Souvenir du cardinal George - France Catholique
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L'amour du travail bien fait avec saint Joseph artisan
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Souvenir du cardinal George

Traduit par Yves Avril

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Francis George – cardinal archevêque retraité de Chicago, ancien vicaire général des Oblats de Marie Immaculée, et ancien président de la Conférence américaine des évêques catholiques (2008-2010)- est mort hier matin. Il serait difficile de louer – et même d’énumérer – ses nombreux talents et réalisations en tant qu’homme d’Eglise et en tant qu’homme.

J’ai passé beaucoup de temps avec lui entre 2008 et 2011, l’aidant à la composition de ses livres The Difference God Makes [« La différence que Dieu fait »] et God in Action [« Dieu en action »]. Mais à parler franchement, il n’y a probablement jamais eu un seul évêque américain qui ait moins eu besoin d’aide pour un livre. Dans les nécrologies, on l’appelle le « Ratzinger américain ». Et c’est vrai de bien des manières.

Il avait une intelligence remarquable et l’exerçait dans une grande variété de sujets. Tout ce dont il avait besoin en fait était de quelqu’un qui organisât la production de ses livres. Thomas Levergood, directeur de l’Institut Lumen Christi à l’Université de Chicago, en avait une perception critique : notre travail était de rassembler le matériel – la plupart du temps des conférences de la longueur d’un chapitre que le cardinal avait données au long des années – et de programmer une série de rencontres avec le cardinal à ses jours « de liberté » pour édition et révision.

Comme Ratzinger, le cardinal avec un esprit si fertile et si dynamique que c’était vraiment quelque chose de travailler avec lui. Habituellement, dans l’édition, vous coupez les répétitions, vous clarifiez les passages obscurs. La plupart du temps, cela signifie abrègement et précisions parce que l’expression est vague ou tortueuse. Avec le cardinal George, cela n’arrivait presque jamais. Quand vous mettiez l’accent sur un problème – et vous deviez être prudent parce que vous ne saviez pas sur quoi vous alliez déboucher – cela signifiait presque toujours qu’il prendrait un autre point de vue, étant donné qu’il avait une demi douzaine d’idées nouvelles sur chaque point. De bonnes idées.

Il se rendait à l’université ou au séminaire Mundelein pour commenter des articles de personnalités comme le spécialiste bioéthique Leon Kass ou le philosophe Jean-Luc Marion. Et contrairement à ce que beaucoup pensaient de lui, c’était un grand extraverti : il adorait la conversation. Quelques-unes de ses meilleures idées venaient d’échanges avec d’autres.

Ce n’était pas facile pour lui de se rendre à l’archevêché de Chicago et ce n’était pas facile non plus d’y être. Il était né à Chicago, mais avait eu la polio dans son enfance, dont il était resté boiteux. Il ne voulait pas en être gêné. Mais je me souviens, peut-être il y a dix ans, comme nous nous rendions à une réunion de bureau à l’université St Thomas à Houston, il fit une mauvaise chute sur le verglas. Cela nous bouleversa tous, il n’en fut aucunement ébranlé.

Il y avait des obstacles académiques. Il étudiait la théologie dans un séminaire à Ottawa, et la philosophie à l’Université catholique d’Amérique. Mais quand les OMI le nommèrent tout jeune prêtre en Louisiane, il voulut faire un PhD en philosophie pendant son temps « libre ». Comme il le racontait souvent, le département le refusa d’abord parce que, lui dit-on, les prêtres catholiques, étant sujets à l’autorité de l’Eglise, ne pouvaient pas effectivement « faire » philosophie. Il les convainquit qu’il n’en était pas ainsi. Mais ils imposèrent une condition : il ne porterait pas l’habit ecclésiastique en cours.

Ironiquement il voulut étudier la philosophie américaine. Il avait reçu une solide formation en philosophie catholique traditionnelle – Platon et Augustin, Aristote et saint Thomas – mais il voulait savoir qui étaient les grandes figures de la philosophie américaine – Dewey, Royce, James etc. – et ce que cela signifiait pour l’Eglise aux Etats-Unis.

Plus tard il passa une autre doctorat à l’Urbaniana de Rome sur l’inculturation de l’Evangile, sujet utile pour le chef d’un ordre missionnaire mondial, mais aussi pour quelqu’un qui voulait réfléchir profondément sur la façon dont l’Eglise pouvait évangéliser la culture américaine.

Chicago était pour lui une ville dure, non seulement parce que sa théologie et sa morale étaient traditionnelles et vigoureusement défendues. Etant natif de Chicago de naissance, il riait souvent en racontant sa rencontre avec le cardinal Bernardin (sur un point probablement le membre le plus en vue de la hiérarchie américaine) à l’occasion d’une réception. Ne pensant pas qu’il reviendrait jamais à Chicago il demanda à Bernardin :

« Joe, comment gérez-vous une place comme Chicago ? »

Bernardin se mit à rire : « Gérer ? Gérer ? Vous ne pouvez pas gérer une place comme Chicago parce que c’est par nature ingérable. »

Cela dit par un prince d’Eglise « libéral » .

Le cardinal George était traditionnel en foi et en morale, mais contrairement à ce que beaucoup de gens pensent, pas particulièrement conservateur en termes politiques. Il n’était pas d’accord parfois avec des articles que nous produisions à propos de l’immigration sur ce site. Il pensait que l’Eglise et la société américaine devaient accueillir les étrangers.

J’essayais aussi, au temps de sa présidence à l ‘USCCB, de lui faire poser la question à ses frères évêques sur ce qui pouvait se produire une fois que l’état moderne aurait pris complètement en charge la médecine américaine via l’Obamacare. Il comprit bien sûr, mais comme les évêques américains depuis presque un siècle, il était pour la couverture médicale universelle malgré les risques.

Rien de cela bien sûr ne lui valut la reconnaissance du pénible milieu démocratique de Chicago. Et de l’Illinois. Quand il mentionna juste en passant à une conférence qu’il était gênant que Notre Dame ait décidé de donner au président Obama un doctorat honoris causa, William Daley l’accusa absurdement de « diviser l’Eglise ». Et alors ce fut le sénateur de l’Illinois Dick Durbin, un autre catholique pénible, dont il vaut mieux ne pas parler.

Il reconnaissait le charisme personnel de Barack Obama et en parlait, mais aussi il décrivait l’habitude du président de résumer un entretien en disant : «  Bon, alors, nous sommes d’accord » quand en fait il n’en était rien.

Entre autres talents, le cardinal George était un bon pianiste. Moi-même j’aime jouer et un jour, au piano de la résidence, je lui demandais pourquoi il ne jouait plus « Je n’ai pas le temps, et maintenant mes goûts vont au-delà de mes capacités. »

Si c’est vrai, c’est là l’un des rares domaines où ses talents furent au-dessous de ses niveaux très élevés. Ce fut un grand chef, un grand esprit, un grand ami. La remarque pour laquelle probablement on se le rappellera surtout est celle-ci : « Je m’attends à mourir dans mon lit, mon successeur mourra en prison et son successeur mourra en martyr sur la place publique. Son successeur recueillira les morceaux de la société en ruines et lentement aidera à rebâtir la civilisation comme l’Eglise l’a fait si souvent dans l’histoire humaine »

J’ai reçu des messages d’amis, ici et en Europe, témoignant de leur affection pour lui et des inquiétudes à propos de ce qui va arriver à l’Eglise en Amérique . Tout cela est bien sûr incertain, et le cardinal George – qui fit beaucoup dans sa vie pour l’Eglise et la nation – dirait probablement que maintenant cela dépend de nous ;

Requiescat in pace. Et in paradisum deducant te Angeli: in tuo adventu suscipiant te martyres, et perducant te in civitatem sanctam Jerusalem.

[« Qu’il repose en paix. Et qu’au paradis te conduisent les Anges : qu’à ton arrivée t’accueillent les martyrs, et qu’ils te conduisent dans la cité sainte Jérusalem. »]

18 avril 2015

Source : Remembering Cardinal George

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Robert Royal est rédacteur en chef de The Catholic Thing, et président de l’Institut Foi et Raison à Washington, D.C. Son dernier livre est The God That Did Not Fail. How Religion Built and Sustains the West [« Le Dieu qui ne fait pas défaut : comment la religion a bâti et soutient l’Occident »], qu’on peur maintenant se procurer en livre de poche chez Encounter Books.