L'Esprit Moderne, pour ainsi dire - France Catholique
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Pontificat de François - numéro spécial
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L’Esprit Moderne, pour ainsi dire

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« L’orgueil entraîne ceux qui souffrent de cette maladie », écrivait Hilaire Belloc parlant de ce qu’il appelait « l’Esprit Moderne », « à considérer que quoi qu’ils pensent avoir appris, quoi qu’ils aient absorbé, même provenant de la filière la plus absurde, c’est irréfutable et suffisant. L’ignorance leur interdit de savoir de façon approfondie ce que les hommes ont découvert avec certitude dans ces domaines par le passé. Une paresse intellectuelle leur interdit d’examiner un argument, et même d’être conscient des implications de leurs propres assertions. »

« Pour la plupart des hommes ainsi atteints, continuait-il, l’affaire n’est pas tant un alliage des ces déficiences que le simple suivi d’une mode ; mais ces vices sont à la racine du processus mental évoqué. » Au lieu d’obéir à une autorité légitime statuant dans son domaine légitime, l’Homme Moderne se prosterne devant la Mode, l’Impression et l’Itération. Elles sont « des commandants abjectement obéis et investis de confiance. »

Belloc écrivait ces mots en 1929, dans Survivals and New Arrivals : The Old and New Enemies of the Catholic Church (Survivances et nouveautés : les anciens et les nouveaux ennemis de l’Eglise catholique).

Il pourrait tout tout aussi bien les avoir écrits hier. Prenez la Mode, par exemple. L’esprit malfaisant qui a pour tâche d’ajuster les modes du monde moderne ne le pourrait pas sans disposer préalablement de fondations bâties sur le sable. Ces fondations, Belloc les appelle Ignorance : le refus de tirer un enseignement des réussites et de la sagesse du passé.

Ce n’est pas la même chose qu’un examen minutieux du passé, afin de séparer le bon grain de la paille. C’est un pur préjugé. Parce qu’Einstein en savait plus sur la chute d’une pomme que Newton il en résulterait que, ainsi que le formule Belloc « il y a un progrès constant vers le mieux durant les siècles de l’aventure humaine », si bien que le premier imbécile à la mode à la télévision en saurait plus, disons, sur le mariage, qu’un fermier chrétien du Kent à l’époque de Milton.

Bien sûr, ce n’est pas évident. Une des modes actuelles dans nos écoles est « la pensée critique ». Je voudrais bien rencontrer quelqu’un qui m’explique la différence entre la pensée, telle que la pratiquait le fermier du Kent – et il s’y prenait convenablement, pour réussir ses cultures, conserver ses denrées et garder son toit étanche – et « la pensée critique » que nos étudiants sont supposés pratiquer.

Autant que je puisse le dire, la « pensée critique » n’est rien d’autre que l’application de la Mode aux derniers vestiges de la tradition. J’exerce « ma pensée critique » quand je regarde la position morale traditionnelle, disant que les hommes et les femmes doivent être mariés avant d’avoir des enfants et que, sans me donner la peine de chercher pourquoi ces règles font consensus dans l’humanité quelle que soit la culture, et sans en considérer les aspects les plus défendables et les plus sages, je renverse cette morale avec un cliché à la mode.

Ainsi, quelqu’un dira « c’était quand les rôles des sexes étaient différents de ce qu’ils sont maintenant » sans tenir compte de ce que la règle en question a tenu dans une grande variété de cultures et sans remarquer que, quoi qu’on puisse attendre d’un époux ou d’une épouse, on est en train de parler ici de ce que les pères et mères devraient faire pour leurs enfants.

C’est une étrange mixture, mélange de gnosticisme et d’agnosticisme, que l’ Esprit Moderne. Je me souviens, il y a de nombreuses années, pendant la première vague de dégoût à la mode pour la nourriture ordinaire que les gens mangent depuis des temps immémoriaux, que le grand chef Julia Child disait que c’était absurde, qu’il n’y avait rien de malsain dans un steak ou dans du beurre. Elle n’était ni médecin , ni diététicienne, ni biologiste, aussi les gens ont raillé : « qu’est-ce qu’elle peut bien y connaître ? »

Eh bien, elle en connaissait un bout, ayant utilisé l’intelligence donnée par Dieu au long d’une vie de minutieuses observations, sans parler des traditions diététiques culturelles. Il s’est trouvé que Julia Child avait raison, et que « le savoir général » avait presque mortellement tort.

Mais le problème n’est pas simplement que même des scientifiques ambitieux font des erreurs. Il vient de ce que l’Esprit Moderne, méfiant à l’égard de la raison, fait confiance implicitement à toute ânerie imprimée, pourvu qu’elle soit estampillée de l’imprimatur « comme les études l’ont montré » et du nihil obstat « les chercheurs affirment ». Alors ce n’est plus qu’une question de temps avant qu’une agence gouvernementale, souvent le bras institutionnel des chercheurs eux-mêmes, n’émette une règle en conséquence.

Partant, l’Esprit Moderne connaît tout et rien tout à la fois. Ce n’est peut-être pas une coïncidence que Julia Child apparaisse comme ayant travaillé en qualité d’agent anti-communiste – elle employait à trop bon escient ses yeux, ses oreilles est son intelligence pour succomber aux maux qui ont tant fasciné la pensée critique académique.

Il est bien évidemment impossible de ne rien connaître et de tout connaître à la fois. si bien que l’Esprit Moderne est parfois extrait de son brouillard, à moins qu’il ne cède à quelque chose de plus malfaisant encore. En ce moment, l’Esprit Moderne accepte comme axiome la confiance en la démocratie. C’est la meilleure forme de gouvernement, dit l’Esprit Moderne.
Mais quand l’Esprit Moderne s’enquiert de ce qu’un plombier lambda est supposé connaître, hormis la technique de pose des tuyauteries, il est déconcerté. Le plombier « connaît » ce que la presse écrite lui raconte, laquelle tire son savoir de ces mystérieux sacerdoces pratiquant la pensée critique : chercheurs en sciences sociales, économistes, politiciens et autres. S’il prétend connaître autre chose – et spécialement dans le domaine de la sagesse morale – il devient l’Ennemi Public numéro un.

Par conséquent, une confiance naïve et puérile touchante dans la démocratie est, à l’époque actuelle, cohérente avec l’idée que la sagesse soit concédée à des experts auto-proclamés. Finalement, la confiance première disparaîtra et nous découvrirons un gros titre pour l’Apocalypse : « les experts déclarent que le gouvernement par les experts est la meilleure solution. »


Anthony Esolen est conférencier, traducteur et écrivain. Son dernier livre s’intitule : Ten Ways to Destroy the Imagination of Your Child (Dix moyens pour détruire l’imagination de votre enfant). Il enseigne à Providence College.

illustration : Hilaire Belloc.

Source : http://www.thecatholicthing.org/columns/2012/the-modern-mind-as-it-were.html