L’ENRACINEMENT HISTORIQUE DES ÉVANGILES - France Catholique
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L’ENRACINEMENT HISTORIQUE DES ÉVANGILES

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Père Gitton, vous allez prendre la parole au cours d’une conférence
1 au Goethe Institut de Paris, avec le professeur Stroumsa sur le thème de l’enracinement historique des Evangiles, qu’est-ce qui vous a poussé à choisir ce thème ?

Il suffit de suivre l’actualité de la presse et de la télévision pour voir qu’il ne se passe pas d’année où une nouvelle découverte, ou supposée telle, ne nous soit présentée, à grand renfort d’érudition, comme une remise en cause radicale de l’image que les chrétiens se sont faite jusque là de Jésus de Nazareth. Il faut croire que les recherches sur les évangiles passionnent nos contemporains, il est vrai qu’ils ne sont pas très difficiles : depuis Da Vinci Code jusqu’à l’Evangile de Judas, en passant par la pseudo tombe de Jésus découverte il y a quelques années, les ressorts sont toujours un peu les mêmes : on vous avait caché la vérité, mais on va enfin vous la dire, Jésus n’était pas le personnage de vitrail qu’on représente, inaccessible au charme féminin et perdu dans la contemplation, sa mort n’a rien d’une offrande sacrificielle, c’était un malentendu, et quant à la résurrection, c’est évidemment une supercherie des apôtres désolés de perdre leur idole et leur gagne-pain etc., etc.

Vous cherchez donc à démystifier ces présentations pour le moins fantaisistes, mais pourquoi faire appel à un chercheur juif dans ce cadre ?

Il ne s’agit pas ici de défendre la foi catholique et de montrer que le Jésus vénéré par les chrétiens est le bon, il s’agit d’abord de faire œuvre d’historien. La recherche sur les évangiles est souvent encombrée de présupposés qui n’ont rien de scientifique. On accuse les chrétiens de vouloir infléchir les conclusions de la science historique pour cadrer avec leur dogme, mais la même chose vaut largement pour des historiens de tout bord : depuis Renan, qui écarte méthodologiquement tout fait jugé miraculeux, jusqu’à la reconstitution qui fait du récit des évangiles la résultante des tensions survenues entre des groupes constitués au sein des premières communautés chrétiennes, il ne manque pas de vues de l’esprit qui retardent toujours le travail sérieux de ceux qui se penchent sur les textes. Un exégète non-conformiste, le Révérend John AT Robinson, a montré, il y a une trentaine d’années, que, sur la datation des évangiles, on en restait à des positions qui n’avaient jamais été remises en cause depuis près d’un siècle : toutes partaient du postulat qu’aucun des récits évangéliques dont nous disposons ne pouvait être antérieurs à l’an 70 (date de la prise de Jérusalem), la raison en étant que ces textes citaient des paroles de Jésus annonçant le siège et la prise de la Ville sainte. Puisque Jésus n’avait pas pu annoncer l’évènement, qui n’avait pas encore eu lieu, il fallait croire que c’étaient ses disciples (ces fameuses communautés chrétiennes décidément très inventives) qui avaient forgé de toutes pièces ces annonces, pour appuyer la foi en sa divinité ! Or, quand on lit les dites annonces, on constate qu’elles sont quand même assez vagues, et que par ailleurs la probabilité d’une révolte matée par les Romains n’était pas invraisemblable quarante ans plus tôt. A faire tout reposer sur une telle pointe d’aiguille, on condamnait tout l’édifice à n’être qu’un château de cartes. Depuis, heureusement, on s’est remis au travail sur d’autres bases.

Je ne sais pas ce que dira le Professeur Stroumsa, mais, d’après ce que je peux voir, la recherche en milieu juif est plus décontractée que celle qui sévit chez nous. Un chercheur de l’Université hébraïque peut sans doute, mieux qu’un catholique aujourd’hui, dire le crédit qu’on peut faire raisonnablement aux documents évangéliques.

Pourquoi néanmoins est-il important pour un croyant que l’on sache quelque chose d’historique sur Jésus. La foi ne suffit-elle pas ?

La foi chrétienne a cette particularité de s’appuyer sur un évènement et même sur une série d’évènements : le Verbe s’est fait chair et il a habité parmi nous. On ne peut ramener le christianisme à des positions intemporelles sur Dieu ou à des vérités philosophiques et morales. Qu’on le veuille ou non, il a partie liée avec l’histoire, puisque le fond de la Bonne Nouvelle, c’est de dire que Dieu, l’Eternel, l’Inaccessible a voulu frayer avec les hommes, et que son Fils s’est manifesté dans un petit canton de l’univers, entre le règne de César Auguste et celui de Tibère. Les chrétiens ne peuvent se résigner à cette schizophrénie qui consisterait pour eux à croire au salut apporté par Jésus Christ tout en se considérant comme accessoires les faits qui ont marqué cette histoire.

Cette position est une position redoutable, car en même temps, les croyants qui s’adonnent à la recherche historique acceptent le démenti que pourraient leur infliger les faits. En se situant délibérément dans le domaine de l’histoire et non dans celui du mythe, ils rencontrent les autres hommes sur un terrain d’égalité. Sans doute le chemin qu’ils ont fait dans la foi les assure qu’ils n’ont rien à craindre de cette confrontation et que leur attachement au Christ en sortira grandi, mais ils ne doivent pas moins entrer dans un long débat avec les résultats de la recherche, les sonder, les trier, en accepter les conclusions parfois décapantes, afin de saluer, tout à fait à la fin, une vérité plus haute, qui, elle, résiste au feu de la critique.

Mais on dit généralement que les évangélistes n’avaient aucune prétention à faire œuvre d’historiens, ils disaient leur foi en citant les anciennes écritures, et c’est tout.

Ce ne serait pas la première fois que des auteurs engagés nous feraient part de leur expérience et que celle-ci nous apporterait une ample moisson d’informations sur des faits qu’ils contribuent à établir, qu’on pense aux Commentaires de César, par exemple, pour nous en tenir à des exemples contemporains de l’ère chrétienne. Mais, surtout, je ne suis pas sûr qu’on puisse dire que les évangélistes n’ont pas cherché à nous faire entrer dans une véritable histoire. Ecoutez saint Luc par exemple au début de son Evangile : « Puisque beaucoup ont entrepris de composer un récit des événements accomplis parmi nous, d’après ce que nous ont transmis ceux qui furent dès le début témoins oculaires et qui sont devenus serviteurs de la Parole, il m’a paru bon, à moi aussi, après m’être soigneusement informé de tout à partir des origines, d’en écrire pour toi un récit ordonné, très honorable Théophile, afin que tu puisses constater la solidité des enseignements que tu as reçus » (1, 1-4). Bien sûr, ils n’écrivaient pas l’histoire comme nous le faisons, ils rapportaient de longs discours de leurs personnages qu’ils n’avaient pu reconstituer sur bande magnétique, et qu’ils récrivaient donc en partie, c’est évident, mais ils avaient chacun à sa façon le souci de rapporter des faits qui avaient une valeur en tant que faits, et pas pour illustrer une thèse préalable.

Vous voulez dire que l’exactitude historique était pour eux importante ?

Parfaitement. En donnant leur foi à Jésus de Nazareth, ils acceptaient de s’engager sur la réalité des faits rapportés à son propos, c’est pourquoi la véracité du récit n’est pas pour eux facultative.
Il y a, dans la Bible elle même deux manières de raconter des faits : il y en a une qui est simplement illustrative (pour appuyer une leçon morale, par exemple), il y en a une autre qui souligne l’importance de ce qui est arrivé, parce que c’est cela qui compte pour comprendre le dessein de Dieu. Mettez dans le premier cas un joli conte, comme celui du livre de Tobie, par exemple, la leçon, ou plutôt les leçons sont claires : Dieu n’abandonne pas les siens, l’hospitalité est agréable à Dieu, le mariage en vue de la procréation est source de bénédiction, tout cela nous est illustré par un récit qui s’accommode allégrement de beaucoup d’à peu près au niveau de la géographie et de l’histoire. Mais qu’importe ? seule compte en définitive la conclusion et tout le monde le comprend ainsi. Mettez en regard des livres comme ceux de Samuel, vous avez déjà un autre rapport à l’histoire : on a rassemblé là tout le matériau disponible (au risque de certaines incohérences) pour retracer ce tournant essentiel dans la destinée du Peuple de Dieu, il s’agit de montrer comment Dieu va se lier avec la famille de David, malgré les manquements en tout genre des hommes. C’est l’évènement lui-même qui compte.

On entend dire que les évangélistes qui avaient une culture juive n’avaient pas le même sens que nous de l’historicité. Qu’appelle-t-on au juste un midrash ?

Effectivement on parle souvent de midrash pour caractériser le genre littéraire de certaines parties des évangiles (notamment ce qu’on appelle les Evangiles de l’Enfance, c’est-à-dire les chapitres 1 et 2 de saint Matthieu, 1 et 2 de saint Luc). Le mot, qui dérive de la racine hébraïque qui veut dire « chercher », a un sens assez large, mais on entend généralement par là les récits édifiants qui ont bourgeonné autour de la Loi et des Prophètes pour illustrer certaines de leurs indications, on est là dans le genre illustratif dont je parlais plus haut. Mais on oublie souvent qu’il y a une forme particulière de midrash, qu’on nomme dans la littérature des manuscrits de la Mer Morte pesher et qui désigne le procédé par lequel on actualise toute sorte de vieilles prophéties à partir d’exemples contemporains : tel passage du prophète Habacuc qui annonçait la persécution du juste (1,4b) est lu par l’auteur, qui est sans doute un essénien, comme l’annonce de l’éviction de celui qu’on appelle le Maître de Justice, écarté du sacerdoce par le « Prêtre impie ». Or ce procédé, effectivement employé par les évangélistes surtout dans les parties consacrées à l’enfance de Jésus, signifie qu’on rapproche une prophétie ancienne d’un évènement beaucoup plus proche dont on a appris l’existence. C’est ainsi que la naissance à Bethléem peut être lue dans la continuité du passage de Michée 5,1 (« et toi Bethléem Ephrata, trop petite pour compter parmi les clans de Juda, de toi sortira pour moi celui qui doit gouverner Israël »). Entendons-nous bien : cela ne veut pas dire que la référence prophétique découlerait de la conviction que Jésus est le Messie attendu, mais, à l’inverse, que c’est ce rapprochement inattendu, merveilleux, bouleversant, qui a fait naître, chez les premiers témoins d’abord, puis chez les chrétiens qui les ont suivis, la conviction de la messianité de Jésus. Le rapprochement n’a de sens que si le fait est réel et patent, sinon pas de pesher !

Quand on part de l’hypothèse inverse et qu’on suppose que des rapprochements comme celui-là sont des illustrations construites après coup, on finit par faire du christianisme un effet sans cause. D’où viennent toutes ces idées qui auraient animé les premiers chrétiens et qui les auraient amenés à chercher des illustrations en forgeant après coup rapprochements prophétiques et faux miracles ? Si aucun évènement réel ne les avait amenés à la foi au Christ, il faudrait supposer que celle-ci n’est qu’une élaboration intellectuelle en vase clos, ce qui est bien peu vraisemblable au vu de la composition du premier groupe de disciples.

Une dernière question : y a-t-il un lien entre cette conférence et la sortie prochaine du livre du Pape, le deuxième tome de « Jésus de Nazareth » ?

Evidemment, nous y avons pensé. Sans savoir encore les conclusions de cet ouvrage et sans prétendre l’annexer, il est aisé de voir déjà dans le premier volume paru en 2007 que son souci est de se tenir très informé des recherches historiques et en même temps de ne rien lâcher de la réalité des événements qui ont marqué la vie de Jésus.

Soirée « Résurrection »
Jeudi 27 Janvier 2011 de 19h00 à 21h30
à l’Institut Goethe, 17 avenue d’Iéna, Paris 16ème

accès :

Métro : Iéna (ligne 9)

Bus : N° 32, 63, 82.

Possibilité de se garer avenue d’Iéna et rue de Lübeck

Inscription

L’entrée est libre, les non-inscrits seront admis dans la limite des places encore disponibles. Pour avoir une place réservée, renvoyez ce bulletin à Résurrection, 25, rue Vieille Notre Dame, 77160 Provins ou Inscrivez-vous sur le site

http://www.mouvement-resurrection.org/colloque/

ou auprès de soeurfrancoise@yahoo.fr

ou laissez un message téléphonique

au 01 60 58 46 50

Les prochains rendez-vous DE RÉSURRECTION

SOIREES SPIRITUELLES

les 7 février, 14 mars, 4 avril et 16 mai 2011

à 20h30 à Saint Christophe de Javel,

28 rue de la Convention, Paris 15ème 

Cours de théologie et adoration

RETRAITE DE CAREME

26/27 mars 2011

« Le combat spirituel à l’école des Pères du désert » par le Père Michel Gitton

  1. L’enracinement historique des évangiles

    Le point de vue d’un historien juif et d’un prêtre catholique

    Avec

    Guy Stroumsa, Professeur à l’Université Hébraïque de Jérusalem, enseignant à Oxford et spécialiste du judaïsme du second Temple

    et

    Le Père Michel Gitton, ancien assistant d’histoire ancienne
    à l’Université Paris X, Directeur de la revue Résurrection