Rendez-vous à Dabiq - France Catholique
Edit Template
Van Eyxk, l'art de la dévotion
Edit Template

Rendez-vous à Dabiq

Copier le lien

L’Etat Islamique en Irak et au Levant (EIIL) une secte apocalyptique ? C’est une version actuellement fort prisée aux Etats-Unis au moment où on y débat de la riposte à lui opposer.

Les responsables occidentaux se sont trompés dans leur approche de l’Etat Islamique en déniant que celui-ci soit un Etat et qu’il ait quoi que ce soit à voir avec l’islam. EI n’est pas qu’un simple mouvement terroriste ; il tire de l’islam sa légitimité au même titre que d’autres interprétations de cette religion. Le mot-clé ici est le califat : d’autres mouvements ont depuis son abolition en 1924 prôné une restauration de cette institution. Or il n’est pas de califat sans autorité sur un territoire et une population. De l’Etat EI possède ces critères. Il n’est pas non plus de califat sans djihad. L’accent est mis ici sur les « apostats » qui sont dans l’ordre les chiites, les Saoudiens et autres régimes qui exploitent le peuple des croyants, enfin les hypocrites, les musulmans non ou peu pratiquants. Les infidèles, les « croisés », sont à l’extérieur du schéma.

Tout ceci pour marquer l’opposition entre EI et les autres organisations qui l’ont précédé comme les Frères Musulmans et surtout Al Qaeda. Ce dernier était une nébuleuse de cellules et ciblait en priorité l’ennemi extérieur, les Etats-Unis et l’Occident en général. Pour mobiliser les masses populaires, les doctrinaires d’EI ont compris que l’antiaméricanisme voire même l’antisémitisme ne suffisaient pas, ni même la simple revendication d’un pouvoir politique comme les Frères, ni même à la limite la possession de Lieux saints qu’ils ne reconnaissent pas comme tels. Il fallait donner un sens concret à l’engagement qui n’est pas ici l’idée popularisée en Occident d’accéder par le martyre à un paradis de vierges mais de faire advenir la Fin des Temps, l’accomplissement de toutes choses sur terre de leur vivant !

La manière dont est présentée cette Apocalypse est différente des précédentes dans l’islam. Souvent on a en tête le « retour du Mahdi » ou de « l’Imam caché », au Soudan, en Iran. Avec EI, la littérature semble axée sur l’idée du combat final terminé par la défaite des djihadistes dont seul un petit reste survit, réfugié à Jérusalem, avant la rédemption finale. Par beaucoup de traits, cette version ressemble à celle de certains sionistes chrétiens, ces millénaristes américains qui ont popularisé par des ouvrages vendus à des millions d’exemplaires la lutte finale à Jérusalem. On peut même soupçonner que les textes d’EI ont été compris par les analystes américains qui les propagent actuellement par l’intermédiaire de la lecture de ces communicants évangéliques et qu’ils pensent que ce narratif aidera l’Américain moyen (mais pas Obama) à mieux comprendre le phénomène.

L’une des différences est que la bataille finale située par les lecteurs de la Bible dans les plaines du nord d’Israël, à Armageddon — référence favorite de l’ancien président Ronald Reagan — est attendue par l’EI à Dabiq, une zone rurale près d’Alep, première base de l’organisation qui a donné son titre au magazine qu’elle publie.

Que penser de la réalité de ce discours qualifié de « discours de la méthode prophétique » ?

C’est bien entendu un discours de légitimation d’un califat qui n’en a aucune par ailleurs et qui donc peut à tout moment être contesté de l’intérieur. Mais n’en allait-il pas autant du califat ottoman ? Il fournit néanmoins une grille de lecture des actions d’EI qui en vaut bien d‘autres. Par exemple qu’EI, qui sait qu’il a sans doute atteint son extension maximale et se heurte de tous côtés à des forces qui le contiennent, n’espère plus qu’en la guerre ouverte, frontale, qui lui permettrait de rassembler tout le monde sunnite contre les envahisseurs chiites, kurdes, hypocrites (sunnites dits modérés) et croisés !

Les analyses apocalyptiques d’EI serviraient ainsi aujourd’hui dans l’opinion éclairée américaine à démonter le piège et à ne pas initier entre Occident et Islam une nouvelle confrontation militaire qui compte des partisans. Les auteurs pensent qu’il existe d’autres voies plus subtiles, plus patientes, plus longues avant l’étiolement du mouvement et son autodestruction. La discussion est ouverte mais au moins sur des bases moins fantaisistes que jusqu’à présent.

Réf. « What ISIS Really Wants » (ce que recherche vraiment EIIL), Graeme Wood, The Atlantic, mars 2015.

« The ISIS Trap » (le piège d’EIIL), David Von Drehle, Time, 9 mars 2015