3134-Gérontologie mariale - France Catholique
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Pontificat de François - numéro spécial
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3134-Gérontologie mariale

Dans l’engouement commun des personnes âgées et des jeunes gens pour Lourdes, le dr Paul Régnier-Vigouroux voit fondre la frontière qui sépare trop souvent ces générations.
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C’est un mémoire original que va présenter le docteur Paul Régnier-Vigouroux à l’université de Mont­pellier. Son titre : « Quels examens et quelles informations demander pour assurer une bonne prise en charge des personnes âgées ma­lades venant en pèlerinage à Lourdes avec l’Hospitalité Diocésaine ? » L’étude réalisée dans le cadre d’une capacité de gérontologie vise à optimiser le dossier médico-social des candidats pèlerins. Elle s’appuie sur la longue expérience de plusieurs hospitalités diocé­saines et pourra servir à beaucoup d’autres.

Un tel sujet dénote la place singulière prise par la cité-sanctuaire pour les dizaines de milliers de personnes âgées qui s’y rendent chaque année. Y trouverait-on certaines ré­ponses à l’immense défi du vieillissement auquel notre société est inéluctablement confrontée ? C’est l’avis du docteur Ré­gnier-Vigouroux. Avec lui, on découvrirait presque dans le sanctuaire marial un haut-lieu de l’innovation gérontologique. Exemple, ce double bracelet électro­nique proposé par l’Hospitalité Notre-Dame de Lourdes aux binômes de pèlerins composés d’un accompagnateur et d’une personne âgée désorientée. Cette dernière risque de se perdre ou de fuguer dans les méandres de la cité mariale. L’objet qu’on lui propose est sécurisant sans être liberticide. Le bracelet de l’accompagnateur sonnera si la personne âgée s’éloigne d’une vingtaine de mètres. Et s’il ne la retrouve pas assez vite, un numéro d’appel spécial lui permettra de la localiser, par GPS.

La décision de partir en pèlerinage pour des personnes âgées et malades, souvent enfermées – pour ne pas dire exclues – dans un quotidien désocialisant, reste un défi. Mais le voyage à Lourdes apparaît – du seul point de vue social – comme l’antidote au livre accusateur de Jérôme Pelissier La nuit tous les vieux sont gris, publié au lendemain de la canicule 2003 avec comme sous-titre « La société contre la vieillesse ». L’auteur dénonçait en substance ce qu’on pourrait nommer l’euthanasie sociale de nos vieillards : confinés dans des ghettos réservés, bannis du bouillonnement de l’innovation, privés de la compréhension d’un monde qui évolue à la vitesse de la lumière. Triste tableau dans lequel beaucoup finissent par envisager avec angoisse leur propre vieillesse.

Mais Lourdes n’en finit pas d’être cette machine à redonner vie. à Lourdes, explique le docteur Régnier-Vigouroux, « on saisit la capacité des personnes âgées de se renouveler » quand le contexte le leur permet. Non pas d’abord par les exceptionnels miracles physiques, que validera le bureau médical du sanctuaire, mais surtout par les multiples miracles affectifs dont toutes les générations sont bénéfi­ciaires. Combien de jeunes gens ont découvert, pendant les quelques jours d’un pèlerinage, qu’il était finalement facile de faire plaisir à des personnes âgées ? Elles n’aspiraient à rien d’autres qu’à entrer en relation. Paul Régnier-Vigouroux en a vu beaucoup se passionner avec surprise pour les conversations intergénérationnelles. L’expérience de vies qu’on croyait sans intérêt se révèle universelle. C’est la sagesse de l’âge. « Beaucoup d’hospitaliers arrivent avec une peur bien compréhensible devant la maladie, la souffrance, la vieillesse ou le handicap. à Lourdes, plutôt que de les éviter, ils les regardent en face ». Et ils se découvrent capables de les éclairer d’un seul regard.

Avec la rénovation des accueils, c’est l’ensemble du sanctuaire qui s’est adapté ces dernières années aux personnes âgées dépendantes. Car elles viennent de plus en plus nombreuses y chercher consolation. Beaucoup trouvent-là de quoi donner un sens à leur souffrance. Et ceux qui les servent sont fréquemment émerveillés. Ils redécouvrent la valeur d’un temps lentement partagé. Dans une société dont les plus jeunes membres ont fini par imaginer que les plus vieux étaient inu­tiles et où ces derniers, abandonnés, ont également fini par douter de la pertinence de leur vie, Lourdes est une ville où renaît le désir. « Ouverture du cœur, attente de la rencontre, joie de donner et de recevoir », résume le médecin qui té­moigne à son tour du ressourcement personnel que lui donne « ce surplus de temps » dans son service d’hospitalier : une aide pour mieux exercer son métier tout le reste de l’année. Quand la personne la plus vulnérable est au centre de la communauté, il voit les hiérarchies – professionnelles ou sociales – s’effacer devant la contemplation du mystère de la personne fragile.

Tugdual DERVILLE