2999_Une génération manquante - France Catholique
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Van Eyxk, l'art de la dévotion
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2999_Une génération manquante

On a longtemps tablé sur les “grands frères” pour pacifier par l’exemple les jeunes issus de l’immigration qui traumatisent leurs citeés. Mais ne sont-ce pas plutôt les grands-parents qui ont fait défaut ? On a longtemps tablé sur les “grands frères” pour pacifier par l’exemple les jeunes issus de l’immigration qui traumatisent leurs citeés. Mais ne sont-ce pas plutôt les grands-parents qui ont fait défaut ?
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Deux morts accidentelles dans un transformateur EDF, le 27 octobre, ont mis le feu aux poudres. Une fois constaté ce que les statistiques des voitures calcinées ont à la fois alimenté et dessiné : une classique courbe de Gauss s’élevant avec la contagion à l’ensemble de l’hexagone avant de retomber lentement, une question s’impose : pourquoi ? Les observateurs de terrain avouent surtout pour le moment leur impuissance et se perdent en conjectures.

Paupérisation ? Urbanisation ? Ghettoïsation ? Exclusion ? Victimisation ? Manipulation ? Islamisation ? Comment expliquer que des jeunes générations issues de l’immigration africaine (d’Afrique noire ou du Maghreb) semblent prises au piège d’un no man’s land culturel et presque condamnées à l’économie souterraine, synonyme de délinquance et de violence, là même où leurs grands-parents ou leurs parents se sont regroupés pour préserver leurs liens culturels ?

Contrairement à ceux dont la venue était fondée sur le projet d’une réalisation professionnelle, tout en entretenant une spécificité culturelle, les « émeutiers » semblent privés de l’un et de l’autre. Sans métier ni reconnaissance sociale hors de leur cité, n’ont-ils pas perdu sur les deux tableaux ? L’histoire des « ritals » et des « polaks » fait espérer à certains qu’après cette brutale phase de transition marquée par le rejet réciproque, le racisme et la peur, et cette « surdélinquance » spécifique aux populations les plus pauvres que décrit le sociologue Laurent Mucchielli, adviendra une phase d’intégration. Quelques figures de réussite socioprofessionnelle augureraient cette France « blackblanc- beur » à laquelle la coupe du monde de football de 1998 a fait rêver un peu trop vite. D’autres évoquent l’islam, les trafics de drogue, le chômage et un choc de cultures autrement plus antinomiques pour exprimer leur pessimisme : le regroupement familial de l’ère Giscard aurait privé les immigrés d’il y a trente ans des perspectives de retourner au pays ; en encourageant leur implantation familiale en France on a jeté leur descendance dans l’impasse.

A entendre les jeunes des cités, on comprend que leur vie n’est pas inscrite dans le temps. Beaucoup semblent sans passé ni projet. La plupart sont totalement coupés de leurs racines ancestrales. Restés ou rentrés au pays, leurs grands-parents représentent une culture ou des coutumes étrangères, parfois méprisées, souvent méconnues.

Or, des sociologues ont montré combien la privation de grands-parents pouvait expliquer la délinquance : ce sont eux qui transmettraient naturellement les valeurs et les repères de vie. C’est ce qui ressort d’ailleurs des conclusions d’une étude très riche que vient de publier la Caisse Nationale d’Allocations Familiales sous la signature de Sandrine Vincent (« Etre grands-parents aujourd’hui, synthèse bibliographique »), même si la question de l’immigration n’y est pas traitée : « Les grands-parents dans les familles contemporaines sont repérés comme essentiels en terme de construction identitaire, du maintien des valeurs et de ce qu’ils peuvent transmettre de leurs savoirs et de leurs biens… Ils jouent un rôle avéré de socialisation, de transmission, de mémoire et d’identité. » Privés de ce support d’enracinement, les jeunes issus de l’immigration se retrouvent sans défense face à la société matérialiste, individualiste et hédoniste – voire pornographique – qu’on leur propose et qui ne fait qu’accentuer leurs frustrations. Cette culture, comme celle des ancêtres, est à la fois source de fascination et de rejet. Et leurs parents eux-mêmes ont pu les mettre en garde contre l’inculturation à une société française jugée chrétienne et anti-islamique.

De nombreuses jeunes femmes – grandes absentes des émeutes urbaines – sont ainsi écartelées entre deux menaces : celle de l’oppression machiste à l’intérieur de leur famille et celle de l’agression sexuelle à l’extérieur. Militante d’une association berbère, Tounsia Amrani, doute à ce propos « que faire lire certains passages scatologiques se réclamant de Georges Bataille à une classe de seconde, comme je l’ai vu de mes propres yeux, soit la meilleure solution pour aider les jeunes à se créer des points de repère visant à la maîtrise de soi et au refus de l’expérimentation pour elle-même. » Et d’expliquer finalement le mode de socialisation par le vide dont nos institutions font aujourd’hui les frais : « Il existe un processus de ritualisation, d’adoubement, pour être coopté, et l’émeute réussie en sera la preuve ». parents eux-mêmes ont pu les mettre en garde contre l’inculturation à une société française jugée chrétienne et anti-islamique. De nombreuses jeunes femmes – grandes absentes des émeutes urbaines – sont ainsi écartelées entre deux menaces : celle de l’oppression machiste à l’intérieur de leur famille et celle de l’agression sexuelle à l’extérieur. Militante d’une association berbère, Tounsia Amrani, doute à ce propos « que faire lire certains passages scatologiques se réclamant de Georges Bataille à une classe de seconde, comme je l’ai vu de mes propres yeux, soit la meilleure solution pour aider les jeunes à se créer des points de repère visant à la maîtrise de soi et au refus de l’expérimentation pour elle-même. » Et d’expliquer finalement le mode de socialisation par le vide dont nos institutions font aujourd’hui les frais : « Il existe un processus de ritualisation, d’adoubement, pour être coopté, et l’émeute réussie en sera la preuve ».

Tugdual DERVILLE