Ce qui se joue depuis des années dans le domaine des droits de l’homme est peut-être un des débats essentiels qui engagent l’avenir. Dans la grande tradition occidentale, comme on la trouve avec l’indépendance américaine ou la déclaration des droits de l’homme de 1789, les droits de l’homme sont des droits fondamentaux, reflétant le droit naturel, ce qu’on appelle en général des droits de (comme le droit de propriété) par opposition aux droits créances, aux droits à, qui viennent contredire les précédents. Les droits fondamentaux, conformes au droit naturel sont intangibles et aucune majorité ne saurait les abolir : ils sont supérieurs et antérieurs à toute loi positive. C’est pour cela que, de manière symbolique, ils sont en général déclarés « sous le regard de Dieu », voire, dans une formule très XVIII° siècle « en présence et sous les auspices de l’être suprême » comme c’est le cas pour la déclaration de 89. Ils découlent d‘ailleurs en gros du Décalogue, sur lequel repose toute la tradition judéo-chrétienne.
Déjà, l’Occident a mis le ver dans le fruit en y ajoutant des doits sociaux, des droits créances (comme le droit opposable au logement) qui ne pourraient être réalisés qu’en détruisant les droits fondamentaux, comme le droit de propriété. C’est le cas du préambule de la constitution de 1946, qui fait partie du bloc constitutionnel français en vigueur, ou de la déclaration universelle des doits de l’homme, adoptée par l’ONU sous étroite surveillance soviétique.
Mais un autre discours s’est fait jour : ces droits fondamentaux, ce droit naturel, ce n’est que la conception occidentale, parfaitement subjective, que des continents entiers ne sauraient reconnaître, car la conception des droits de l’homme varie légitimement d’un régime à l’autre, d’un continent à l’autre, d’une tradition à l’autre. Au fond, pour certains –pays communistes, pays islamiques- cette conception n’est qu’un reflet de l’impérialisme occidental, qui veut imposer ses valeurs.
C’est ce débat qui vient de ressurgir une nouvelle fois au sein de l’ONU, puisque désormais chaque pays doit, tous les quatre ans, y défendre son bilan des droits de l’homme dans le cadre de l’EPU (Examen périodique universel). C’était récemment, pour la première fois, le cas de la Chine. On connaît son bilan peu flatteur en termes de défense des droits fondamentaux ou des libertés élémentaires. Mais la Chine est très habile. Tous les pays qui le veulent peuvent participer au débat : l’astuce consiste donc à faire parler des pays amis, ou des obligés, ou de bons clients, qui viennent parler d’autre chose pour noyer le poisson. C’est ce qui s’est passé, 60 pays intervenant, sur 115 inscrits, pour féliciter Pékin… de ses succès économiques.
Seuls une dizaine de pays occidentaux (tous n’ayant donc pas été très courageux) ont osé critiquer la Chine, à propos de la répression au Tibet, de la peine de mort ou des camps de travail. La Chine ne s’est pas démontée, renvoyant les Occidentaux dans les cordes, en leur demandant de lire les lois chinoises, ou en les accusant (comme dans le cas de l’Australie) de politiser la question des droits de l’homme…Mais l’essentiel n’est pas là. Les Chinois se défendent surtout en parlant d’une « vision différente » des droits de l’homme. Il faudrait relativiser les droits civils et politiques, les droits naturels, au profit des droits « économiques » et sociaux.
La Chine a donc détaillé ses résultats, affirmant qu’elle avait atteint les objectifs du millénaire pour réduire la pauvreté, ce qui est exact. Donc elle respecte mieux que les autres les droits sociaux. Pour les droits de la personne, on verra plus tard, puisqu’ils sont secondaires par rapport aux droits économiques et sociaux. Tant pis pour les libertés fondamentales, tant pis pour les libertés de la presse, de réunion, d’expression, de religion, pour l’indépendance de la justice ou pour les droits de propriété, sans doute des « libertés formelles ». Cela doit s’effacer devant le système « des secrets d’Etat » qui invalide arbitrairement toutes les lois protectrices.
Le régime sait bien qu’accepter une « conception bourgeoise « des droits de l’homme reviendrait à détruire l’omnipotence du parti communiste. D’où la nécessité de cette « vision différente » des droits de l’homme, pour inciter chacun à regarder ailleurs. C’est grave. Mais qui a fait la première erreur ? L’Occident, quand il a introduit de faux droits parmi les droits de l’homme. La Chine ne fait qu’aller au bout de cette logique perverse.
Jean-Yves NAUDET
Pour aller plus loin :
- Les droits de l'homme désincarnés
- SYRIE : ENTRE CONFLITS ARMES ET DIALOGUE INTERNE
- VOCATIONS : QUELLE VISION PASTORALE EN FRANCE ?
- Cour européenne des droits de l’homme : le « droit à l’enfant par procréation artificielle » est renvoyé devant la Grande Chambre.
- Affaire A. B. C. contre Irlande relative à l’avortement : « Pas de droit fondamental à l’avortement » selon la Cour européenne des droits de l’homme