Le 5 mai 2011 est la Journée Nationale de Prière. Le Congrès l’a instituée en 1952 et depuis, elle est observée annuellement. La loi stipule que « le Président publiera chaque année un décret précisant que le premier jeudi de mai sera une journée nationale de prière au cours de laquelle le peuple des Etats-Unis se tournera vers Dieu pour des prières et des méditations dans les églises, en groupe ou individuellement. »
Depuis 2003, des groupes laïques aux Etats-Unis ont appelé à une « Journée Nationale de la Raison » qui serait concomitante avec la Journée Nationale de Prière, afin de « susciter une prise de conscience dans l’opinion publique sur les risques que fait peser à la liberté religieuse l’intrusion gouvernementale dans la sphère privée du culte. » Ces groupes laïques s’opposent à la Journée Nationale de Prière pour plusieurs raisons, l’une d’entre elles étant « qu’elle a pour effet de transformer ceux qui ne prient pas en citoyens de seconde zone. Pourquoi instituer une journée nationale qui exclue inutilement ? »
Il n’est certes pas commode de se sentir des citoyens de seconde zone. Qui ne serait pas affligé de ce que nos amis laïques doivent endurer ? Qui serait assez stupide et sans cœur pour exclure inutilement nos compatriotes américains de leur droit d’expression ? Ceux d’entre nous moins talentueux et moins rationnels sont certainement incapables de comprendre la souffrance d’être affublé du fardeau d’une supériorité intellectuelle et morale. Il est certainement difficile de vivre dans un pays où pratiquement tous vos voisins et compatriotes sont des dévots irrationnels qui cherchent à vous imposer un statut de citoyens de seconde zone. Où que vous alliez – chez l’épicier, à la gym, au café, et même à l’école – vous êtes entourés de simples d’esprit qui sont trop bruts de décoffrage pour s’apercevoir que vous et vos amis sont les véritables gardiens de la Raison. Et pour tout compliquer, ces dévots d’un culte dépravé – ceux-là même qui prient et cherchent à se faire petits devant Dieu – sont en train d’embarquer l’Amérique dans une ère de tyrannie théocratique.
Dans ce scénario-catastrophe, les citoyens croyants pourraient même réussir à influencer la vie politique à travers les processus démocratiques. Ils seraient traités avec la même dignité et le même respect que les citoyens qui ne sont pas croyants, quelque incroyable que cela puisse paraître depuis les bureaux de New Haven ou Hyde Park. Par exemple, un groupe de citoyens croyants pourrait parvenir à faire voter une loi qui protégerait le fœtus de toute attaque – que ce soit par avortement ou recherche sur l’embryon.
Les partisans de la Journée Nationale de la Raison sont persuadés que ce genre d’activités politiques doit être rigoureusement interdit dans une démocratie libérale. Pourquoi ? Ils ne le disent pas vraiment. Tout ce qu’ils disent est qu’ils s’opposent à « toute restriction pour des raisons religieuses à l’accès aux services d’information sur la reproduction » ainsi qu’à « toute objection de nature religieuse à la recherche scientifique ». Les gardiens de la Raison se gardent bien d’utiliser l’adverbe « religieusement » ou l’adjectif « religieux » comme argument d’autorité ou comme moyen d’attiser le sectarisme antireligieux de leurs lecteurs, ce qui serait contraire à la Raison. Cette pensée ne doit même pas vous traverser l’esprit. Comme chacun sait, les champions de la Raison n’utilisent jamais, au grand jamais, d’argument rhétorique qui sorte des limites du discours rationnel. Aucun membre de bonne foi de cette aristocratie cérébrale ne se risquerait à avoir recours à l’insulte, à la culpabilisation par association ou à la déformation des positions.
Il reste que les gardiens de la Raison sont absolument convaincus qu’aucun citoyen croyant ne saurait avoir jamais aucune raison légitime ou défendable de restreindre l’accès aux services de reproduction et à la recherche scientifique. « La Journée Nationale de la Raison doit conférer à la communauté laïque une visibilité et une capacité d’action ce jour-là pour montrer l’exemple sur la manière d’introduire des réformes positives » : de quelle meilleure façon que de reléguer les citoyens croyants à l’extérieur du champ de la société civile ? Ainsi, les gardiens de la Raison ne se sentiraient plus des citoyens de seconde zone. Je suis sûr que quelque part quelqu’un ressent leur souffrance.
Francis J. Beckwith est professeur de philosophie et des relations Eglise-Etat à l’Université Baylor
Source : The National Day of Reason Doesn’t Have a Prayer
http://www.thecatholicthing.org/columns/2011/the-national-day-of-reason-doesnt-have-a-prayer.html