Le carême et la religion de l'Humanité - France Catholique
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La chasteté : apprendre à aimer
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Le carême et la religion de l’Humanité

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Un ami soulignait récemment l’influence de nombreux ecclésiastiques, comme de la société en général, en faveur de ce qu’on appelle « la religion de l’humanité », expression reprise d’Auguste Comte. Selon lui, Dieu laisserait la place à un humanisme qui abrite des concepts tels que « justice sociale » ou « droits de l’homme. » Un autre ami me faisait remarquer que l’euthanasie ou l’homosexualité défendaient aussi de leur côté un principe d’humanité.

Étienne Gilson, dans son livre Unity of Philosophical Experience, écrivait : « Au lieu d’être le point de référence de tout jugement subjectif, l’humanité est devenue pour Comte un objet d’adoration, le Dieu positif, le Grand Être. » La même phrase apparaît dans Conservative Foundations of the Liberal Order, de Daniel Mahoney : « Le conservatisme authentique se doit d’être prudent au sujet de l’expression ‘religion de l’humanité’ sous toutes ses formes. » Une humanité qui s’adore elle-même est une humanité qui peut faire elle-même ce qu’elle veut. C’est une humanité qui n’offre aucune limite à la science ni aucune définition de ce qu’est l’homme.

Les chrétiens sont ouverts à la transcendance, aussi bien en ce qui concerne leurs origines que leur destinée. C’est pourquoi il est devenu presque impossible pour la plupart des gens de comprendre l’essentiel du christianisme, encore moins les raisons de ses positions morales. Je me demande dans quelle mesure la façon dont nous vivons n’est pas la raison du problème. Nous vivons comme nous l’entendons, non comme nous devrions vivre. La façon dont nous vivons, et que nous appelons la culture, comprend un grand nombre d’institutions, d’idées, de pratiques et d’attitudes qui, examen fait, ne sont pas compatibles avec l’essence de la foi chrétienne.

Une conversion personnelle qui rejette ce qui est incompatible avec la foi est donc nécessaire. Une telle position implique à son tour que nous devons accepter de changer nos habitudes. Nous voyons assez que ce à quoi nous avons consenti et cherché à expliquer par nous-mêmes est en fait incompatible avec la foi, comme d’ailleurs avec ce que la raison naturelle enseigne.

Pour un grand nombre d’observateurs, l’événement majeur de notre époque n’est pas le fait que les chrétiens se consacrent à l’évangélisation, mais plutôt le contraire. Selon eux, le christianisme ne se distingue plus assez du reste de la culture moderne. Peu de chrétiens par exemple sont en mesure d’expliquer point par point le contenu de la foi. Il est déroutant pour des catholiques d’entendre d’autres catholiques, en particulier des gens d’Église et des universitaires, soutenir un autre enseignement que celui du Magistère.
Jean-Paul II disait que le péché social était lui-même une manifestation du péché personnel, et non le contraire. Les Évangiles commencent par l’appel à la conversion. Cette conversion doit être fondée sur l’absolue certitude que beaucoup d’actions et d’idées exigent d’être converties. Rien n’est plus banal aujourd’hui dans de nombreux groupes, écoles ou familles, de rencontrer des individus aux vies confuses et décousues, auxquelles ils ont, hélas, la plupart du temps, eux-mêmes consenti.

Un réseau du mal semble nous enfermer dans le désespoir de pouvoir vivre enfin notre propre existence, même après avoir éventuellement admis nos propres erreurs. En revanche, si nous acceptons le principe d’une « religion de l’humanité », plus n’est besoin de trouver un chemin de sortie. Nous suivons les comportements des autres comme s’ils étaient des normes. Tels sont le monde et sa religion.

Le désordre public que nous constatons, et l’assentiment que nous y donnons à travers jurisprudence, lois et médias, reflètent bien notre manque de volonté de connaître quels sont les véritables principes cachés derrière nos actions. D’une manière générale, les désordres intellectuels, les idées perverses ou erronées, ne sont pas le signe d’un manque d’intelligence. Ils sont plutôt des efforts pour justifier nos actions. Nous voulons donner sens à nos habitudes peccamineuses ou à nos désordres dont nous savons pourtant qu’ils méritent d’être convertis.

Nous sommes inondés d’immenses scénarios qui cherchent à justifier ces désordres. Nous ne cherchons même pas à vérifier leurs raisons spirituelles et morales. En tant que chrétiens, cependant, la première attitude à adopter contre des telles orientations est de ne pas oublier que nous sommes fondamentalement libres et que nous pouvons changer. Commençons par nommer précisément les choses, par reconnaître ce que nous avons fabriqué pour nous-mêmes et pour les autres. Une telle prise de conscience ne se fera peut-être d’abord pas remarquer mais se réalisera discrètement, en premier lieu dans les coeurs conscients de ces désordres et qui aspirent à les corriger avec l’aide de la grâce. Ceux qui recherchent cette « droiture » le font parce qu’ils sont appelés par Dieu à partager son propre bien, lequel ne peut se donner dans le chaos. Chaos qui se manifeste d’ailleurs lui-même dans la logique même des choix humains.

Nous sommes un peuple capable de donner raison à ce qui, récemment encore, nous scandalisait. C’est ce processus d’auto-justification, de louange à l’égard de nous-mêmes, qui a besoin d’être stoppé. Nous avons besoin d’un volte-face, comme disait Platon. Notre repentance exige que chacun de nous reconnaisse cette confusion dans son âme, laquelle a besoin d’une conversion dans ses paroles et dans ses actions.

La « religion de l’humanité » que nous inventons pour nous-mêmes n’est pas à notre hauteur. À la fin, elle ne nous conduit même pas à croire en nous, mais seulement à notre prétendue « perfection. » Nous devons nous défier de cette « religion de l’humanité. » Notre bonheur ne repose pas exclusivement sur nous. C’est peut-être pourquoi le Carême est une saison de conversion pour clarifier nos esprits. Et nous ne serons jamais un sans les autres.

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Source : http://www.thecatholicthing.org/columns/2011/lent-and-the-religion-of-humanity.html

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James V. Schall, S.J., est professeur à la Georgetown University. Son livre le plus récent a pour titre : The Mind That Is Catholic.