Ralentissons et examinons - France Catholique
Edit Template
L'amour du travail bien fait avec saint Joseph artisan
Edit Template

Ralentissons et examinons

Traduit par Bernadette Cosyn

Copier le lien

Chaque fois que j’étudie une nouvelle langue, je commence avec une grammaire et je poursuis avec une Bible. Je sais ce que je suis en train de lire, alors je peux « entendre » les mots dans la nouvelle langue sans m’arrêter à traduire chaque mot. Je procède toujours très lentement, et cela, je l’ai appris, m’aide à lire la Bible.

Je ne peux pas simplement parcourir les phrases pour découvrir le sens général sans m’arrêter pour noter les particularités des mots. Ma façon de lire un ancien poème, Beowulf ou l’Enéide, n’est pas celle avec laquelle je lis les Ecritures en anglais moderne. Mais je suis quasi obligé de l’employer dans une langue étrangère. Ces derniers temps, pour moi, la langue étrangère est le gallois.

Laissez moi balayer une objection. On suppose que Matthieu, Marc et Jean, parce qu’ils écrivaient dans une langue étrangère, ne pouvaient user d’effets poétiques. Mais la poésie hébraïque est basée sur la répétition de mots et de phrases qui s’équilibrent, une bonne part survit à la traduction.

Le poète Jésus a dit : « de la mesure dont vous mesurez, on mesurera pour vous en retour ». Il utilisait la forme poétique hébraïque classique, toujours perceptible en anglais.

Par ailleurs, un vocabulaire limité n’est pas un obstacle à la méditation sur quelques idées et mots importants, en les tournant et les retournant. La langue maternelle de Jean n’était pas le grec, et pourtant son Evangile est une poésie théologique du plus haut sublime. La poésie de Charles Péguy est du même genre, en vers libres très répétitifs – et Péguy écrit dans sa langue maternelle.

Examinons donc un passage bien connu dans Matthieu. Jésus demande à ses disciples : pwy y mae dynion yn dywedyd fy mod i, mab dyn ? Mot à mot : qui les hommes disent que je suis, Fils de l’Homme ? C’est-à-dire : qui suis-je d’après les hommes, moi le Fils de l’Homme ?

C’est un équilibre ironique : les hommes d’un côté, le Fils de l’Homme de l’autre. Jésus s’attribue le mystérieux titre divin tiré de la vision apocalyptique de Daniel : Fils de l’Homme. Ce n’est pas du langage courant parmi les Juifs, mais « homme » est un mot courant. Si quelqu’un sait qui est le Fils de l’Homme, c’est, ou ce devrait être un homme. Rappelons-nous Saint Jean : « il est venu chez les siens et les siens ne l’ont pas reçu. » Le Fils de l’Homme est venu racheter l’homme, et les hommes devraient Le connaître, ils Lui appartiennent. Il est l’un d’entre eux.

La formulation est annihilée si nous traduisons « hommes » par « gens », de crainte de donner des vapeurs à quelque féministe. Les Pharisiens viennent de demander un signe du ciel à Jésus. Jésus les réprimande : ils sont aptes à déchiffrer les signes dans le ciel. Ils voient le ciel rouge le matin et disent : « il va y avoir un orage ». Comme c’est étrange : eux, hommes sur la terre, sont capables de déchiffrer des signes là-haut dans le ciel, mais incapable de déchiffrer les signes des temps envoyés du haut du ciel.

Aucun signe ne leur sera donné, dit Jésus, excepté le signe de Jonas.

Il part, et propose à Ses disciples une autre enigme : « méfiez-vous du levain des Pharisiens ». Les disciples, oubliant les pains et les poissons, se demandent si Jésus veut qu’ils aillent acheter du pain. Jésus les rabroue aussi – pour leur peu de foi et leur esprit bouché.

Voilà le contexte de la profession de foi de Pierre. Jésus interroge les hommes sur le fils de l’Homme. Les disciples, tous hommes, bien que choisis par Dieu répondent : « certains disent Jean-Baptiste, d’autres Elie, d’autres encore Jérémie ou l’un des prophètes ». Des réponses générales. Ciel rouge en soirée, marin rassuré.

« Mais vous, qui dites-vous que Je suis ? » Les hommes se taisent. Pierre, inspiré par l’Esprit-Saint, proclame : « tu es le Christ, le Fils du Dieu Vivant. » Non pas un fils mais le Fils : le Fils de Dieu est le mystérieux Fils de l’Homme.

« Béni es-tu, Simon mab Jona », Simon fils de Jonas !

Jonas était le prénom du père de Pierre, et Jésus le rappelle à dessein. Le gallois le met en évidence : mab Jona établit un parallèle avec mab Duw et mab y dyn, fils de Dieu et Fils de l’Homme. Le seul signe que nous recevrons du ciel est un signe, pour ainsi dire, du monde en dessous de nous : le signe de Jonas, avalé par la baleine, préservé par Dieu trois jours dans ce sombre tombeau.

Jésus surgissant est le vrai Jonas. Simon, fils de Jonas, entre dans une relation intime avec Jésus, « car ce ne sont pas la chair et le sang qui t’ont révélé cela, mais mon Père qui est aux cieux ». Jésus-Jonas, dans le rôle du père, donne alors un nouveau nom à Simon, Pierre, le rocher.

Il lui donne aussi autorité sur terre, parmi les hommes, pour rendre les cieux lisibles. Le Gallois, lu littéralement, met en opposition l’autorité de Pierre avec l’aveuglement antérieur des Pharisiens, même ceux qui savent lire dans le ciel : « je te donnerai les clefs du Royaume des Cieux : tout ce que tu lieras sur la terre sera lié dans les cieux, tout ce que tu délieras sur la terre sera délié dans les cieux. »

Mais cela ne s’arrête pas là. Jésus révèle qu’Il doit aller à Jérusalem pour y souffrir et y mourir des mains de ces chefs aveugles. Pierre, premant Jésus à part, Lui fait des reproches, Le suppliant d’avoir pitié de Lui-même. Sur ce, Jésus donne presque à Pierre un autre nom, « passe derrière moi, Satan. » Pierre prête attention, non pas y pethau sydd o Dduw, ond y pethau sydd o dynion, non pas aux choses de Dieu mais aux choses des hommes.

Les hommes encore et encore, un contraste énorme. Nous devons suivre le Fils de l’Homme et non les autres hommes, car les hommes sont aveugles et insensés, comme le premier Jonas. Jésus explique à l’homme qui est l’homme.

« Quel serait le profit pour l’homme, s’il gagne le monde entier et perd son âme ? Ou bien que pourrait donner l’homme en échange de son âme ? »

« Car le Fils de l’Homme viendra dans la gloire de son Père avec ses anges, et alors il récompensera chacun selon ses oeuvres. »

O homme, ne prends jamais ces passages des Ecritures à la légère.


Source : http://www.thecatholicthing.org/columns/2014/slow-down-and-consider.html


Anthony Esolen est un conférencier, traducteur et écrivain.

Illustration : Passe derrière moi, Satan ! , un tableau de Jacques Joseph (dit James) Tissot, vers 1890