Mgr Dagens, c’est la première fois que vous allez participer au Festival de la bande dessinée comme membre de l’Académie française…
En effet, et j’y serai évidemment comme croyant, comme évêque, mais également comme membre de ce lieu de culture qu’est l’Académie. Et bien entendu, dans ce monde de la bande dessinée, cela m’appelle encore davantage à manifester la présence chrétienne, de l’Église catholique, « de l’intérieur » de la culture contemporaine.
Pensez-vous que la Bande dessinée puisse être un outil d’évangélisation ? (Pas seulement pour les enfants, mais pour les jeunes et les adultes )
Vous me posez la question du rapport entre ce genre littéraire et l’évangélisation. Il me faut faire intervenir un autre élément qui est la culture contemporaine. La Bd peut être un outil, à condition de comprendre réellement les questions vives dont la culture contemporaine est porteuse et qui se manifestent de façon effervescente ou sauvage dans la bande dessinée en général. Pour ma part, je ne suis pas étonné que les jeunes soient fascinés par ce genre, car il fait appel aux questions vives dont ils sont porteurs. On retrouve ces mêmes questions dans le roman, par exemple chez Le Clézio ou Modiano. En quoi ces univers rejoignent-ils les questions vives ? Elles sont de deux domaines : La mémoire du mal et l’inquiétude de l’avenir.
Ces questions apparaissent à l’état d’explosion dualiste, manichéenne en Bd et dans les jeux vidéos, à travers la violence en général, la violence des relations sexuelles…
Mais je les vois aussi dans les lettres des jeunes qui m’écrivent pour demander la Confirmation.
Ce sont des vraies questions de vie et de mort. Dans leurs lettres, ces adolescents évoquent la question du suicide de personnes aimées, père, mère, camarade. Ils sont porteurs d’une mémoire blessée ou transparaît l’inquiétude de l’avenir – la crise est là, l’aggravation du chômage – ils doutent… Voilà le terrain de notre humanité commune.
Qu’est ce que l’évangélisation ? La jonction réelle de ce qui vient de Dieu, le dire de Dieu, et notre humanité réelle avec les questions dont elle est porteuse aujourd’hui. C’est sur ce terrain que la Bd est appelée à manifester la profondeur du mystère pascal.
Auriez-vous un souvenir significatif à nous partager, de votre expérience « d’évêque de la BD » ?
En visitant les multiples stand du Champ de mars, je regardais celui portant le panneau Bande Dessinée Chrétienne quand deux jeunes filles s’arrêtent devant : « C’est quoi ? » demande l’une. « Les chrétiens » répond l’autre. « Ah ? Les chrétiens… Alors c’est gentil ! ». Elle voulait dire : « ça ne fait pas le poids, devant le déploiement de violence et de présence du mal »…
Eh bien je souhaite, comme en littérature, que des chrétiens qui ont reçu ce don pour pratiquer cet art se plongent dans les profondeur de notre humanité commune, et que « cela fasse le poids. »
La présence active des catholiques pendant le Festival représente-t-elle une part importante de l’engagement missionnaire de l’Eglise d’Angoulême ?
Depuis les débuts, il est souhaité que catholiques et protestant soient associés pour cette présence du Christ dans sa dimension Pascale. Et les dates coïncident avec la semaine de l’Unité des chrétiens. Je voudrais rendre hommage au travail bénévole de toutes les personnes qui se consacrent à aménager les stands, les expositions, les différentes manifestations pour accueillir les visiteurs.
J’espère que ces derniers, quand ils entreront dans les églises pour voir des Bd, puissent comprendre que cette maison n’est pas comme les autres et qu’on peut y être reconnu par Celui qui est présent. Avec ces moments de simple bonheur où des images simples au milieu du chaos disent que la vie de Dieu peut jaillir. Je me souviens de sœur Emmanuelle accueillie par des jeunes dans une maison en ruine pendant la guerre du Liban racontait son étonnement d’y voir des plantes vertes et des fleurs ! Voilà : au milieu de ce qui peut provoquer la mort, il y avait la vie. Et à l’intérieur de cette vie : la vie éternelle. Pour terminer je vous propose deux images de la grande Tradition chrétienne : la crèche et la Croix.
Un enfant sur la paille, qui ne parle pas et qui attend d’être accueilli.
Sur la Croix, un homme défiguré qui adresse ses toutes dernières paroles à Celui qu’il appelle Père : « Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font. » Ce sont ses derniers mots au sujet du mal….
Puis à côté de lui le larron : « Souviens-toi de moi quand tu seras dans ton Royaume ». Il répond : « Aujourd’hui, tu seras avec moi au paradis. », Beaucoup de bandes dessinées sont capables de rendre parlants ces événements. Cet homme nommé Jésus qui devient le premier né d’entre les morts par la Résurrection. J’aime beaucoup ce mot de Blaise Pascal qui parle de « la secrète Résurrection ».