Réalités et fiction - France Catholique

Réalités et fiction

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Il est intéressant, ou, plutôt, inintéressant, d’observer les professionnels des fausses nouvelles qui condamnent les amateurs bénis de la spécialité.
Disons plutôt qu’ils ne sont pas bénis : quand les gauchistes hystériques clament qu’internet est envahi de racontars et d’insanités de droite — honteuses diffamations politiques et inventions haineuses méritant de lourdes sanctions — ils ne peuvent qu’avoir raison. De telles infâmies sont commises sur tout l’échiquier politique, comme peut le constater n’importe quel lecteur éveillé consultant un site internet qu’il réprouve.

C’est normal. Dans les démocraties « représentatives » la politique a consisté en conflits fangeux depuis qu’on dispose d’informations, et avec internet on a accès à ce qui était naguère confiné localement. On imaginait avec optimisme que les électeurs seraient en mesure de faire le tri entre substance et humeurs. Serait-ce toujours possible ?

Les gens croient ce qu’ils veulent croire, et, selon la loi de l’offre et de la demande ils entendront ce qu’ils meurent d’envie d’entendre.

On se trompe en pensant qu’il y a un perfectionnement croissant alors que la désinformation est simplement diffusée à une plus grande échelle. C’est vraisemblablement le contraire. En un lieu restreint, de culture homogène, les mensonges doivent être plus soigneusement élaborés. Les mensonges adressés à une vaste audience peuvent être bâtis  » en série », comme en usine.
J’inflige un blâme à George Eliot. Non, je ne la blâme pas, j’estime qu’elle était une merveilleuse romancière, brillante observatrice des petits, subtils, faits et détails pleins d’intérêt pour tout historien de la société. Mais comme d’autres auteurs « classiques » de la période « Trois Tomes » (époque où les romans étaient publiés en trois volumes ventrus), elle n’y arrivait pas. Elle tentait de promouvoir une avancée politique — comme Dickens, lui aussi, parfois, mais elle n’avait pas comme lui cette vision si mystérieusement généreuse.

S’égarer dans l’univers de Felix Holt, ou bien dans celui de son épopée provinciale Middlemarch, c’est se perdre dans les méandres des projets d’une professionnelle. Tout son reportage est conscientieux, mais en même temps elle sape sciemment les idées reçues sur l’ordre moral et ouvre le chemin aux horreurs à venir. Plus ingénieusement qu’ Inchbald ou Godwin [N.d.T. : Elizabeth Inchbald (1756 – 1821) : romancière, dramaturge – William Godwin (1756-1836) : fondateur de l’anarchisme philosophique.] elle fait progresser les idées révolutionnaires qui déboucheront sur la démocratie telle qu’elle est de nos jours.

Et pourtant elle a les dons grâce auxquels un lecteur intelligent, de quelque parti qu’il soit, peut tirer profit. Elle écrit toujours pour ce « lecteur intelligent » qui conserve son propre jugement. Ils n’étaient guère nombreux à cette époque, tout comme à présent ; une toute petite minorité si on mesure les réactions dans le presse.

Je ne suis sans doute pas bien indulgent à son égard ; elle a une espèce de « vision cosmique » ratatinée qui me chagrine. Tous les grands premiers romanciers Victoriens ont tendance à critiquer ce monde nouveau de l’industrialisation, aucun n’est dégagé d’une position politique, sans pour autant exprimer un fervent engagement partisan. Eliot est une pionnière du style journalistique New York Times [N.d.T. : le grand quotidien U.S. champion de la gauche gauchiste.] — tout en se déclarant objective.

Au fil de ce dix-neuvième siècle, en Angleterre comme sur le Continent, la mode du roman en trois tomes s’effrite, les romans deviennent presque aussi minces que des tracts. On s’efface devant des sujets vieillissants en un monde désormais occupé par le métro et le chemin de fer. La décadence « fin de siècle » [En Français dans le texte] et la mode Edouardienne sont le prélude à ce qui viendra, après la Grande Guerre, dans une société européenne désormais divisée non pas entre « aristocrates et paysans », mais entre élites technocratiques et masses populaires. La presse à scandale est en plein essor, les éditeurs sérieux se font remplacer par les cyniques « barons de presse ».
Les tendances « libérale » et « conservatrice » [N.d.T. : outre Atlantique le mot « liberal » signifie « de gauche ».] évoluent, s’adaptant aux masses populaires ; mais toutes deux sont issues d’une fissure ouverte dans la société lors de la Révolution Française.

Les informations, depuis l’âge d’or du Times (londonien), avaient été tout autres — des nouvelles pratiques dans les pages quotidiennes, utiles aux lecteurs intéressés par les sujets politiques, commerciaux ou intellectuels, proposaient concision et précision ; en complément, de longs articles et analyses publiés dans les suppléments « intello » hebdomadaires ou mensuels. Désormais, et à tous les niveaux, c’est de plus en plus « informations utiles » pour le consommateur récemment alphabétisé.

Ou plutôt des informations plus ou moins truquées afin de remporter des élections, de vendre des produits puis des services, et, plus généralement pour orienter les modes sur un « marché » largement ouvert et « technicisé » par les monstrueuses inventions qui nous envahissent en une « guerre totale ».
Une autre façon de parler de post-modernité, que, d’instinct, je condamne, se trouve dans « l’âge de la publicité ». Chacun doit trouver un moyen pour avoir son gagne-pain, et les bonnes vieilles recettes consistant à cultiver la terre ou acquérir un savoir-faire par l’apprentissage sont en voie d’extinction.

La servitude actuelle de la plupart des « emplois peu qualifiés » (avec des patrons plus agressifs et ambitieux) va de pair avec une nouvelle sous-instruction. Elle est soutenue par une propagande grossière et fréquemment mensongère qui associe cette évolution avec « liberté » et « égalité » (concepts incompatibles).

Internet n’a fait qu’accentuer cette évolution démesurée. Le vieux jeu des compétitions éventuelles se joue maintenant à l »chelle globale, de telle sorte que nationalismes et populismes rivaux se bousculent, différents en apparence mais en réalité de même origine.

Une information diffusée actuellement par les grands médias n’est, selon moi, que de la boue, destinée à être de la vraie boue. Les mensonges flagrants s’exposent, à un certain degré, à la correction automatique, mais rarement « en temps réel », au moment de prendre une décision. Qui résistera à la tentation de fausser le jeu dans un environnement où l’honnêteté n’est pas récompensée ?

Dans les milieux commerciaux se trouve cet adage : les démarches de vente doivent rendre l’acheteur content de lui-même.

Voyons le cas de l’Église Catholique, qui attire ceux qui se sentent mal à l’aise à cause de leurs fautes, de leurs péchés ; et dont les fidèles doivent être vaccinés contre la « fièvre des informations ». Sa tâche a, pour moi, une urgence de vie et de mort. Puisse-t-elle s’épanouir parmi nous. Puisse-t-elle agir sans faire de concessions.

https://www.thecatholicthing.org/2016/12/10/fact-fiction/

10 décembre 2016.

Photo : George Eliot – London Stereoscopic & Photographid Copany, 1858.