Un crayon dans la main de Dieu - France Catholique

Un crayon dans la main de Dieu

Un crayon dans la main de Dieu

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Je ne suis pas sûr de la source, mais quelqu’un (peut-être TS Eliot ou Igor Stravinsky) a dit un jour en plaisantant que rien n’est plus émouvant que la mauvaise musique. On peut penser la même chose en voyant « Les Lettres », un nouveau film sur la vie de mère Teresa de Calcutta.

C’est un film tellement alourdi par son propre bagage structurel que l’impact émotionnel, qui l’empêche de complètement s’effondrer, peut constituer un autre miracle pour la cause de canonisation de mère Teresa.
« Les Lettres » est d’un ennui répétitif par son style à la fois épistolaire et descriptif : le film est construit à base de lettres (reçues de et adressées à Mère Teresa, jouée par l’actrice anglaise Juliette Stevenson) et de conversations entre son (vrai) correspondant, père Céleste van Exem, S.J. (Max von Sydow) et le postulateur (fictionnel) pour la béatification de mère Teresa, le père Benjamin Praagh (Rutger Hauer)

Les dates et les lieux traversent l’écran en éclairs pompeux : Dublin, Calcutta, Rome, Calcutta ; 1931, 1998, 2003, 1946 – Tout cela pendant les minutes du générique. Nous voyons Anjezë Gonxhe Bojaxhiu devenir Sœur Teresa ; nous voyons van Exem l’évoquer avec Praagh, et dire d’elle – un bon nombre de fois pendant tout le film – qu’elle était dans les ténèbres, et ne sentait « pas Dieu en elle » et qu’elle avait pourtant eu le courage de quitter le cloître de Lorette pour les misérables rues que la ville que nous appelons maintenant Kolkata.
Ce sont les grandes lignes de l’histoire que nous connaissons tous, mais le récit du film souffre de ne jamais vraiment développer des séquences suffisamment longues pour nous permettre d’observer, avec un tant soit peu de profondeur et de perspicacité, le véritable drame de la vie de Teresa. En effet, il est évident que les signaux de lieux et de temps, et les narrations sont les moyens qu’utilise un cinéaste quand il ne peut pas mettre en valeur des caractères ou raconter une histoire.

Certains spectateurs n’attachent peut-être pas d’importance au fait que cette histoire « vraie » invente un personnage de postulateur (le vrai prêtre qui a fait ce travail est le frère Brian Kolodiejchuk) ou que ce personnage parle avec le père van Exem en 2007 (comme nous le dit une de ces dates sur l’écran) ce qui est en fait quatorze ans après la mort de van Exem, ou encore que le film invente un reporter nommé Graham Widdecombe qui fait des reportages radio sur mère Teresa, qui la catapultent sur le devant de la scène internationale, alors que le reporter qui a vraiment fait cela était Malcolm Muggeridge. La mère se décrivait elle-même à lui comme un « crayon dans la main de Dieu ».
Appelez ceci une licence poétique, ou déduisez en que l’artisan réalisateur américain William Riead n’avait ni la volonté d’approcher de ceux qui comptaient, ni leur coopération, quand il a entrepris ce qu’il a appelé un « travail d’amour » de 14 ans. Eh bien, un peu moins d’amour, et un peu plus de travail aurait été utile. Il ne s’agit pas du Gandhi de Sir Richard Attenborough : ce n’est pas une épopée.

Reconnaissons quand même à Monsieur Riead le mérite d’avoir étiré son modeste budget (et au preneur de vues Jack Green et aux scénographes et au directeur artistique pour en avoir favorisé l’aspect) et d’avoir tiré un film de cette histoire. Le film a été tourné partiellement à Goa (Inde du Sud-Ouest) en dépit du fait que Kolkata est dans l’ouest du Bengale au nord-est de l’Inde. La grande minorité chrétienne de cet endroit a probablement rendu l’environnement plus agréable – et surtout Goa a gardé ce paysage urbain colonial, à côté d’immeubles modernes, et de très beaux domaines.

Tout cela a permis à Goa de servir de décor, non seulement à Calcutta, mais aussi au Vatican (excepté un bref aperçu extérieur de Rome) et à la Norvège (pour la réception par mère Teresa du prix Nobel). Toutefois, cette cérémonie ressemble plus à un spectacle de Noël dans le sous-sol d’une église par des gens en bras de chemise, qu’à l’affaire un peu plus grandiose de 1979 dans l’hôtel de ville d’Oslo. Mais on fait ce qu’on peut avec le budget qu’on a.
La répétition continuelle des quelques thèmes du film – nous voyons la mère lutter, nous coupons pour voir van Exem dire à Praagh combien elle a souffert – n’est pas aidée par les quelques scènes où le potentiel pour un vrai drame, pour ne pas dire une vraie excitation, est atténué par la lourdeur des dialogues, ou, pire, par un jeu d’acteurs tellement mauvais qu’il est difficile de ne pas en rire. Comme cette scène où une foule d’Hindous en colère se rassemble devant le temple transformé où les missionnaires de la charité soignent les mourants. On agite les poings, et on crie très fort, un expédient classique du cinéma, semblable à des villageois rassemblés devant la tanière de Frankenstein, sauf que le metteur en scène est Mel Brooks, et non James Whale.

Si l’on met à part les retours en arrière, et les sauts en avant, le cœur des « Lettres » (dans lesquelles les missives introspectives de la mère sont surtout sous-jacentes, bien qu’élément vital et humanisant) raconte l’histoire de comment cette toute petite femme courageuse (elle mesurait à peine un mètre cinquante) est partie avec l’équivalent d’un dollar, dans un environnement où elle n’était manifestement pas la bienvenue, pour s’occuper – selon sa célèbre expression – «  des plus pauvres parmi les pauvres. »

Madame Stevenson qui est une mère Teresa bien trop grande, et inexpressive, a dit récemment dans une interview postérieure à la sortie du film : « Je n’ai pas de foi religieuse, et elle (Teresa) croyait si ardemment en Dieu. Je ne peux pas non plus être plus différente d’elle à propos de ses vues sur les droits des femmes, le contrôle des naissances et l’avortement….mais cela a été un merveilleux défi. »

Est-il possible pour un acteur, une fois de temps en temps, de montrer du respect pour l’individu dont ils jouent le rôle ? Toutefois, le film « Les Lettres » n’est pas un laïus dans le style de Hitchens, polémiquant contre la religieuse impérialiste- et d’autres ; c’est un film respectueux. Pourtant dans la scène du Nobel, Stevenson récite simplement la prière de Saint François, laissant de côté le commentaire plus saisissant qu’avait fait mère Teresa. «  L’avortement », avait déclaré en fait la Mère à son auditoire choqué, « est le plus grand destructeur de la paix aujourd’hui. En effet, si une mère peut tuer son propre enfant – que reste-t-il pour m’empêcher de vous tuer, et vous de me tuer – rien ».

Et alors…on se trouve finalement d’accord avec le père Benjamin Praagh qui dit de mère Teresa, à une salle pleine de Clercs au Vatican (Probablement la congrégation pour la cause des saints) « Je n’imagine personne qui soit plus digne d’être saint ».

Pour ce rappel, au moins, « Les Lettres » ont du mérite.

14 décembre 2015

Source : http://www.thecatholicthing.org/2015/12/14/a-pencil-in-gods-hand/