La France et l'Algérie : leçons d'histoire - France Catholique
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Pontificat de François - numéro spécial
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La France et l’Algérie : leçons d’histoire

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Frédéric Abécassis, Gilles Boyer, Benoit Falaise, Gilbert Meynier et Michelle Zancarini-Fournel (sous la direction de).

La France et l’Algérie : leçons d’histoire. De l’école en situation coloniale à l’enseignement du fait colonial.

INRP, Lyon, 2007, 260 pages, 22 €.

Cet ouvrage reproduit une partie des Actes du colloque organisé en juin 2006 par l’Université Lyon 1, l’ENS Lettres et Sciences humaines de Lyon et l’Institut national de recherche pédagogique. Ce colloque, organisé en réaction à la loi du 25 février 2005, reprend un certain nombre de clichés tels que la violence industrielle de la France opposée à la violence artisanale du FLN, la torture érigée en système, l’exclusion des autochtones par l’école, la langue française imposée par le feu et le sang, l’arabe marginalisé, et j’en passe.

La première partie, intitulée Ecole, trésor de guerre, a l’ambition de tracer un bilan scientifique de la scolarité des musulmans. Aissa Kadri considère la loi de Jules Ferry de 1883 comme le point de départ de cette scolarité, mais ce n’est qu’après la guerre de 1914 que les musulmans commencent à s’intéresser à une instruction moderne, qui ne serait pas seulement coranique. Il faut attendre l’ordonnance du 20 août 1958 pour que des progrès réels soient constatés. L’auteur ignore le bilan de l’année 1961, qui se traduit par un taux de 68% ; il ne semble pas observer que les retards initiaux du primaire expliquent les lenteurs de l’accès au secondaire et au supérieur. Il note cependant que dès 1857 a été créée une école de médecine et en 1909 l’Université d’Alger.

Taleb Ibrahimi montre que la langue arabe, vecteur d’islamisation, est en concurrence avec l’amazigh, qui à la suite du printemps noir de 2001, a été reconnue langue nationale. Quant au français, prioritaire pour les familles, c’est la langue du pain ; il a influencé les usages et aurait produit une déculturation coloniale !

Gilbert Grandguillaume estime que l’arabisation prônée par les oulemas traduisait leur mépris du peuple algérien et le rejet des confréries. Sous Ben Bella et Boumediene, les deux clans se sont opposés. Les modernistes attachés au français étant majoritaires, une réforme a été tentée après la guerre civile, jusqu’à ce que le président Bouteflika, malgré la pression des islamistes, se prononce pour le multilinguisme.

La deuxième partie est consacrée aux relations entre droit, mémoire et histoire. Le rejet des lois mémorielles, contraires à la liberté d’expression, est confirmé par le juriste Thierry Le Bars, qui observe que la loi Taubira exclut la traite arabo-musulmane et que seule la Loi Gayssot est une loi pénale.

Guy Pervillé note la contradiction entre l’hypercommémoration de la guerre par l’Algérie, et la politique d’oubli de la France, où désormais le devoir de mémoire valorise le culte des victimes. Il reprend ensuite la critique de toutes les lois qui menacent la liberté de l’historien (affaires Lewis et Petre-Grenouilleau). Quant à l’exigence de repentance de Bouteflika, elle vise à consolider la victoire sur les islamistes. Le traité d’amitié franco-algérien a donc échoué pour des raisons de politique intérieure.

Claude Liauzu, disparu depuis, analyse la guerre des mémoires entre les revanchards du lobby pied-noir et les « partisans de l’extermination coloniale » (Le Cour Grandmaison, Einaudi, les Indigènes de la République et le Livre noir du colonialisme). Il conclut que les manichéismes apologétiques ou dénonciateurs ne sont pas des réponses aux enjeux actuels du passé colonial.

La vision pied-noir des rapports France-Algérie tend selon Yann Scioldo-Zurcher à glorifier la mission civilisatrice de la France, l’image des pionniers et les relations entretenues avec les musulmans, et donc à les déculpabiliser des comportements inégalitaires qui leur sont reprochés.

L’Italien Nicola Labanca fait état des polémiques historiques entre l’apologie des brava gente et la dénonciation des camps de concentration et de l’emploi des gaz par Mussolini.

Enseignement et transmission est le titre de la troisième partie. Analysant le Journal des Instituteurs (JDI) de 1947 à 1963, Benoit Falaise montre qu’à côté des prescriptions et des pratiques de classe, il a d’abord exalté les hérauts de la colonisation et de l’assimilation, et qu’au moment de la scolarisation massive, il a fait de l’instituteur le héros de la fraternité.

Françoise Lanthaume étudie les programmes et manuels français d’histoire, qui après avoir célébré le roman national de la plus grande France, ont adopté une approche géopolitique qui met en lumière le phénomène de colonisation-décolonisation dans un cadre mondial, avec le souci de mettre en valeur les rapports France -Algérie et de socialiser des jeunes marqués par la diversité culturelle.

Les manuels algériens constituent pour Lydia AÏt Saadi une manipulation du passé, en conférant à la guerre d’indépendance le rôle fondateur de l’Etat. Dans trois périodes fondatrices, trois mythes sont retenus : la table rase du passé, le peuple homogène et la révolution par les paysans… L’enfant est engagé, aliéné dans un système affectif qui rejette les forces du mal (la trahison).

Gilles Boyer et Véronique Stacchetti proposent d’enseigner la guerre d’Algérie en dépassant les enjeux de mémoire. Ils s’appuient sur l’interview de 15 professeurs qui ont enseigné la décolonisation par la guerre, en se fondant sur les inégalités sociales, les intentions du FLN et leurs conséquences sur les rapatriés et les immigrés. Cette histoire complexe est généralement méconnue des élèves maghrébins, sauf dans certaines banlieues où s’affirment les identités et où l’expression de harki est une insulte. Ils souhaitent enseigner une histoire stabilisée qui dépasse les querelles mémorielles.

Cette affirmation témoigne d’un bon sentiment. Elle exigerait que l’histoire enseignée évite tout manichéisme et reste à l’écart de la politique militante, selon le vœu de Jules Ferry.

Maurice Faivre