Un temps différent - France Catholique
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Van Eyxk, l'art de la dévotion
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Un temps différent

Traduit par Thérèse Deswarte

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Pour les chrétiens, le jour d’aujourd’hui 1 ne signe pas le début d’une nouvelle année. Pour les chrétiens, la Nouvelle Année a débuté le premier dimanche de l’Avent, soit le 30 novembre. Par comparaison, le 1er janvier n’est qu’une occurence de chronologie historique.

Le jour d’aujourd’hui ne constitue pas non plus la fin du temps de Noël, quoi qu’en clament les publicitaires. Noël dure en fait douze jours. Donc il nous reste encore quelques jours pour le fêter. Si vous lisez les Prières du matin et du soir – et vous devriez le faire de toute façon – vous verrez qu’il s’agit d’une seule et longue fête. Et pourquoi, alors, ne pas fêter la veillée du Douzième Jour de Noël, comme le firent à un moment donné les bons chrétiens ?

Le Temps, temps biblique s’entend, n’est pas le temps profane. Sauf si l’on vit réglé sur un schéma de temps différent, l’on pense et devient inexorablement profane. Si le 1er janvier, date arbitraire, démarre pour vous l’année, alors les années elles aussi deviennent vraiment arbitraires, s’ajoutant tout bonnement les unes aux autres. Si l’année commence pour vous avec l’attente de la naissance du Sauveur, les choses prennent alors un tout autre tour.

Le Temps et les époques ont une importance dans le plan biblique, car Dieu est un Dieu du temps et de l’espace, de l’histoire et des lieux, aussi bien que le l’éternité et de la transcendance. Particulièrement en cette période où nous célébrons le fait que Dieu a choisi de venir parmi nous, petit enfant à Behléem. Et cette Présence prend, devrait prendre place au plus profond de notre for intérieur, même en ce monde – et même dans les destructions qui y semblent les plus ravageuses.

En tant que personne née un jour de solstice d’hiver (le 21 décembre) – le jour le plus court de l’année, ou celui à partir duquel les jours commencent à rallonger, selon le point de vue duquel on se place – je ressens particulièrement à quel point de savants calculs astronomiques se sont immiscés, historiquement parlant, dans notre appréciation du temps qui passe.

Mais ni l’astronomie, ni la physique ne peuvent rendre compte du temps humain. La formule t = d/v (temps = distance/ vitesse, NdT) est utile et précise pour certaines choses, mais inutile et trop aride pour d’autres. Particulièrement dans le cas de : “Au commencement, Dieu créa le Ciel et la Terre.” Et encore plus avec: “dans la plénitude du temps, Dieu envoya son Fils, né d’une femme, né selon la loi; afin qu’il soit le salut de ceux qui étaient soumis à la loi; que nous puissions devenir enfants d’adoption.”

Les anciens et ceux de l’époque médiévale affirmaient que, le jour de Pâques, les cieux s’en retournaient à l’endroit du « Au commencement », et que le temps atteignait sa plénitude au premier Noël.

Vu du dehors, c’est-à-dire du point de vue étroit et terre-à-terre de l’Occident post-moderne, tout ceci semble au mieux relever du conte populaire. Et c’est le cas, si on prend tout cela pour des idées.

Ce n’est que quand ces vérités sont vraiment vécues, de l’intérieur, que non seulement elles interpellent notre condition humaine, mais qu’elles commencent également à la transformer. Aujourd’hui, un chrétien se doit pour ainsi dire de vivre dans une zone de temps différente. La perte du sens de l’année chrétienne et des douze jours du temps de Noël est bien pire, en un sens, que la sécularisation et la commercialisation, deux abstractions qui, si nous vivions selon un tempo différent, seraient instantanément prises pour ce qu’elles sont : superficielles.

Encore une fois, vivre différemment n’est pas simplement le fait d’adopter des idées différentes, bien que cela arrivera également. Cela tient plus de l’apprentissage d’une langue qui comprend de nombreuses exceptions et beaucoup de verbes irréguliers.

Au cours de mes voyages à l’étranger, on me demande parfois comment on peut exprimer quoi que ce soit en anglais, étant donné le peu de grammaire que nous avons. Quand on a eu l’insigne privilège de transpirer sur les déclinaisons et les conjugaisons au cours de ses études, on est surpris de s’apercevoir à quel point notre langue peut paraître simple aux étrangers, et comme il leur est difficile – de l’extérieur – de voir à quel point elle sollicite l’ensemble des facultés humaines.

Encore plus énigmatique pour les non-anglophones est le problème de la prononciation : comment savoir si “tears” (les larmes pour pleurer) sont des “tears” (déchirures) – a fortiori quand il s’agit de la parabole de l’Evangile sur la séparation du bon grain des “tares.” (l’ivraie). Et plus crucial, comment peut-on savoir comment se prononce le mot “love” – hors de la connaissance concrète et quotidienne de la langue – qui pourrait rimer, pour donner un tout autre résultat, avec “Jove” (Jupiter) ou “prove » (prouver).

Parfois les règles sont si compliquées qu’elles en deviennent une liste d’exceptions,et la seule manière de saisir comment elles s’agencent les unes par rapport aux autres est de les vivre jusqu’à ce qu’elles deviennent une sorte de seconde nature qui ne nécessite pas d’ample explication, et ne pourrait pas non plus être expliquée dans le détail.

Pour ceux qui ne peuvent vivre qu’au travers de concepts abstraits, là est évidemment tout le problème. C’est trop désordonné, trop singulier, trop humainement humain. Mais à moins de vouloir éliminer ce qui est pleinement humain – un projet manifestement présent dans notre monde actuel – il nous faudra trouver un moyen de vivre, ce qui est irréductible à un système abstrait.

Que Dieu, le Créateur de l’Univers, ait choisi d’entrer dans l’univers est très curieux. Mais dans ce cas, le fait même que l’univers existe l’est également. Et la chose la plus curieuse entre toutes au sujet du monde est que, bien que ce soit le seul monde que nous ayons jamais connu, nous réussissons encore à trouver curieuse son existence et que notre place dans celui-ci demeure une source d’éternel questionnement.

“Au commencement” et “la plénitude du temps” sont des vérités qui restent vivantes à travers les âges car elles nous ramènent toutes deux à la source inimaginable, et à un moment tout aussi incompréhensible, toutes deux relevant d’une force qu’aucune montagne de scepticisme ne pourra jamais ébranler.

En cette période de l’année, l’une des meilleures choses à faire, outre célébrer avec d’autres la naissance du Sauveur – à la maison bien au chaud, autour d’un bon repas bien arrosé – est d’aller dehors et de regarder la nuit, qui tombe tôt les soirs d’hiver et se maintient jusque tard le matin. Eloignez-vous également de la pollution lumineuse, et contemplez, rien que pour vous.
Vous verrez au-dessus de vous l’immense voûte céleste, celle-là même que virent les bergers en cette nuit de la plénitude du temps. Réfléchissez-y un moment : il ne s’agit pas seulement d’imagination poétique. Et vous pourrez, mais c’est seulement une hypothèse, entrevoir comment cette singulière histoire remonte, par delà les années et les idées, selon une autre notion du temps et une autre échelle, au véritable commencement.

Jeudi 1er janvier 2015

Source : http://www.thecatholicthing.org/2015/01/01/different-time/


Au sujet de Robert Royal

Robert Royal est rédacteur en chef de The Catholic Thing, et le Président du Faith & Reason Institute à Washington, D.C. Son ouvrage le plus récent est « The God That Did Not Fail: How Religion Built and Sustains the West », maintenant disponible en édition de poche chez Encounter Books.
http://www.thecatholicthing.org/2015/01/01/different-time/

Illustration : La Trinité (détail) dans la Cité de Dieu de Saint Augustin, vers 1440–50, le Maître des Heures d’Oxford (Musée J. Paul Getty)

  1. Note du rédacteur en chef :je vous rappelle que je serai présent ce soir à l’émission “The World Over” sur la chaîne EWTN, avec mes collègues de conclave Raymond Arroyo et Frère Gerald Murray, ainsi que Bill Donahue de Catholic League. Nous passerons en revue l’année qui vient de s’achever, couvrant toute une série de sujets, certains graves, d’autres plus légers. Vérifiez les heures de diffusion et de rediffusion dans vos programmes TV. Et nos meilleurs voeux d’heureuse et sainte année à tous. De la part de toute l’équipe de The Catholic Thing. – Robert Royal