John Henry Newman, un pèlerin de la vérité - France Catholique
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Pontificat de François - numéro spécial
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John Henry Newman, un pèlerin de la vérité

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Béatifié ce mois-ci, John-Henry Newman a accompli au XIXème siècle un pèlerinage de conversion précieux pour aujourd’hui.

En ce mois de septembre, en proclamant bienheureux le cardinal Newman à l’occasion de sa visite en Angleterre, le Pape Benoît XVI va rendre un hommage capital à un homme de Dieu converti de l’agnosticisme au catholicisme en passant par l’anglicanisme. Dans un tout récent livre, le cardinal français Jean Honoré, grand spécialiste de la pensée de cette haute figure spirituelle britannique, évoque les étapes et les souffrances de son « combat de la vérité » 1.

« Je ne suis pas théologien », écrivait Newman à la fin de sa vie à l’Oratoire de Birmingham. Il précisait : « J’aime aller mon chemin, prendre mon temps, vivre sans faste ni position, ou avec des urgences ». Malgré la demande du Pape Pie IX intrigué par lui, il refusa d’être « consulteur » du Concile Vatican I en 1870. Bien que blanchi d’accusations doctrinales injustes et très loyal vis-à-vis de l’Eglise catholique qu’il défend en terre anglaise, il garde conscience de la distance persistante entre le style de son approche personnelle de la foi – fidèle mais originale -et le modèle classique du discours alors adopté à Rome.

Sensible sans agressivité, mais exigeant dans sa quête de vérité, Newman n’a pas peur des polémiques s’il en faut : « Je suis un controversiste, non un théologien ». Mais il n’a jamais omis de s’assurer de la solidité doctrinale de ses propos. Quand il écrit, également en 1870, un « Essai en vue d’une grammaire de l’assentiment », il sollicite l’avis  d’un théologien-conseil qui lui apporte des confirmations d’orthodoxie. Car l’ancien lecteur d’Oxford reste conscient de ses limites : de formation surtout littéraire, il est adepte d’un langage rigoureux. Après avoir lu plusieurs grands classiques de la philosophie, il a fait une étude approfondie des Pères de l’Eglise indivise du Premier millénaire, trésor commun à tous les chrétiens. Mais la scolastique médiévale telle que certains lui enseignent à Rome en 1847 le rebute pour son « formalisme », et il y craint une abstraction stérile.
Mais à la manière de Pascal écrivant que « la vraie éloquence se moque de l’éloquence », sans doute Newman aurait-il pu dire que la vraie théologie se moque d’une théologie théorique coupée de la vie de foi… Le cardinal Honoré décèle dans sa pensée religieuse une « modernité » constructive, qui « introduit la raison dans l’orbite de l’acte de foi », et « se sert d’un langage si limpide et si suggestif qu’il force l’intelligence de la vérité ». Il définit ainsi le « paradoxe de Newman » : « Avoir ouvert des voies nouvelles à la pensée théologique tout en se sachant sans compétence reconnue au sein de la corporation des théologiens de profession ».

Ce livre définit la modernité de Newman en trois points : 1. « Le mérite d’introduire en théologie la dimension historique que l’approche des sommes scolastiques du Moyen Age semble avoir plus ou moins ignorée » ; 2. L’apport d’une plénitude de sens à la Tradition dans l’Eglise, comme expression toujours actuelle de la foi ecclésiale éclairée par le Saint-Esprit ; 3. Un renouvellement considérable de l’approche des vérités doctrinales, conçues comme un message à la fois révélé et sujet à un développement croissant qu’il faut effectuer et examiner avec soin.

Au fil de l’histoire, l’Eglise et sa foi sont restées « dans une parfaite homogénéité avec l’Eglise des Apôtres » : ainsi Honoré résume-t-il Newman. Et il relaye sa réflexion, tant vis-à-vis du protestantisme que d’un conservatisme intégriste se voulant catholique : le premier induit l’idée que la Révélation étant close, l’expression de la foi « demeure uniforme et intangible depuis les premiers conciles ». Et « paradoxalement, c’est le même préjugé, si inconscient soit-il, qui conduit la sensibilité conservatrice » d’aujourd’hui à refuser le renouveau de Vatican II… ! « De part et d’autre, c’est la même négation du caractère vivant de la Tradition, c’est le même fixisme qui interdit à l’Eglise » de progresser dans l’intelligence et la célébration du mystère de la foi.

Fidélité et ouverture, telle a été en revanche la double démarche de John-Henry Newman : dans une étude critique de l’arianisme négateur de la divinité du Verbe et des « Ariens du IVème siècle », il citait la formule de Saint Grégoire de Nazianze reprochant aux Ariens et semi-Ariens de « faire pirouetter les mots », au mépris de toute rigueur intellectuelle et morale. Il recommandait l’exemple d’Athanase proposant la notion de consubstantialité. Il voit en Athanase un « indomptable » qui a défendu avec la même force l’égalité du Verbe incarné avec le Père et sa filiation par sa génération au sein du Père. Newman explique le mystère de la Trinité divine par la « co-inhérence » formulée par les Pères grecs, identifiant chacune de ses trois personnes tout en sauvegardant leur unité.

Le premier projet de Newman a été de redonner à l’Anglicanisme, auquel il adhérait alors, une fidélité plus stricte à l’héritage du christianisme original des Pères de l’Eglise : dans le sillage du « Mouvement d’Oxford » et de ses « Tracts for the times », zélateurs de la notion de « succession apostolique », il va proposer une « Via media », chemin intermédiaire entre le catholicisme romain et le protestantisme continental radical. A Londres, on l’accuse de promouvoir un catholicisme déguisé… Mais à Rome, on relayera jusqu’auprès du Pape des calomnies venues d’Angleterre accusant le même homme d’un… retour à l’anglicanisme ! En réponse, en 1864, il rédige une « Apologia pro vita sua », plaidoyer argumenté qui va beaucoup ébranler l’opinion anglaise, jusqu’à entraîner des conversions au catholicisme.
Le converti en pleine évolution avait pourtant rejeté « les dérives protestantes qui ont pénétré l’évangélisme » anglais, et qui « imprègnent la mentalité commune des anglicans ». Ceci l’amène à une critique de Luther : la contestation de la vision luthérienne de l’Ecriture lui permet de « corriger la compréhension qu’elle donne de la foi et du salut », constate Mgr Honoré. Newman reproche à Luther de trop faire de la foi un simple produit de la pensée, et de « tronquer l’œuvre du salut » telle qu’elle a été définie par Saint Paul, en rejetant la notion d’évolution de l’âme vis-à-vis de Dieu.

A l’inverse, Newman place au cœur de sa spiritualité la Providence qui dispense à l’homme ses grâces pour le garder dans la fidélité de sa foi. C’est à cette intervention divine que se rattache la « tradition prophétique » qu’il attribue à l’ensemble du peuple de Dieu, parallèlement à la tradition épiscopale de la succession apostolique. Le nouveau cardinal anglais va se montrer un précurseur du concile Vatican II dans son souci de promotion des laïcs comme coresponsables de l’évangélisation.

En matière d’approche de la foi, Newman sait que la raison ne suffit pas, mais parle de « convergences de probabilités ». Sa réflexion sur les rapports entre foi et raison va inspirer l’encyclique Fides et Ratio de Jean-Paul II et la réflexion concomitante du futur Benoît XVI… Cependant, c’est toujours au « rendez-vous de la conscience » qu’il invite son lecteur pour lui faire voir ce qui l’a fait progresser ou régresser sur le chemin de cette foi.

  1. Cardinal Jean Honoré, John-Henry Newman, le combat de la vérité, Cerf 223 p., 24 euros. Et J-H Newman, le cœur parle au cœur, Ed. Le Livre ouvert, Collection Paroles de vie, 60 p, 6 euros.