Un évêque prophétique - France Catholique

Un évêque prophétique

Un évêque prophétique

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Dom Helder Camara (1909-1999), évêque du Nordeste brésilien (1964-1985), dont le procès en béatification est presque achevé, avait l’habitude de veiller entre 2 h du matin et sa première messe. Les Brésiliens qui ont veillé dans la nuit du dimanche 17 avril en attendant les résultats du vote de la Chambre des députés sur la destitution de la présidente, Mme Dilma Rousseff, auraient pu prendre exemple sur le futur saint. Les éditions Bayard publient fort opportunément une sélection des lettres qu’il rédigeait ainsi chaque nuit. Un premier tome couvre la période de son installation à Recife d’avril 1964 à septembre 1965 (1). Non seulement elle coïncide avec les sessions conciliaires (ses lettres sur le sujet depuis Rome avaient déjà été publiées) mais surtout s’agissant du Brésil avec le coup d’Etat militaire du 31 mars 1964. J’ai voulu lire ces textes dimanche 17 avril tandis que le Brésil vivait à nouveau des journées dramatiques. Je crois que Dom Helder a aussi très mal dormi cette nuit-là et qu’il a dû s’agiter considérablement dans sa maison du Ciel. Surtout quand on sait que Mme Rousseff avait été emprisonnée et torturée par ce même régime militaire qui a dirigé le pays jusqu’en 1985.

Dom Helder parle de ses rapports avec la IVe armée qui gouvernait alors le Nordeste, mais avec modération : pendant les dix-huit mois concernés, le chat et la souris jouent encore. A partir de 1966, Dom Helder sera classé définitivement comme « communiste ». Cela dura quasiment vingt ans.

Comparativement, dans cette première époque (mais ensuite aussi) il a plus de démêlés avec la nonciature ou la curie romaine parce qu’il adopte le style de vie dépouillé qui nous est aujourd’hui si familier avec le pape François. Par-dessus tout, c’est l’apostolat de la misère qui domine ces pages et qui fait encore mieux comprendre notre pape actuel. Avec Dom Helder, on patauge dans la boue des alagados (les marécages du delta de l’Amazone) pour aller visiter les mocambos (les baraquements sur pilotis). Dom Helder est partout sur le terrain. Une fois ou deux, il pose la question de ce que deviendra le Nordeste dans trente ans. Les progrès ont été immenses mais les pauvres sont toujours là. Moins nombreux en pourcentage, ils sont plus nombreux en chiffres absolus qu’il y a cinquante ans, la population brésilienne ayant plus que doublé depuis. Les moustiques sont toujours actifs. Aujourd’hui l’un d’eux s’appelle Zika.

Dès août 1964, Dom Helder a jugé la « révolution nationale ». A peine quatre mois après l’arrivée des militaires, il tient au général qui commande à Recife le discours suivant (en privé) : « la sincérité de l’anticommunisme de beaucoup de militaires a été amplifiée, élargie, rendue irrésistible par l’anticommunisme d’hommes d’affaires qui voulaient seulement défendre leurs propres intérêts…Aujourd’hui ce sont les mêmes, absolument les mêmes, qui jouent des militaires contre d’autres militaires, avec l’insensibilité de qui n’a pas la moindre considération pour le pays, pour le bien commun, pourvu que ses privilèges soient préservés… »

Si l’on enlève les militaires, le propos tenu il y a plus de cinquante ans est repris tel quel par les partisans de Mme Rousseff qui ont quelque raison de crier au « coup d’Etat » constitutionnel. A la lecture des pages brûlantes de Dom Helder, on peut encore se demander comme Péguy si la mystique n’a pas fini en politique. Il y a en 1964 une véritable hauteur mystique dans la foulée de Vatican II et de la lutte pour la démocratisation du Brésil. En 2016 on a beau tendre l’oreille. On n’entend rien que le vacarme de la politique-spectacle.

(1) « Journal d’un évêque prophétique. Lettres inter conciliaires 1964-1965 »