Nous n’avions plus qu’à pleurer. Autocar après autocar, des fournées d’étudiants Chrétiens de Droite débarquaient du Sud à l’assemblée générale 1980 de l’Association Nationale des Étudiants, et en quelques jours ils mirent la main sur l’organisme que nous, étudiants de gauche, contrôlions depuis sa fondation dans les années 60.
Étudiants, meneurs d’hommes, mes amis et moi-même faisions partie de la petite équipe animant la première association estudiantine du pays. Nous étions tellement sûrs de nous que, même après le débarquement massif des Étudiants Chrétiens à l’A.G. de Boulder (Nevada) cette année-là nous ne pensions pas qu’ils pourraient nous bousculer. Leur présence n’était pour nous qu’anecdotique. Et plutôt qu’organiser une stratégie défensive, nous avons pris le temps de lancer un concours de dégustation de chanvre, ce qui nous valut un article et même la couverture de la revue High Times.
Et pourtant, lors de la session plénière, les intentions des nouveaux arrivants se révélèrent. Ils voulaient s’emparer de notre organisme et, en quelques tours de scrutin, ils nous en ont dépossédés. Nous ne pouvions, bouche bée, que constater. Nous avons alors mesuré l’impact politique de la Droite Chrétienne qui, peu après, donnerait l’élan portant Ronald Reagan au pouvoir. Je soupçonne le maître organisateur et stratège Ralph Reed d’avoir été l’artisan de la manœuvre lors de cette assemblée d’il y a 30 ans.
Bien sûr, j’ai sauté le pas depuis, et j’ai renoncé aux positions que je tenais voici quelques décennies. Mais je crains que nous assistions à un événement moins dramatique mais aussi grave dès à présent. Une éclipse partielle de ce mouvement né voici trente ans, causée par une collusion d’ultra-libertaires et d’activistes homosexuels. (NdT : le mouvement libertaire aux États-Unis, non politiquement structuré, se réclame de la révolte des colonies américaines au XVIIIe siècle contre le pouvoir centralisateur du Roi d’Angleterre: «moins l’état intervient, mieux on se porte.»)
L’avis de décès de la Droite Chrétienne est régulièrement publié par les médias nationaux depuis des décennies, tout faux. Et la position de la Droite Chrétienne sur l’avortement est toujours aussi efficace. La preuve ? le débat sur la réforme de la santé, priorité de notre président de gauche, a échoué sur la question de l’avortement. Mais pour les questions sur la famille et l’homosexualité, c’est une autre histoire.
La possibilité pour un militaire de déclarer son homosexualité a été ressentie comme une lourde défaite pour la Droite Chrétienne. Cette nouvelle a profondément perturbé les spécialistes de la famille, tel Allan Carlson. Celui-ci considère que les répercussions sont considérables, les militaires étant soumis à la discipline et ayant en même temps une influence certaine dans la société. Son premier souci se porte sur les aumôniers servant dans les forces armées, qui pourraient être poussés à la démission, empêchés de traiter dans leurs homélies sur ce point particulier des Écritures. De plus, il craint un effet de tache d’huile. Par exemple, comment refuser le droit au mariage à celui qui est prêt à mourir pour la patrie ?
D’autres événements importants montrent combien s’amenuise l’influence de la Droite Chrétienne sur la question. Les gens chez Apple ont supprimé une application iPhone — pourtant déjà approuvée — développée pour promouvoir la « Déclaration de Manhattan »; cette déclaration, signée par près de 500 000 Américains, fait état de la position des Chrétiens sur la vie et le mariage. Apple a supprimé l’application suite à une plainte soutenue par une pétition de seulement 7 000 signataires. Jusqu’à présent les efforts pour la rétablir ont été vains. Parmi les 200 000 applications approuvées par Apple on en trouve des douzaines favorables aux thèses homosexuelles. Et la seule application défendant les valeurs Chrétiennes est rejetée.
Récemment plusieurs courants de pensée de la Droite Chrétienne ont été affublés du nom de « groupes de haine » par le « Southern Poverty Law Center ». Parmi eux des associations conservatrices telles que « Concerned Women for America » (Femmes pour la défense de l’Amérique) et le « Family Research Council » (Centre de recherche sur la Famille). Leur « crime haineux »: l’opposition au mariage gay, ouvertement soutenu par le Président Obama. La plupart d’entre nous sait bien que le « Southern Poverty Law Center » n’a jamais été guère mieux qu’un ramassis d’écrivaillons d’extrême gauche qui a encore l’oreille des médias et autres gogos.
Ce conflit a aussi éclaté au sein du mouvement conservateur. Bien que le conservatisme social soit un des fondements du « Tea Party », certains de ses animateurs laissent entendre que les questions de société ne sont pas à l’ordre du jour, et spécialement l’opposition à l’homosexualité. Voici quelques semaines les organisateurs du « CPAC », un groupement de mouvements conservateurs, a voté l’admission d’un organisme activiste pro-gay parmi les donateurs, au grand dam des groupes de la Droite Chrétienne qui se sont alors retirés de la réunion.
Pete Wehner, ancien membre du cabinet Bush à la Maison Blanche, déclara que leur réaction révélait un manque de confiance en soi, et qu’ils auraient dû rester et faire entendre leur réprobation. Je me demande si les Chrétiens n’auraient pas dû s’inspirer de l’exemple de leurs prédécesseurs à l’Association Nationale des Étudiants d’il y a trente ans.
Confiance en soi. Ces jeunes sont alors simplement entrés en nombre suffisant et avec à-propos, et ils se sont emparés de l’assemblée. Que se serait-il passé si des centaines de Chrétiens s’étaient présentés à cette réunion en proclamant que la question de l’homosexualité n’a rien à faire avec le mouvement conservateur ? Ce n’est pas un sujet de débat. Cette question n’est pas négociable. C’eût été un beau début pour l’année 2011.
Moi aussi, je suis chagriné. Charles Krauthammer a déclaré que la question des homosexuels dans l’armée était incontournable. Les autres questions le sont-elles aussi ? Le mariage gay ? L’adoption ? La suppression de l’objection de conscience ? Serons-nous considérés comme agents de haine ? Serons-nous interdits de vie publique ? Et que penseront de leur vieux papa mes deux fillettes — cinq ans, deux ans — et de son attitude prétendument haineuse ?
Réflexions graves et dérangeantes en ce début d’année; si nous ne réagissons pas, et vite, ces deux prochaines années peuvent voir l’avènement en Amérique de ces tristes perspectives.