« Troupe solide, troupe inflexible… » - France Catholique

« Troupe solide, troupe inflexible… »

« Troupe solide, troupe inflexible… »

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Les cérémonies pour le centenaire de la bataille de Verdun, qui se sont déroulées hier, n’ont pas dérogé à l’esprit qui préside généralement au rappel des événements de la Première Guerre mondiale. L’effroi pour l’atrocité des massacres le dispute à la reconnaissance pour tant d’héroïsme. Avec le recul du temps, la tonalité mémorielle change, et elle change même du tout au tout. J’ai souvenir d’avoir assisté dans mon enfance a des cérémonies au monument aux morts, auxquelles participaient des anciens combattants de Verdun, qui racontaient ce qu’ils avaient vécu, parfois dans les lieux les plus célèbres, telle la fameuse Tranchée des baïonnettes. Ils se plaignaient de la faible assistance villageoise en ces 11-Novembre, voulant perpétuer la mémoire dont ils étaient les gardiens vigilants. Bien sûr, ces anciens combattants ont disparu aujourd’hui, et le temps de l’histoire a remplacé celui de la mémoire. Et l’histoire obéit à des critères qui sont souvent assez étrangers à ce qu’on appelle l’objectivité. Il s’agit le plus souvent de mettre en rapport les soucis d’aujourd’hui et les leçons du passé.

Ce n’est pas en soi une mauvaise chose. L’histoire comporte forcément des jugements qui permettent de démêler les erreurs du passé, à surtout ne pas recommencer. Je regrette toutefois qu’on ne soit pas assez attentif au récit des témoins directs des événements, qui nous les ont transcrits dans des ouvrages qui font partie de notre patrimoine littéraire. Je pense à deux d’entre eux, des personnages singuliers évidemment : Pierre Teilhard de Chardin et Georges Bernanos. Leur pensée, leur œuvre sont les fruits directs de ce qu’ils appelaient « l’expérience du Front ». Une expérience dont le père Teilhard éprouvait une étonnante nostalgie. Non qu’il ait le moindre goût pour le massacre : trop de ses proches avaient été tués dans leur extrême jeunesse, et lui-même n’avait échappé à la mort que par miracle. Mais ce qu’il retenait du Front, c’était une sorte de « réalité surhumaine » qui révélait la destinée de l’humanité. Georges Bernanos n’était peut-être pas très loin de lui, lorsqu’il lançait son apostrophe : « Vieux amis des hauteurs battues par le vent, compagnons des nuits furieuses, troupe solide, troupe inflexible… et qui reçûtes, un jour en pleine face, ce jet brûlant de l’artère et tout le sang du cœur ennemi… » Sans doute, ce langage s’apparente-t-il à la poésie, mais c’est celui de la vie même des garçons de vingt ans, qui combattirent à Verdun et ailleurs. Ceux que nous avons toujours à honorer.

Chronique diffusée sur Radio Notre-Dame le 30 mai 2016.