plusieurs dieux, puisque de toute façon personne ne saurait affirmer qu’existe un dieu (ou plusieurs) ici nommée « une force spirituelle universelle ». Donc, il milite pour aucun dieu, ce qui rend son paganisme des plus ébouriffants. Et de plus commode, assurément. Au moins dans l’immédiat de chaque jour.

Il me faut souligner l’accusation de violence extrême qu’aurait revêtu l’évangélisation : d’un côté aucune allusion aux saints qui furent à la base de cette évangélisation et qui souvent payèrent de leur vie le témoignage porté ; de l’autre aucune mention des sacrifices humains si fréquemment exécutés par les païens. Mais passons sur ces détails lamentables.

Que reste-t-il du propos ? Les Européens, qui auraient été convertis par la force, « se libèrent » enfin. « Chassez le naturel et il revient au galop », dit-il ; ils retrouvent du coup « leur identité refoulée ». L’admirable est ici : leurs idoles seront naturellement les valeurs de liberté et de responsabilité qui étaient aux temps heureux du néolithique, idoles qui vont les « débarrasser des miasmes du monothéisme totalitaire ». Alors, qui survient en triomphatrice bienheureuse ? La nature ! Voilà que pointe à nos yeux éblouis l’idéal de l’écologie idéologisée !

Finie, affirme-t-il, l’humilité, et donc, ce que j’ajoute, victoire de l’orgueil, qu’il baptisé honneur… Je n’ai jamais vu l’orgueil absent quand l’humilité faisait défaut… L’altérité balaye l’égalité, tandis que l’identité s’affirme par l’exercice de la responsabilité, de la volonté – que je ne savais pas exclues du christianisme : voilà brièvement défini « notre héritage culturel, pourchassé, rejeté et condamné depuis deux mille ans ». Merci pour le coup de pied de l’âne.

Je n’aurais pas perdu une heure de mon temps, alors que les travaux à faire s’accumulent, si ce genre de littérature à prétention spirituelle ne sévissait sur l’Araignée, accessible à tous, transmise par nombre de sites et de blogues : il n’existe pas de superviseurs sur sa Toile. La liberté y règne mais pas la responsabilité, alors que l’on sait parfaitement que le paganisme pratique qui s’installe aujourd’hui en Europe est en fait une idolâtrie dont le livre de Gilbert Sincyr se fait le propagandiste de misère.