L’armée, je parle des militaires qui se battent contre le terrorisme, le fanatisme, le retour à des féodalités ou des régimes autocratiques à dominante religieuse, à l’extérieur, sur des théâtres d’opérations improbables, aussi dangereux que désertiques ; qui se sacrifient pour que nos valeurs traditionnelles de liberté, égalité, fraternité, laïcité, état de droit, justice, droits des femmes, à l’éducation, à la pensée, à la circulation… enfin tout ce qui fait une société civilisée, moderne et tolérante , ces militaires doivent-ils subir ce qu’il est convenu d’appeler la judiciarisation des armes, c’est-à-dire de devoir répondre de leurs actes en temps de guerre ou d’opérations de maintien de la paix sous mandat international, en fonction de la loi, française, par exemple le code pénal, comme un vulgaire voyou ou délinquant, quand il y a eu des victimes dans leur propre camp ?
Vaste débat et programme, aurait dit le Général de Gaulle !
L’armée qui a été longtemps la grande muette a poussé un cri de désespoir, lorsque la Cour d’Appel de PARIS, lundi 30 Janvier 2012, a autorisé un juge d’instruction à enquêter sur un acte de guerre, à la suite de la plainte de famille des dix militaires tués à UZBIN, le 18 Août 2008, en AFGHANISTAN. Cela ne mérite ni de monter au feu en criant au scandale, ni de trouver cela normal, personne n’échappant à ses responsabilités.
Le délit visé est « mise en danger de la vie d’autrui », prévu et réprimé par l’article 221-6 du code pénal en cas d’homicide involontaire, et pouvant être sanctionné par 3 ans d’emprisonnement et de 45.000 € d’amende.
La Société Civile – les Magistrats – vont-ils devenir les contrôleurs des risques de guerre, et les militaires vont-ils devoir revoir leurs stratégies, leurs moyens, leurs méthodes ?
C’est une partie du débat. Mais nous sommes, surtout, sur les principes.
La hiérarchie s’est sentie viser ; elle est évidemment en première ligne, mais encore faut-il que l’Etat, le Ministère, l’Institution fournissent des instructions claires, des moyens et un cadre juridique précis pour que la faute, que l’on recherche, soit trouvée.
Les militaires, qui risquent leur peau, n’ont pas apprécié, et on comprend leur réaction à chaud ; l’acte de guerre ne peut être assimilé à un fait divers. On ne peut appliquer le célèbre principe de précaution aux actions qui sont, par définition, pensées mais aléatoires dans leur finalité ; dépendantes de l’ennemi qui ne raisonne pas avec nos critères démocratiques, et qui a moins de scrupules à trahir, ou à s’affranchir des règles du combat classique.
Depuis 2002, l’ouverture du feu est soumise à la direction juridique du Ministère, ce dont tout le monde doit se féliciter.
Il est normal de faire confiance aux acteurs sur le terrain, de soutenir leurs initiatives et méthodes, mais c’est en l’absence de règles préétablies, que le pire peut arriver.
Que personne ne panique et s’alarme. Tous les responsables de notre société, élus, chefs d’entreprise, hauts cadres de la fonction publique, citoyens chargés d’une mission, savent que personne n’est à l’abri d’une action juridique quelconque, civile comme pénale, et que le risque majeur pour celui qui décide, c’est…. le risque judiciaire. Même d’anciens Chefs d’Etat doivent répondre de leurs actions.
Rappelons aussi qu’enquête n’est pas condamnation. La présomption d’innocence joue, et tant que la culpabilité n’est pas prononcée, tout va bien, même si personne n’aime être accusé, soupçonné du pire, et devenir un bouc émissaire !
La guerre a naturellement sa face sombre, puisqu’il y a des morts et des blessés ; des méthodes parfois insupportables, et dans tous les camps, des exécutants plus expéditifs que d’autres ; il est inutile de citer des exemples dans toutes les armées.
Les guerres de ces dernières années ont été émaillées de scandales, y compris dans des armées où les droits de l’homme sont des principes en béton de l’Etat prescripteur.
Depuis longtemps, les militaires sont habitués à rendre des comptes.
Avec cette instruction judiciaire qui va commencer – sauf si la Cour de Cassation saisie du dossier – infirme la Cour d’Appel, nous sommes dans le cadre traditionnel de mise en cause de la responsabilité d’une autorité hiérarchique.
Dans la vie civile, tous les chefs d’entreprise connaissent les conséquences d’un accident – grave – du travail, sur un chantier, ou dans un atelier.
Le patron doit répondre lui-même de l’organisation de son entreprise en matière de sécurité, et se fait condamner, civilement, ou pénalement, en cas de faute caractérisée, même parfois s’il a largement délégué ses pouvoirs. En matière de sécurité, il y a obligation de résultat.
Le commandant des troupes sur un terrain de guerre, peut être assimilé à un chef d’entreprise : les officiers sont ses cadres ; ses sous-officiers sont ses agents de maîtrise ; et les soldats sont les ouvriers ou employés.
Cette comparaison, pour moi, n’est évidemment pas péjorative. Elle a pour but de montrer la judiciarisation de la société tout entière, et les risques pris par ceux qui osent, qui agissent, qui s’engagent.
Avec une grande nuisance pour les militaires : ils ne maîtrisent ni le territoire sur lequel ils évoluent ; ils doivent exécuter des missions décidées par d’autres, dans un intérêt supérieur ; l’ennemi n’est pas visible, voire pas prévisible ; il n’y a pas de moyens préventifs d’action ; et tous les plans ne sont pas infaillibles.
S’il faut, en plus du barda, avec le gilet pare-balles, le casque, le fusil, avoir dans la main le code pénal, et un plan de prévention des risques, la cavalerie légère risque de s’enliser dans la paperasserie !
Il faudra aussi désormais bien connaître la dernière jurisprudence sur la théorie dite des « baillonnettes intelligentes » qui autorise le militaire à refuser un ordre manifestement illégal, prévu par l’article 122-4 du code pénal :
« N’est pas pénalement responsable, la personne qui accomplit un acte prescrit ou autorisé par des dispositions législatives ou réglementaires ».
« N’est pas pénalement responsable, la personne qui accomplit un acte commandé par l’autorité légitime, sauf si cet acte est manifestement illégal ».
Certains militaires, je pense aux gendarmes que j’ai parfois l’honneur de défendre, connaissent depuis le décret du 20 Mai …. 1903 (dix neuf cent trois), en son article 174 – repris par des textes plus récents – la façon d’utiliser les armes, avec des conditions précises, qui ne correspond d’ailleurs pas à la légitime défense, telle que la connaissent les policiers.
Dans le cadre du rapprochement police-gendarmerie, et même si les spécificités sont différentes, une harmonisation serait peut-être utile pour faciliter…. le travail des juges ?
Pour les gendarmes, la Cour de Cassation a posé le principe que l’usage des armes effectué par un gendarme en uniforme, en service, après sommation, doit être d’une nécessité absolue. [chambre criminelle 18 Février 2003].
Dans le cadre d’intervention chaude, dans l’urgence et la peur, il arrive que des gendarmes soient mis en examen, voire condamnés, ce qui est extrêmement rare, sur plainte…. du délinquant [SIC]. Mais la plupart du temps, le gendarme est victime, car comme pour les militaires en opérations extérieures, le délinquant souvent n’attend pas et agit (je veux dire tire ou menace), le premier !
Donc pas d’affolement. Les parents des victimes d’AFGHANISTAN auraient pu choisir la voie civile, pour obtenir des réparations financières, en attaquant le Ministère donc l’Etat. Mais outre que cela peut « payer peu », ce n’est pas spectaculaire. On préfère l’action pénale qui intéresse le citoyen lambda, la presse aussi, et qui peut conduire tel très, très haut gradé, à venir expliquer ses choix, ses prétendues erreurs, ses éventuelles carences……. Il est toujours facile de dire ce qu’il ne fallait pas faire, ce que l’on aurait du faire, en…. théorie.
Bien sûr, en ma qualité d’Avocat qui plaide pour les victimes aussi, je me garderai bien de critiquer la saisine de l’autorité judiciaire. Il faut toujours faire confiance aux juges, avant de les « maudire » – dit le dicton – s’ils vous condamnent.
Nous sommes dans un Etat de droit et personne ne doit échapper à ses responsabilités, ne serait-ce que pour que les drames ne se renouvellent pas.
Moi aussi, je prends des risques. Je suis 1er adjoint au maire d’une petite commune rurale de l’OISE. Tout habitant peut contester mes décisions, ou estimer que j’ai mal fait, ou pas bien agi.
A tel point qu’en raison de la baisse de vocation pour être élu, fut votée le 10 Juillet 2000, la loi du Sénateur Pierre FAUCHON sur la faute caractérisée.
L’art. 121-3 du code pénal dispose :
« Il n’y a ni crime ni délit sans intention de le commettre ».
« Toutefois, lorsque la loi le prévoit, il y a délit en cas de mise en danger délibérée de la vie d’autrui…. »
Il y a également délit… en cas de faute d’imprudence, de négligence, ou de manquement à une obligation de prudence ou de sécurité… s’il est établi que l’auteur des faits n’a pas accompli les diligences normales compte tenu, le cas échéant, de la nature de ses missions, ou de ses fonctions, de ses compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont il disposait….[ il faut] avoir violé de façon manifestement délibérée] une obligation particulière de prudence – ou de sécurité…… soit commis une faute caractérisée et qui exposait autrui à un risque d’une particulière gravité qu’elles ne pouvaient ignorer ».
Il va donc falloir démontrer que la hiérarchie militaire a commis une faute très grave, caractérisée par rapport à une norme pré-établie ; à des consignes précises et claires, applicables sur le terrain, et que les chefs de l’opération qui a conduit au désastre, savaient qu’ils mettaient volontairement en péril…. leurs camarades ! Quand on connait l’esprit d’abnégation et de solidarité des combattants, on ne peut imaginer que cela soit possible.
Les soldats d’AFGHANISTAN ne peuvent être morts pour rien. Le pays doit leur rendre hommage, et confirmer que la Nation soutient ses combattants. Mais, ce n’est pas incompatible avec une action en justice, avec l’enquête objective à charge, et à décharge d’un Juge d’instruction. Il n’y aura après, plus de soupçons, plus d’ombres – au tableau.
Ou il y a eu faute caractérisée, très caractérisée et sanction, ou le NON-LIEU que je souhaite, permettra de valider la stratégie suivie, et servira d’exemple pour l’avenir, en corrigeant ce qui doit l’être.
Cela n’empêche pas, par ailleurs, d’ores et déjà, l’Etat d’honorer ses morts, et de réparer auprès des familles, l’immense malheur qui les accable.
C’est MALRAUX, dans l’ESPOIR qui écrivait : « la tragédie de la mort est en ceci, qu’elle transforme la vie en destin ».
Me Christian FREMAUX
Avocat au Barreau de PARIS
Pour aller plus loin :
- La République laïque et la prévention de l’enrôlement des jeunes par l’État islamique - sommes-nous démunis ? Plaidoyer pour une laïcité distincte
- INTRUSION DE LA THEORIE DU GENRE A L’ECOLE ET DANS LA SOCIETE
- SYRIE : ENTRE CONFLITS ARMES ET DIALOGUE INTERNE
- 3101-Sarkozy, l'Eglise, la laïcité
- De la nécessité d’une justice insoupçonnable