3004-La colère d'un père - France Catholique
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Van Eyxk, l'art de la dévotion
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3004-La colère d’un père

A partir d’une altercation avec le personnel du service où sa compagne avait subi un avortement, un homme a déclenché une minicrise dans le monde de la gynécologie obstétrique.
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Une simple réprimande a mis le feu aux poudres, et, en quelques heures, tout le petit monde du diagnostic prénatal hexagonal s’est mis en émoi. Au départ de l’affaire, c’est un « rappel à la loi » qu’ont reçu trois médecins de l’hôpital Necker. Il émane d’un magistrat du pôle de santé publique du Parquet de Paris. Un père de famille reproche aux praticiens une « interruption médicale de grossesse » pratiquée en 2001 sur un fœtus souffrant d’une hernie du diaphragme. Cette malformation est curable par intervention chirurgicale mais avec un risque important de séquelles (40 %), sans compter un fort taux de décès dès la naissance. Pour le père, le critère d’incurabilité prévu pour autoriser l’IMG n’était pas avéré.

L’irruption de la justice dans le cercle fermé de la médecine anténatale a provoqué un réflexe de caste immédiat, avec la menace d’une grève des IMG dans les 43 centres habilités. La médecine prénatale reste à fleur de peau, en raison du traumatisme encore laissé par la jurisprudence Perruche en 2000, malgré l’annulation par la loi du célèbre arrêt de la Cour de Cassation en 2002. Cependant, le cas de figure est ici inverse puisqu’on ne reproche plus aux médecins d’avoir laissé vivre, mais d’avoir fait mourir.
La loi de 1975 permet le recours à l’interruption de grossesse qu’on nomme alors abusivement « médicale » s’il « existe une forte probabilité que l’enfant à naître soit atteint d’une affection d’une particulière gravité reconnue comme incurable au moment du diagnostic ». Sous ces mots 5000 IMG sont réalisées par an, à tout moment de la grossesse. 80 000 amniocentèses aboutissent à déceler 1 500 handicaps génétiques.

Pour le moment incurable, la trisomie 21 est la cible privilégiée des dépisteurs. Le spinabifida a, quant à lui, quasiment disparu chez les enfants, non pas qu’on ait éradiqué la maladie, mais parce ce qu’on a éliminé les malades : on peut déceler cette anomalie de la colonne vertébrale à l’échographie. Le texte de loi est suffisamment flou pour que les praticiens agissent selon leur propre sensibilité, tout en tenant compte de celle des parents.

Le professeur Nisand, lui-même praticien de l’avortement – et auteur en 1999 d’un rapport public sur ce sujet remis à Martine Aubry – s’est ainsi étonné que, pour « absence de certains doigts » ses collègues aient accepté en 2001 deux demandes d’IMG sur trois alors que, l’année précédente, elles étaient systématiquement refusées pour ce motif jugé, somme toute, bénin. Certains dénoncent une surenchère eugéniste.

La France détient le record du monde du dépistage anténatal à cause de la combinaison d’un système de surveillance des grossesses drastique et d’un système de sécurité sociale qui en assure la prise en charge. Et des personnalités comme Didier Sicard, président du Comité Consultatif National d’Ethique, s’en sont alarmées, alors que d’autres, comme le Professeur Bernard Debré, défendent ouvertement un « eugénisme individuel ».
Anecdotique, la brève passe d’arme permet de mesurer l’état de tétanie des protagonistes du débat. Le Planning familial s’est très vite exprimé pour dénoncer « des stratégies pour restreindre le droit à l’avortement » et manifester sa mobilisation « pour le droit des femmes ». Certes la loi ne reconnaît aux hommes aucun droit dès lors qu’il s’agit d’avortements légaux. Est-ce une raison pour récuser par avance toute capacité d’un père de contester un avortement qu’il juge illégal ?

En quelques heures, une bonne dizaine de « grands pontes » du dépistage anténatal sont montés au créneau, menaçant d’interrompre leur pratique comme si elle était salutaire, presqu’indispensable à la survie de la société…

C’est sans doute l’avis des autorités publiques qui ont tôt fait de les rassurer, le Parquet affirmant « c’est un quiproquo, un malentendu ». La susceptibilité d’une profession dont les repères éthiques sont en plein effondrement est apparue en plein jour. Le Quotidien du médecin va jusqu’à nommer les praticiens de l’IMG « des bourreaux mal-aimés », après que le professeur Nisand, lui a en effet confié son inquiétude : « La société a désigné les médecins de la médecine fœtale comme ses bourreaux. Or, on ne condamne pas ses bourreaux ». Et le médecin qui n’a pas l’habitude de mâcher ses mots d’exiger le « respect » pour ceux auxquels on « demande de faire un boulot que personne ne peut, ni ne veut exécuter ». Il utilise le vocabulaire de la peine de mort (sous cette forme qui demeure légale en France, bien qu’elle soit administrée à des innocents). Ne peut-on déceler ici l’aveu d’un malaise ?

Certes, la France ne souhaite pas entrer dans l’engrenage du juridisme anglo-saxon qui sape la relation de confiance entre soignants et patients. Cependant, peut-on laisser sans contrôle une activité où il est question de vie et de mort ? C’est pratiquement la revendication de certains comme le Professeur Jaques Milliez qui dans son livre « L’euthanasie du fœtus » soutient l’infanticide des nouveau-nés handicapés tout en préférant qu’il se pratique sans loi.

Il faut dire que, malgré tous les efforts, la découverte d’un handicap à la naissance n’est pas près de disparaître : Didier Sicard note que, du fait de l’élévation de l’âge des femmes enceintes et de la multiplication des grossesses multiples liée à la fécondation in vitro, il naît en France toujours autant d’enfants handicapés.

Tugdual DERVILLE