2960-La mémoire des camps de la mort - France Catholique
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Van Eyxk, l'art de la dévotion
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2960-La mémoire des camps de la mort

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Soixante ans après la libération d’Auschwitz et des autres camps d’extermination, la plaie est toujours béante au flanc de l’histoire européenne. Le témoignage de quelques centaines de survivants – tel qu’il s’est exprimé à l’hôtel de Ville de Paris, samedi dernier – ne saurait être simplement reçu sur le mode d’une commémoration ordinaire. La transgression morale sans mesure qui s’est produite dans ces années terribles doit être méditée par toutes les générations comme l’épreuve suprême où se comprend le déni d’humanité. Sans aucun doute, pour accomplir une telle entreprise criminelle, il fallait des responsables d’une rare perversité. Ceux-ci n’en faisaient pas moins partie de notre commune condition humaine. On a reproché au Hitler incarné par Bruno Ganz, dans le film La Chute, d’être trop humain. Mais Hitler n’était pas un extra-terrestre. Ce qu’il y avait de monstrueux en lui n’échappait pas aux possibilités maléfiques de l’homme. Par ailleurs il faut aussi se persuader que l’ensemble des responsables et des exécutants de la Shoa étaient des personnages tout à fait communs, dont les vertus privées servaient à l’organisation rationnelle de l’horrible machine meurtrière.

Annah Arrendt avait fait scandale, au moment du procès Eichmann, en parlant de la banalité du mal. Il ne s’agissait nullement pour cette philosophe d’exonérer les responsables, encore moins de dévaloriser la portée du Crime. En analysant le système totalitaire, Hannah Arendt mesurait combien des milliers de personnes ordinaires pouvaient, sans cris de conscience, se vouer à leurs tâches monstrueuses. Un livre récent nous en apporte une nouvelle fois la preuve. Leon Goldensohn, comme psychiatre américain, entendit longuement tous les accusés et les témoins (non moins criminels) du procès de Nuremberg. Ces entretiens, aujourd’hui publiés, montrent avec quel détachement Rudolf Höss, commandant du camp d’Auschwitz, fait le récit de l’organisation qui permit la mise à mort de centaines de milliers de déportés transportés par les sinistres trains venus de toute l’Europe. (1)

L’aveu précis, circonstancié, pulvérise toutes les objections révisionnistes ou négationnistes. Höss a scrupuleusement exécuté les ordres de Hitler et de Himmler, perfectionnant le dispositif des chambres à gaz. Il livre tout à son interlocuteur sans broncher. “Jusqu’à la capitulation de l’Allemagne, j’ai cru devoir exécuter les ordres correctement et avoir agi comme il fallait”. Honnête père de famille, père de cinq enfants, Höss n’a pas hésité à envoyer à la mort des dizaines de milliers d’enfants juifs. Le système nazi aboli, le commandant d’Auschwitz sort un peu de son brouillard idéologique. Il admet que la pendaison qui l’attend est méritée. Mais l’extrême sécheresse de son propos nous interroge sur son incroyable schizophrénie morale… Prenons garde, le nihilisme nazi peut encore obscurément frapper, en excusant d’autres transgressions accomplies sous d’autres signes.

Gérard LECLERC