Parfois, il me semble que Tolstoï a pris le contre-pied. Son écrit célèbre proclame : « toutes les familles heureuses se ressemblent, chaque famille malheureuse est malheureuse à sa façon particulière ». D’évidence, beaucoup de gens trouvent la turbulence et le vice plus attractifs que l’harmonie et la vertu.
Malgré tout, le dysfonctionnement des familles malheureuses ou brisées tend à produire un résultat monolithique quasi prévisible – comme les informations de n’importe quel jour le démontrent. Dans les familles heureuses, on trouve de vraies individualités, et par conséquent une vraie diversité surgit. Environnés d’amour, leurs membres — avec leurs dons, limites et caractère – s’épanouissent selon leurs possibilités propres.
La véritable sainteté est exceptionnelle, vivre avec une personne ayant atteint un certain niveau de sainteté n’est pas une petite affaire, la nature humaine étant ce qu’elle est. Mais la sainteté irrigue parfois une famille. Les parents de Sainte Thérèse de Lisieux, par exemple, ont été récemment béatifiés et reposent maintenant dans la crypte de la basilique construite en l’honneur d’une de leurs filles.
J’ai eu cette chance, étant à Lourdes l’an passé, de pouvoir passer du temps avec Gianna Emanuela Molla, la fille de Sainte Gianna Beretta Molla de Magenta (Milan), en Italie. Vous avez peut-être entendu parler de sa vie et des circonstances douloureuses qui ont finalement conduit à sa rapide béatification en 1994 et à sa canonisation en 2004.
Epouse heureuse, médecin, mère de trois enfants, on lui diagnostiqua en septembre 1961 un gros fibrome de l’utérus (une tumeur bénigne) aors qu’elle était enceinte de deux mois.
Consciente du risque vital important encouru du fait de sa grossesse, elle demanda au chirurgien d’enlever le fibrome de façon à préserver la vie de l’enfant qu’elle portait. Cela fut fait. Gianna remercia Dieu et passa les sept mois suivant attentive à ses devoirs de mère et de médecin avec un engagement et une force accrus.
Comme la naissance approchait, confiante en la Divine Providence, Gianna dit à Pietro, son époux : « si tu dois choisir, sans hésiter -je te le demande – choisis la vie du bébé : sauve-le. »
Le 21 avril 1962, Gianna Emanuela naquit par césarienne. Tout de suite après, l’état de santé de sa mère commença a se détériorer et empira durant les sept jours suivant, en dépit de tous les efforts. Le 28 avril, elle fut rendue à sa famille et mourut chez elle. Elle avait 39 ans.
C’était il y a 50 ans. Son époux, Pietro, né il y a 100 ans, est mort en 2010. Ce mois-ci paraît en Italie un livre des lettres d’amour qu’il a écrites à son épouse. Ses lettres d’amour à elle ont déjà été publiées. Les réticences à rendre publiques des lettres aussi intimes -insurmontables de son vivant — ont été levées quand la famille a conclu que cette publication pourrait toucher beaucoup de gens.
Ce n’est pas seulement parce que tout le monde aime les histoires d’amour, mais parce que ce couple vivait une existence « normale », dans le monde moderne, avec un vif appétit de vivre. Elle aimait skier, faire de l’escalade, aller à l’opéra. Tous deux faisaient montre d’une profonde spiritualité qui irriguait tous les aspects de leurs vies comme homme et femme, parents, professionnels.
Comme Gianna Emanuela a coutume de dire : <
Nous le reconnaissons, il n’y a pas de plus grand amour que ce qu’elle a choisi de faire, littéralement donner sa vie pour sa fille. Par parenthèse, son père a témoigné que, tout autant que dicté par sa grande foi, ce choix émanait de sa conscience de mère et de médecin. Son époux, respectant le choix de son épouse de se conformer au Christ, a pris spontanément le rôle de Marie au pied de la croix. Le coeur brisé -percé d’un glaive – il a accepté. Lui aussi a aimé jusqu’au bout.
Quand son père est décédé, Gianna Emanuela a ressenti une perte immense. Elle avait pris soin de lui pendant plus de sept ans – comme fille aimante et comme médecin gériatre. Pendant les premiers mois sans lui, elle n’a plus éprouvé de joie de vivre mais le temps passant, cette joie est revenue. Se rappelant les Américains si heureux de la rencontrer lors de sa récente visite aux USA, elle dit maintenant spontanément : « leur joie est ma joie ».
A différentes occasions, comme nous circulions dans Lourdes, j’ai vu les visages des gens s’éclairer quand ils la reconnaissaient. Au cours d’une conversation impromptue, les larmes sont venues aux yeux d’un vieux prêtre italien après les présentations. Il devait avoir entendu parler de Sainte Gianna Molla – mais ne s’était pas attendu à tomber un jour sur sa fille.
Elle doit faire cet effet tout le temps. Sans effort, semble-t-il, elle donne à chaque personne rencontrée une attention pleine et entière.
Quiconque entre en contact avec elle est confronté à un rappel visible, incarné, que quelqu’un a pensé qu’elle valait la peine d’être aimée « jusqu’au bout ». Bien que d’un naturel réservé, elle est devenu ambassadeur à plein temps de l’apostolat généré par la vie riche et le charisme émouvant de ses mère et père. Faire ce choix a été une décision importante car cela signifiait renoncer au bien qu’elle pouvait continuer de faire en gériatrie.
Je me suis retrouvé à lui poser une question que je n’avais encore jamais posée à qui que ce soit : « votre maman mise à part, qui est votre saint préféré ? » Elle a rit et répondu saint François d’Assise. Beaucoup feraient le même choix — son oncle était missionnaire franciscain au Brésil — pourtant son raisonnement est guidé tout autant par la profonde reconnaissance envers sa famille que par l’attirance d’un compatriote tel que François.
Matthew Henley est, avec Jokin de Irala, l’auteur de Affirming Love, Avoiding AIDS : What Africa Can Teach the West (Proclamer l’amour, éviter le SIDA : ce que l’Afrique peut enseigner à l’Occident), lauréat d’un prix de l’association catholique de presse. Son dernier rapport, The Catholic Church & The Global AIDS Crisis (L’Eglise Catholique et la crise mondiale du SIDA) est maintenant disponible auprès de The Catholic Truth Society, publié au Royaume Uni par le Saint-Siège.
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Illustration : Sainte Gianna Molla par Neilson Carlin (Sanctuaire Notre-Dame de Guadeloupe, La Crosse, Wisconsin)
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Source : http://www.thecatholicthing.org/columns/2012/st-gianna-beretta-molla-a-family.html