C’est une bien étrange expérience que de retrouver un ami qui est passé à travers le feu de la grâce. Rien n’a changé, mais tout est différent. Il est resté le même, mais il semble qu’une lumière nouvelle l’éclaire.
Michel Cool est de ceux-ci. Journaliste spécialiste de l’information religieuse, Rédacteur en chef à La Vie, il a été plusieurs années directeur de l’hebdomadaire Témoignage Chrétien après être passé par la rubrique religieuse du magazine la Vie dont il est aujourd’hui le rédacteur en chef. Une expérience de direction passionnante qui s’est terminée de façon brutale et douloureuse. Alors que le journal qui avait déjà connu moult tempête est à nouveau en pleine turbulence, il est licencié sans la moindre délicatesse. Il se retrouve du jour au lendemain, seul. « Cet exil forcé du monde du travail, écrit il, je l’ai vécu sans doute avec beaucoup d’autres, comme une déchéance infamante et une injustice insupportable »
Ce n’est que le début d’un parcours dont on ne sait pas s’il est un chemin de croix ou une ascension du Mont Thabor… mais peut-être, après tout, est cela même chose.
Février 2007. Alors qu’il n’est pas encore remis de son installation dans chômage, le corps lâche. Il connaît des ennuis de santé sérieux qui le conduisent à subir deux interventions chirurgicales. Et puis surtout l’homme qu’il a le plus aimé au monde, celui qui a été tout pour lui, un père, un modèle, une lumière, meurt à la suite d’une longue maladie. Il se dit que la cinquantaine qui arrive est un cap bien difficile à franchir.
Il n’en continue pas moins son travail. Il est en reportage à l’abbaye Notre Dame de Scourmont dans les Ardennes belges pour préparer un livre qui paraîtra en 2008 chez Albin Michel : « Messagers du silence : les nouvelles voix monastiques ». C’est son dernier jour sur place. Un petit matin. Froid. Après l’office des laudes, il part marcher dans la campagne. Il ne sait pas encore qu’il est au bout du chemin, au terme d’une route qui le conduit à une rencontre avec celui qui l’attend depuis toujours. Cet inconnu si proche qui est au fond de lui. Celui qui était déjà son compagnon de vie depuis l’enfance et qui va se révéler…
« Alors que je marchais à l’inconnu sur ce sentier, écrit il, je fus soudain saisi par une violente crise de larmes. Je sanglotais comme un petit enfant ; j’avais l’impression physique de vider toute l’eau de mes yeux. La stupeur que m’inspireraient ces pleurs incontrôlables se mêlait simultanément à une sensation étrange d’épuration libératrice, d’émondage purificateur. »
Ce fut un véritable baptême de l’intérieur, « Quand la crise fut finie, confie t il, il se fit en moi un grand calme que je ne connaissais pas. Je voyais toutes mes faiblesses passées et présentes flotter devant moi comme les débris d’un bateau sur la mer après un naufrage ; (…) La faiblesse, ma faiblesse, n’était plus un tabou. Je réalisais qu’elle était par la grâce de ce « baptême du silence » que je venais de recevoir, le lieu privilégié où se déployait la Miséricorde. »
Il se souvient alors de la demande d’une carmélite de Floreffe également en Belgique qui lui avait dit un jour : « Vous passez votre temps à vous intéresser à la vie des autres… Quand donc vous déciderez vous à parler de vous, de vos raisons de vivre… »
Curieusement ce baptême du silence, le conduit alors de façon paradoxale et naturelle à répondre à la demande de cette religieuse. Et il se décide à ouvrir ce qu’il appelle ses carnets de silence.
Il se raconte. il se confie. Mieux il se révèle. Mais plus à lui-même encore qu’à son lecteur. Comme s’il lui fallait arracher les dernières feuilles qui le couvrent encore. Il a tout donné. Et il aime rappeler la phrase de Thérèse de Lisieux : « aimer c’est tout donner et se donner soi-même » Alors dès les premières pages de son livre, il confie le secret de sa vie. Abandonné à la naissance, il est adopté quelques jours plus tard par ceux qui lui donneront tout. Leur vie, leur nom, leur amour. Oui, Michel est l’enfant d’un double amour. Amour de celle qui l’a fait naître et dont il ne connaît rien, et amour ce ceux qui lui ont donné la vie.
Et il ajoute comme un clin d’œil : « Sais-tu quel jour mes parents sont venu me chercher chez les petits frères de pauvres chez qui j’avais été déposé ? Le 18 juin… et sais-tu où ? Rue Jean Moulin… » Tout un symbole pour lui dont le père, ancien résistant, a été toute sa vie un fidèle du général de Gaulle !
Il relit alors divers reportages qu’il a donnés à différents media et qui l’ont conduit au bout du monde et surtout au bout du cœur des hommes. Mais il ne les relit pas comme un écrivain vaniteux qui se replongerait dans ses productions, non il les relit pour comprendre, pour se comprendre. Il les relie à la Vie.
C’est, en effet, au cours d’un de ces voyages, au Vietnam, qu’il vit cette autre histoire d’amour. La rencontre avec Thành, un enfant vietnamien qu’il va adopter avec Martine, sa femme, qui a été « le témoin de tout ». Lui l’adopté qui n’a pas d’enfant de son sang, il l’a de son cœur qui a su s’ouvrir… « … et aujourd’hui, moi aussi je suis grand père… » lance t il dans un lumineux sourire, car son fils s’est marié et lui a donné l’enfant qui relie deux mondes, deux univers, deux espérances…
Et si de tout cela, il n’y avait en fait qu’une seule réalité, qu’un seul mot : amour. Amour que Michel Cool à reçu et donné et qui, transcendant tout, n’exige aujourd’hui que le silence.
Michel Cool, Conversion au silence – itinéraire spirituel d’un journaliste, Salvator, 222 pages, 19, 50 euros.