Souvenons-nous de Carrie Buck - France Catholique
Edit Template
Van Eyck, l'art de la dévotion. Renouveau de la foi au XVe siècle
Edit Template

Souvenons-nous de Carrie Buck

Traduit par Bernadette Cosyn

Copier le lien

Carrie Buck, de l’affaire Buck v. Bell à la Cour Suprême en 1927, était née dans l’indigence en 1906 à Charlottesville, en Virginie. Son père a très vite abandonné sa famille, et sa mère fut placée en institution pour « faiblesse d’esprit » et débauche quand Carrie était encore enfant. Carrie fut adoptée par une famille d’accueil. A 18 ans, elle fut violée et mise enceinte.

Sur la base de sa prétendue déficience intellectuelle, de son incorrigibilité et de sa débauche, sa famille d’accueil la fit interner, comme l’était sa mère, dans la Colonie pour épileptiques et faibles d’esprit de l’Etat de Virginie, près de Lynchburg. Elle donna naissance à une fille, Vivian, qui fut adoptée par la propre famille d’accueil de Carrie.

La même année, en 1924, le corps législatif de l’Etat vota une loi autorisant l’Etat à stériliser contre leur gré les « inaptes » et le directeur de la colonie, le docteur Albert Sydney Priddy, sélectionna Carrie comme premier patient de cette procédure. Les opposants à la loi déposèrent un recours et l’affaire suivit son cours à travers les tribunaux jusqu’à ce qu’elle arrive à la Cour Suprême.

Entretemps, le docteur Priddy était mort, laissant son remplaçant à la direction, le docteur John Hendren, poursuivre l’affaire. C’était l’apogée du mouvement eugéniste, et la capacité de planifier scientifiquement la transmission des gènes d’une génération à l’autre, en vue d’améliorer le capital génétique de la société, était comprise comme une aubaine. « Trois générations d’imbéciles, ça suffit » écrivit le président de la Cour Suprême, Oliver Wendell Holmes, exprimant l’avis de la majorité. La Cour statua en faveur de Bell contre Buck, par huit voix contre une.

Le seul vote d’opposition vint du juge Pierce Butler, un catholique engagé. Avant que l’affaire ne soit jugée, Holmes se désolait : « Butler sait que c’est une bonne loi, je me demande s’il aura le courage de voter comme nous, en dépit de sa religion. »

Butler et « sa religion » ont été amplement réhabilités après la deuxième guerre mondiale quand la popularité de l’eugénisme, adopté avec tant d’enthousiasme par les nazis, a décliné.

Le jugement Buck v. Bell n’a jamais été renversé mais les lois eugéniques d’Etat sont rapidement tombées en désuétude, bien que la pratique en ait perduré dans les prisons californiennes jusqu’en 2010. En 2002, une plaque commémorative fut placée au lieu de naissance de Carrie Buck, à Charlottesville, et le gouverneur de Virginie exprima des regrets pour les pratiques eugénistes de l’Etat.

Le juge Holmes était un progressiste, comme le mouvement eugéniste dans son ensemble. L’eugénisme était vanté par les principales personnalités progressistes, y compris les présidents Woodrow Wilson et Théodore Roosevelt, et fut la principale motivation de la fondatrice du Planning Familial, Margaret Sanger (un fait qui n’est presque jamais mentionné de nos jours).

La tentative de dissocier l’eugénisme du progressisme est parfois devenue cocasse.

Dans un essai sur le sujet, remarquable par ailleurs, Stephen Jay Gould inclut cette déclaration stupide : « Nous considérons habituellement l’eugénisme comme une mouvement conservateur et ses critiques les plus virulents comme des membres de la gauche. » Il concède toutefois que « l’eugénisme, soutenu en son temps comme la fine fleur du modernisme scientifique, a attiré de nombreux libéraux et pas mal de gens parmi les groupes les plus ouvertement critiques, souvent étiquetés réactionnaires et antiscientifiques. »

Toujours est-il que si le mouvement lui-même est discrédité, la philosophie qui l’inspire est toujours professée. Quarante-cinq ans plus tard, la Cour Suprême a statué sur un autre cas impliquant des femmes et la procréation.

Si, dans Buck v. Bell, elle a pris le contrôle de la maternité d’une femme pour la confier à l’état, l’affaire Roe v. Vade a proclamé faire le contraire.

Quoi qu’il en soit, dans les deux cas, les opposants ont été décriés comme des factieux et des rétrogrades pendant que les triomphateurs étaient salués comme les avocats d’une « société de progrès ». Et dans les deux cas, c’est la nouvelle génération, ce don humain sacré, qui a été rejetée. L’eugénisme peut bien ne plus être embrassé avec ferveur, la stérilisation volontaire et l’élimination des vies humaines « défectueuses » n’ont jamais été aussi acceptables, comme on peut le voir avec l’omniprésence de la contraception et l’effoyable taux d’avortement des enfants trisomiques.

Actuellement, ce nom trompeur d’eugénisme (NDT : étymologiquement, ce mot veut dire bon engendrement) semble, c’est bien triste, ne pas découler d’une grande valorisation de la vie.

Plus tard, Carrie Buck est sortie de l’institution en libération conditionnelle, a trouvé du travail et s’est mariée. On découvrit que le violeur avait été un neveu de sa famille d’accueil, l’enfermement de Carrie avait été destiné à garder secrets l’identité du garçon et l’embarras de la famille. Le coupable ne fut jamais traduit en justice.

L’avocat de Carrie Burke, dont les observateurs remarquèrent qu’il avait plaidé particulièrement mal, se révéla être un défenseur de l’eugénisme et un membre du conseil de direction de l’établissement où elle était enfermée.

Sa soeur Doris fut également stérilisée, secrètement, à l’occasion d’une ablation de l’appendice. Elle n’eut pas d’enfant et n’en découvrit la raison qu’en 1980.

Dans une lettre à Stephen Jay Gould, le professeur de droit Paul Lombardo a décrit une rencontre avec Carrie Buck peu avant qu’elle ne meure : « quand je l’ai rencontrée, elle lisait les journaux tous les jours ; elle rejoignait régulièrement une amie plus lettrée pour l’aider à faire des mots croisés. Ce n’était pas une femme raffinée, elle manquait de bonnes manières, mais les professionnels de santé mentale qui l’ont examinée dernièrement ont confirmé mon impression qu’elle n’était ni malade mentale ni retardée. »

Carrie Buck est morte en 1983, à l’âge de 76 ans. Vivian, sa fille unique, la dernière des « trois générations d’imbéciles » dont parlait le juge Holmes, a mené une scolarité normale à l’école primaire de Charlottesville avant de mourir de maladie en 1932, à l’âge de huit ans.


Michael Baruzzini est écrivain et chroniqueur indépendant. Il écrit pour des publications catholiques et scientifiques.

illustration : Carrie Buck

Source : http://www.thecatholicthing.org/columns/2014/remembering-carrie-buck.html