Plus les images sont pudiques, plus loin elles portent.
Pour annoncer la nouvelle de la mort du Père Louis Jousseaume, curé d’Égletons, France 3 n’avait rien à diffuser qu’une vue du presbytère où l’on avait trouvé le corps du prêtre assassiné la veille. Image banale : une porte de cuisine vue de loin, du dehors, sinon qu’à cette porte vitrée, un rideau de tulle blanc était marqué d’éclaboussures…
Du mardi 27 octobre à la fin de la semaine, ce voile maculé hanta midi et soir les écrans et pénétra les cœurs bien au-delà du Limousin, tant il est vrai que la mort violente d’un prêtre parle aux consciences, quel que soit leur degré de foi ou d’incroyance.
Louis Jousseaume, rejoint plus tard par son frère Michel, également prêtre, se dévouait depuis quarante ans aux âmes du diocèse de Tulle. Tous deux natifs de La Merlatière en Vendée, ils avaient choisi la mission sur une terre plus austère et pauvre en vocations. Aumônier des jeunes, puis du mouvement Chrétiens en monde rural (CMR), responsable de la pastorale liturgique et sacramentelle, il avait été vicaire à Brive et à Ussel avant d’être nommé en 1981 curé d’Égletons.
En une trentaine d’années, la pénurie de prêtres a fait de cette seule paroisse le centre d’un secteur couvrant près de trente communes, des Monédières à la lisière du Cantal. Avec un confrère polonais arrivé en renfort, l’homme parcourait inlassablement le territoire en dispensant un ministère qui n’oubliait rien ni personne, et ne l’empêchait pas de participer de cent façons à la vie du diocèse et à ses pèlerinages, voire aux activités humanitaires et artistiques de la ville centre. Amateur de musique et de chant, c’était un animateur entraînant, dont certains comparaient en souriant la cithare à celle du barde gaulois de la bande dessinée, tandis que la sincérité de ses homélies et la solennité qu’il donnait à la liturgie, en particulier lors des funérailles, imposaient à tous, croyants et moins croyants, son charisme de pasteur du Christ Jésus. Il exerçait avec joie l’hospitalité.
Qu’est-ce qui, parvenu au terme de cette existence vouée au service, désignait Louis Jousseaume pour être ainsi immolé ? Ce service lui-même, dont c’est le redoutable et miraculeux accomplissement. On dira que le sang du juste crie vers le ciel. Et cela est vrai ! A condition de comprendre que ce sang versé ne crie pas vengeance mais implore du ciel et attend de nous-mêmes miséricorde et louange.
Le signe en fut donné vendredi quand, devant le cercueil entouré de compassion par l’Église rejointe par le peuple et les élus de Corrèze, l’évêque Mgr Bernard Charrier, accompagné de son prédécesseur Mgr Patrick Le Gal, osa le parallèle entre cette fin violente, apparemment absurde, et le martyre des moines de Tibérine, en lisant un extrait du « testament » de Christian de Chergé, dont la maison natale est à quelques pas, dans le Lot.
Quant à son assassin, pauvre garçon que tous ici ont plus ou moins croisé, lui qui par déraison – croyant « tuer le diable » ou « poussé par une force qui lui échappait » – s’est rué, acharné sur le corps de l’homme de Dieu, il porte le nom étrangement éloquent de Herrgott (en allemand, Seigneur Dieu) et ne cesse depuis de pleurer son égarement. A lui peuvent s’adresser les derniers mots du même « testament » :
« Et toi aussi, l’ami de la dernière minute, qui n’auras pas su ce que tu faisais. Oui, pour toi aussi je le veux ce MERCI, et cet A-DIEU envisagé de toi. Et qu’il nous soit donné de nous retrouver, larrons heureux, en paradis, s’il plaît à Dieu, notre Père à tous deux. Amen. »
Au mystère du Mal, le Maître a répondu par les Béatitudes. Heureux est Louis Jousseaume dont la dépouille torturée repose en terre dans sa Vendée natale, et qui nous laisse en gage des noces éternelles un petit voile lavé dans le sang de l’Agneau.
Luc de Goustine
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