Une Marie-Madeleine décapante - France Catholique
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Van Eyxk, l'art de la dévotion
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Une Marie-Madeleine décapante

Entretien avec Nathalie Saracco

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« La Mante religieuse » ferait presque concurrence à « Cristeros » pour ce qui est de la mobilisation des réseaux militants catholiques… On retrouve parmi les premiers spectateurs qui réagissent sur le site des fans (www.jaimelamante.com) bien des figures rendues familières par le combat contre le « mariage pour tous »… Et pourtant on ne peut pas conseiller ce films à tous les publics, car les images ne sont guère discrètes… et notre chroniqueuse cinéma souligne (page 29 de FC n°3402) ses faiblesses artistiques. Cela dit, il pose sans doute de bonnes questions d’une manière qui passe la rampe. Alors il serait stupide de ne pas en tenir compte.

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■ Vous êtes catholique ?

Nathalie Saracco : J’ai toujours été catholique, bercée avec mes frères et sœurs par les récits qu’enfants nous faisait notre mère. Marseillaise d’origine, je me suis retrouvée au début de l’adolescence à Goussainville, en banlieue parisienne. Je pratiquais évidemment, j’allais même à la messe en semaine. à quatorze ans, je me rendais souvent à la basilique de Montmartre. Mais si j’avais une vraie foi, elle restait théorique et tranquille. J’ai d’abord été comédienne, puis j’ai voulu réaliser mes propres films. Je vivais en quelque sorte la vie de tout le monde.

■ Alors pourquoi ce film ?

Voici ce qui s’est passé, un jour, il y a six ans : je sortais d’une réunion avec un producteur, j’étais avec une amie, nous roulions sur l’autoroute à 130, la vie était belle, quand soudain une voiture déboîte, heurte un camion et finit par nous rentrer dedans. Après des tête-à-queue, des tonneaux, nous finissons contre la glissière de sécurité centrale, encastrées toutes les deux dans l’habitacle de la voiture, ne pouvant plus bouger.

Je commence à cracher du sang, à ne plus pouvoir respirer. Les pompiers finissent par arriver, nous dégagent au bout d’une heure, et là je sens que je commence à partir : c’est-à-dire que j’ai l’impression que la chaleur de la vie quitte mon corps, comme si elle descendait depuis ma tête vers les pieds. Je suis pourtant parfaitement consciente et je me dis : «  Zut, je ne me suis pas confessée.  »

Là, j’entends comme à l’intérieur de moi, comme par télépathie, une voix et je me retrouve face à Jésus qui pleure, exactement semblable aux représentations du Sacré-Cœur — que je ne connaissais pas à l’époque. Mais je vois Jésus qui souffre, comme un immense concentré d’acide de souffrance, il me montre son cœur avec la couronne d’épines, comme s’il voulait que je partage sa souffrance. « — Seigneur, pourquoi tu pleures ? lui dis-je — Je pleure parce que vous êtes mes enfants chéris, que j’ai donné ma vie pour vous, que je ne sais plus quoi faire pour vous et qu’en échange je n’ai que froideur, mépris et indifférence. »
Il me fait sentir physiquement son amour, c’est comme un frisson, une véritable extase. Je découvre que Dieu est merveilleux, bien plus loin qu’on ne peut jamais l’imaginer. Et que ce Dieu tellement parfait nous aime tellement qu’en plus de notre libre arbitre, il vient mendier notre amour. Et qu’il souffre le martyre de ce rejet. Cette faiblesse de Dieu me l’a révélé comme prisonnier de lui-même, d’une certaine façon.

Puis, je suis comme réintégrée dans mon corps. Je fais littéralement un bond dans la voiture, et je sens comme un li­quide brûlant, comme de la lave qui remonte par mes pieds. La vie qui revient.

■ Et alors que s’est-il passé dans votre vie ?

J’étais traumatisée, je ne pouvais plus rien faire, plus vivre comme avant. Pendant un an, j’ai tout laissé tomber, et j’ai prié seulement. Et puis un matin, je me suis mise à écrire comme une folle. Ça a duré douze jours. Je voyais mes personnages comme des lutins qui m’auraient mené eux-mêmes par le bout du nez vers là où ils voulaient aller. J’ai écrit d’une traite 200 pages.

Je montre le scénario à mon producteur, parfaitement athée. Il me dit : « La première partie est très bonne, mais il faut que le prêtre couche avec elle, il faut que ce soit bien trash. » Évidemment, ce n’était pas du tout ce que je voulais, il n’avait rien compris. J’ai tout plaqué, je suis partie habiter en Normandie, où j’ai vécu presque comme une bonne sœur. Je désespérais. Et là, une voix me dit : « Tu feras ce film grâce au soutien de mon Église et des patrons chrétiens ». « Quésaco, les patrons chrétiens ? » Ça ne voulait rien dire pour moi, j’éclate de rire.

Le lendemain, je vais acheter du pain et dans une librairie je vois le livre de Marc Baudriller, intitulé Les réseaux cathos. Je l’achète, je le lis, je tombe sur le témoignage de Jean-Baptiste Maillard, un jeune catholique très actif sur les réseaux sociaux. Je le contacte.

Par son biais, tout s’enchaîne, je fais la connaissance de la communauté de l’Emmanuel et de l’évêque de Toulon, Mgr Dominique Rey, qui me met en contact avec le frère Samuel Rouvillois, à qui j’envoie le scénario. Il est bouleversé, accepte qu’on se rencontre. Et il se trouve qu’il est précisément un grand connaisseur du milieu du patronat chrétien. Il me donne son carnet d’adresses. Miracle, je parviens à convaincre 40 de ces patrons, qui deviennent ainsi mes producteurs.

■ Comment s’est passé le tournage ?

Il a été rapide, même pas deux mois. Je voulais absolument Mylène Jampanoï pour le rôle de Jézabel, et je n’ai pas été déçue. J’ai voulu tourner en 35 mm, ce qui coûte très cher. Et j’ai engagé l’un des meilleurs chefs-opérateurs actuel, qui a tourné avec le gratin du cinéma. Mais les conditions étaient telles que nous n’avons pas pu faire plus de trois prises par plan.

■ Vous avez fait des avant-premières à Lille, Versailles, Bordeaux, Besançon, Lyon : des salles pleines, alors que la séance était payante. Quelles ont été les réactions du public ?

En général, très bonnes, surtout chez les jeunes, que je vois parfois en pleurs, en tout cas bouleversés et la gorge nouée. Le public est pour le moment principalement catholique, et je me heurte tout de même à une frange, un quart des spectateurs, dirais-je, qui sont scandalisés par ce qu’ils considèrent comme « un film pornographique ». Mais de manière générale, c’est un succès, et je suis surtout très touchée par les réactions des prêtres qui me disent combien ce que j’évoque peut être véridique. Il y a aussi des réactions plus étranges : à Mulhouse, un psychanalyste a pris la parole pour expliquer combien « l’humanité est noire » et que « nous avons tous été faits dans la haine ». Il y avait là des musulmans aussi, qui clamaient que Dieu n’a pas d’image, et certainement pas l’homme… Mais j’ai aussi rencontré deux journalistes qui se disaient agnostiques et pourtant bouleversés par le film.

■ Que répondez-vous à ceux qui accusent le film de salir l’image du prêtre ?

Qu’ils se trompent fondamentalement. Ce que je montre, autant à travers Jézabel (Mylène Jampanoï) que le personnage du prêtre (Marc Ruchmann), c’est combien la tentation et le mal font partie de nous, de nous tous. Et que parallèlement, nous sommes tous faits aussi pour l’amour.
Jézabel est certes une sorte de Marie-Madeleine, mais elle évoque aussi le publicain qui prie au fond de la synagogue, conscient de son indignité, quand le pharisien occupe le premier rang, sûr de son salut. C’est un film sur la miséricorde.


■ On vous reproche aussi un certain sentimentalisme…

J’assume le fait de faire des films populaires. D’ailleurs, le prochain sera un parfait mélo.

http://www.france-catholique.fr/-France-Catho-TV-.html