Arborés par quelques milliers de jeunes marcheurs, les tee-shirts sont de toutes les couleurs de la mode. Tous ont bravé la tempête. Personne ne semble le regretter. Quant aux passants, n’en croyant par leurs yeux, ils cherchent à identifier le motif d’un tel cortège. « Life is life » scande la foule. Autour des chars chargés de sourires, on danse au rythme des décibels.
Mais les joyeux participants n’ont pas la tenue provocatrice qui accompagne certains défilés musicaux auxquels sont désormais habituées les avenues de la capitale. Le message est ici universel. Il est frappé sur chaque poitrine, en rouge sur fond blanc, comme sur un précieux colis. Un seul mot : « fragile ». Deux mains stylisées l’enserrent, qui protègent sept logos déclinant des êtres humains à tous les stades de la vie. A gauche un garçonnet, un grand père avec sa canne et une petite fille, à droite une maman portant un nourrisson, un homme adulte, et une personne en fauteuil roulant. Toutes générations côte à côte. Vous avez dit « toutes » ? Au milieu, deux cercles se fondent en un dessin plus étrange. C’est un œuf fécondé, au tout premier stade de l’existence. Le talent et le cœur de la Life parade sont là. Chanter la beauté de la vie – « toute la vie et la vie de tous » – sans chercher la polémique.
Conscient que « l’amour de la vie est la condition sine qua non de son respect », Pierre se réjouit de voir que « le message passe ». 100.000 exemplaires d’un journal édité pour l’occasion sont facilement distribués par des dizaines de jeunes qui n’hésitent pas à aborder le passant. « Si l’accueil est positif, note Raphaël, c’est que notre message rejoint la plupart des personnes qui partagent notre conviction que l’enfance est sacrée ». Même certains journalistes semblent avoir délaissé la réserve qui avait marqué la « couverture » de la Life parade 2005. « Le cortège s’est ébranlé sous une pluie de confettis et de décibels en direction de la place Vauban, près des Invalides, où étaient prévus un concert ainsi que la lecture de témoignages d’anciens jeunes drogués et de jeunes engagés dans des opérations humanitaires dans l’Asie du Sud-est », précise l’AFP dans sa première dépêche, au début de l’événement. Elle estimait à ce stade à 2 000 le nombre de marcheurs. Un chiffre un peu décevant pour les organisateurs. « La météo ne nous a pas aidés », analyse Pierre. Les averses du matin ont dissuadé les plus frileux, tandis qu’avenue de Breteuil, il faut parfois se cramponner aux tentes pour les empêcher de s’envoler.
« De toute façon, précise Pierre, c’est la qualité que nous recherchons ». Et celle-ci semble au rendez-vous à en juger par l’affluence aux stands. Chaque association propose de s’engager au service de la vie, et particulièrement de l’enfance, puisque c’est le thème de ce festival de rue. Les organisateurs insistent pour qu’après la parade, les participants puissent trouver de quoi s’impliquer « sur le terrain ». Au micro, la « star du jour », la célèbre Frigide Barjot – qui anime le podium en tandem avec Emile Duport – sait trouver un mot gentil pour chaque association, chaque témoin, tout en restant fidèle à son style déjanté. Elle remercie pour son courage, l’animateur de télévision Jean-Pierre Foucault qui a signé l’émouvant éditorial du magazine de la Life parade. Ancien du « boy band » Alliage qui a traversé le show-biz comme une comète avant « d’exploser en vol », il y a une dizaine d’années, Steven Gunnell impose le silence par son témoignage contre la consommation d’alcool, de drogue et… de femmes dont il est revenu avec sa conversion. Après son dernier mot « N’ayez pas honte ! », il ose une prière. La Life parade a beau afficher une dimension non-confessionnelle, il n’est pas interdit d’y exprimer sa foi. Ici des chrétiens, mais aussi quelques musulmans ne cachent pas leurs convictions. Mais le cœur du message reste humanitaire. Il est centré sur l’urgence de la protection de l’enfance et touche au-delà de toute opinion religieuse.
Au nom de SOS enfance, Caroline Roux, de l’Alliance pour les Droits de la Vie, dénonce au micro les méfaits de la pornographie. Elle lit le témoignage d’un homme tombé dans un état de dépendance au X après avoir visionné à 13 ans, une cassette copiée sur Canal+. « Aider les enfants à ne pas se laisser salir, c’est aussi aider les adultes à vivre une sexualité épanouissante », conclue-t-elle sous les applaudissements, en invitant les jeunes à « résister à la culture pornographique ». L’animatrice la rappelle pour lui remettre une fleur, un tournesol, comme un rayon de soleil dans une société de grisaille, dont trop d’enfants sont victimes.
Au début de la marche, les organisateurs avaient tenu à manifester leur solidarité avec les deux petits enfants récemment victimes de meurtres, tout en récusant tout amalgame avec des manifestations plus politiques exploitant ces tristes faits divers. La Life parade tient à son indépendance. C’est à ce prix qu’elle peut rassembler sous une même bannière, des jeunes de sensibilités diverses, et réunir dans un même « village d’associations » des œuvres aux missions variées : aide à l’enfance (enfance sans drogue), associations familiales (notamment les AFC), action au service des femmes enceintes en détresse, mouvements d’accueil des personnes handicapées…
Et les participants de repartir avec des outils concrets pour « aller plus loin » : « manuel de bioéthique des jeunes » de la Fondation Jérôme Lejeune, argumentaires, affiches et bracelets pour la prochaine fête des mères distribués par l’Alliance pour les Droits de la vie, et dépliants d’associations comme Les enfants du Mékong, A Bras Ouverts ou A fond la Vie qui proposent de partager du temps avec des personnes handicapées ou en difficulté. « Si la parade de rue est un élément fort pour que les jeunes ne se sentent plus seuls à partager cette conviction en faveur de la vie, elle n’a de sens que si cela nourrit les associations en bras et en cœurs » explique Raphaël. Lorsque le « groupe de rock alternatif » Totus entame les morceaux de son nouveau disque, devant un public ravi, Pierre jette un coup d’œil et ose le mot de la fin : « Ici, les filles sont belles ! »
Tugdual DERVILLE