3113-Chypre : la rue Ledra - France Catholique

3113-Chypre : la rue Ledra

3113-Chypre : la rue Ledra

Un mur va tomber au cœur d'une ville divisée : Nicosie, capitale de Chypre. La réunification n'est pourtant pas évidente. Par Yves LA MARCK
Copier le lien
L’occasion manquée en 2004 lors de l’adhésion de Chypre à l’Union européenne précédée d’un référendum sur le plan de Kofi Annan, secrétaire général des Nations Unies, pour la réunification de l’île, se représente. La République de Chypre vient en effet d’élire à sa tête le 24 février le candidat du Parti Progressiste des Travailleurs (communiste), le seul à n’avoir pas rejeté à l’époque le plan de réunification. Ce plan approuvé à 65% par les Chypriotes turcs avait été repoussé à 75% par les Chypriotes grecs. Le président sortant de centre-gauche, Tassos Nikolaou Pa­pa­dopoulos, hostile au plan, a été écarté dès le premier tour à la surprise générale. Au deuxième tour, entre le candidat de droite soutenu par l’influente hiérarchie de l’Église orthodoxe, et le candidat du parti communiste, Demetris Christofias, un athée formé à Moscou, les Chypriotes grecs ont choisi le second à 53,4%. Le bilan économique de la République de Chypre est pourtant excellent, consacré par le passage à l’Euro au 1er janvier dernier. D’où vient donc ce revirement ? De la question de la réunification. La situation en effet se présente différemment après l’effet Kosovo. Les Chypriotes n’ont pas été longs à réaliser inconsciemment que la République turque de Chypre-Nord pourrait fort bien s’inspirer du pré­cédent de l’indépendance de la petite république albanophone de Serbie. Ils ont également compris que leur meilleur allié pour éviter cette sécession était à Moscou. Le parti communiste chypriote, comme celui de Grèce, a une longue histoire de forte proximité avec la Russie. Les ra­cines byzantines l’emportent ici sur les convictions religieuses. Par ailleurs, la finance et le commerce russes, par compagnies off-shore interposées, ont envahi l’île. Les deux présidents (par coïncidence, le nouveau pré­si­dent de la partie turque, Mehmet Ali Talat, est lui-même un ancien communiste) ont donc décidé dès le 21 mars de relancer les négociations et de donner un signal fort en rouvrant l’artère la plus commerçante de Nicosie, la rue Ledra, obstruée depuis 1974 par des barricades de sacs de sable. Les Chypriotes turcs, qui l’ont déjà manifesté lors du référendum de 2004, veulent faire partie de l’Union européenne. Théoriquement l’ensemble du territoire et de sa population originelle est concerné par le traité d’adhésion. La Commission européenne finance d’ailleurs d’ores et déjà des projets dans la partie nord du pays. Plus les négociations sur l’adhésion de la Turquie semblent reculer dans le temps, plus les Chypriotes turcs ont intérêt à se rapprocher de Bruxelles. À l’inverse, le président chypriote grec sortant, T.N. Papadopoulos, multipliait les déclarations conciliantes à l’égard du processus turc puisque son objectif était d’influencer le gouvernement d’Ankara pour qu’il relâche sa mainmise sur la partie nord de Chypre. Nicosie ne souhaitait pas voir s’interrompre le processus de négociation, ce qui aurait entraîné à la fois un durcissement des nationalistes turcs et une volonté affirmée des Chypriotes turcs de rejoindre seuls l’Union. Ce jeu subtil devrait donc se modifier si un nouveau climat de confiance était établi entre les deux parties de l’île. La partie nord insiste toujours pour que la réunification consacre l’existence de deux États distincts et égaux, solution inacceptable pour le Sud qui privilégie une fédération. Mais l’on peut faire confiance aux juristes pour imaginer toutes sortes de solutions intermédiaires dès lors que la volonté politique existe. Qui sait si la formule qui sera retenue ne pourra pas être vue comme un modèle à l’avenir pour les Balkans ? L’Europe, responsable de l’indépendance du Kosovo, a un rôle éminent à jouer dans ce rapprochement. Il ne serait pas bon qu’elle continue comme en 2004 de se dissimuler derrière les Nations Unies. En outre, elle pourrait y trouver un terrain d’entente avec Moscou, ce qui est de plus en plus rare aujourd’hui.

Documents joints