Preuve de vie - France Catholique

Preuve de vie

Traduit par Bernadette Cosyn

Copier le lien

Il faut que l’Eglise résiste à l’Etat moderne, ce Béhémoth énorme, pesant et bureaucratique, arrivé précisément à ce point critique où il croit être devenu l’arbitre ultime du discernement entre le bien et le mal.

En pratique, la croissance du pouvoir de l’Etat au-delà de son domaine de compétence signifie que nous laissons les politiques – en tant que classe sociale, plus rouée qu’avisée – prendre des décisions sur des questions humaines fondamentales dont ils n’ont même pas entamé la compréhension. A moins d’un sérieux coup de pied au derrière administré par une autre solide institution nantie de bases intellectuelles et morales plus poussées, et d’un tout autre esprit, on sait comment cela finira.

C’est pourquoi le témoignage pro-vie de l’Eglise est si important en Amérique. Et pourquoi il est pris à partie à tout bout de champ. L’Eglise prononce un « non » catégorique sur un point moral majeur déterminant. Elle a convaincu une courte majorité des Américains que des tribunaux, des corps législatifs et plusieurs présidents ne se sont pas seulement trompés. Ils sont anti-vie.

Dans la tourmente actuelle, il est bon de se rappeler de telles victoires. Nous sommes en train de gagner au tribunal de l’opinion publique, si nous ne gagnons pas encore dans les tribunaux officiels. Nous sommes en train de gagner à l’échelon de la législation d’état. Et nous avons même encouragé les gens à se battre ailleurs dans le monde.

Je suis à Rome cette semaine (NDT : il y a un certain retard dans la traduction), et j’ai participé dimanche à la Marche pour la Vie italienne. La participation était impressionnante : 10 000 selon la police (NDT : 30 000 selon d’autres sources), dans un pays dont la population fait moins du cinquième de la population américaine. Pas aussi imposant que la Marche de Washington, mais laissons-lui du temps. Elle a débuté il y a six ans seulement – en partie pour suivre notre exemple.

Elle a des obstacles à surmonter. La Marche américaine part de la Maison Blanche pour aboutir à la Cour Suprême et au Congrès. Un tel parcours délivre un message. Les Marches italiennes débutent pour le moment à la Piazza della bocca della Verita [place de la bouche de la vérité]. C’est proche d’une ancienne statue romaine d’un homme ayant la bouche ouverte. La légende – qui serait bien utile si seulement elle était vraie – dit que si vous mettez la main dans sa bouche et que vous proférez un mensonge, elle vous mord. Le circuit se fraie un chemin à travers la ville jusque Saint Pierre.

Une organisatrice, Virginia Coda Nunziante, m’a dit qu’ils auraient voulu aboutir à un lieu public tel que le palais présidentiel ou le parlement italien. La police ne le permet à aucune manifestation quelle qu’elle soit, par crainte du terrorisme. Mais les organisateurs cherchent des modalités permettant que l’événement soit moins un message de catholiques à catholiques et davantage une déclaration publique.

Je voudrais pouvoir dire que le Pape partageait l’enthousiasme. Via della Conciliazone – le large boulevard qui conduit du Tibre à Saint Pierre – était bondée de marcheurs quand il est sorti pour la prière de l’Angélus samedi après-midi. Il a taquiné plusieurs petits groupes étrangers et fait remarquer que c’était la Fête des Mères dans plusieurs pays mais n’a lu qu’un message d’une ligne à l’intention des « participants de la Marche pour la Vie ».

Le monde remarque ce genre de choses. Vendredi, le pape François a reçu le prix Charlemagne, décerné pour avoir fait la promotion d’une Europe unifiée. Il n’a pas déçu, réprimandant les Européens pour ne pas travailler davantage à être vraiment unis. L’ensemble du discours mérite d’être lu comme étant l’expression claire de l’idée que le Pape se fait de ce que le monde devrait être.

Parmi nos nombreux paradoxes actuels, le Pape presse l’Europe – c’est-à-dire l’Union Européenne, l’un des plus grands promoteurs dans le monde de l’avortement et de la révolution sexuelle – de devenir plus intégrée et plus efficace alors que dans le même temps il cherche à décentraliser l’Eglise.

Bien sûr, François ne supporte pas l’éthique sexuelle européenne. Et il a réprimandé l’Europe vendredi : « Que t’est-il arrivé, Europe de l’humanisme, championne des droits de l’homme, de la démocratie et de la liberté ? Que t’est-il arrivé, Europe, patrie des poètes, des philosophes, des artistes, des musiciens, des hommes et des femmes de lettres ? Que t’est-il arrivé, Europe, mère des peuples et des nations, mère de grands hommes (et femmes) qui ont consacré et même sacrifié leur vie pour la dignité de leurs frères et sœurs ? »

On ne peut mieux dire. Et à son habitude, il a présenté trois points pour « remettre à jour » l’idée d’Europe et pour créer un nouvel humanisme : « la compétence à intégrer, la compétence à dialoguer et la compétence à engendrer ».

En termes d’intégration, il a présenté un but complexe : « la solidarité ne devrait jamais être confondue avec une aide charitable, mais entendue comme les moyens créant des opportunités pour tous les habitants de nos cités – et de toutes les autres – de vivre dignement. L’époque nous enseigne qu’il n’est pas suffisant d’installer les gens quelque part : le défi est celui d’une profonde intégration culturelle. »

Cela fait clairement référence aux problèmes comme l’importance du chômage des jeunes en Europe et le besoin d’entrepreneurs pour créer des emplois, mais peut-être bien plus à l’une de ses préoccupations particulières, les réfugiés musulmans : « armons nos peuples avec la culture du dialogue et de la rencontre. » Un vœu pieux qu’il est très improbable que l’Europe poursuive, vus les récents heurts avec des réfugiés et ce qui apparaît comme la quasi impossibilité d’intégrer des musulmans du Moyen-Orient.

En terme de « capacité à engendrer », il soutient que l’Europe devrait être capable d’innover et de subvenir aux besoins de tous, et de redevenir une société qui prend soin des enfants, promeut le mariage et la fondation d’une famille comme une joie, et pratique une intégration universelle.

Tout cela est fort bon, bien que le dernier point soit probablement utopique, et le reste difficile à faire accepter dans l’Europe telle qu’elle est actuellement. Mais il est frappant comme François peut être clair et précis quand il le veut. Par exemple quand il dit que l’économie sociale allemande de marché devrait remplacer l’économie « liquide », il veut sans doute dire capitaliste. Cela fonctionne en Allemagne. A peu près tout peut y fonctionner, mais c’est difficilement le cas ailleurs.

Et il a rappelé aux Européens : être un réfugié n’est pas un crime.

Mais supprimer une vie humaine innocente est un crime, et cela devrait être reconnu par la loi. Il meurt bien plus de gens par avortement, jour après jour, que dans les camps de réfugiés ou dans les tentatives de franchir la Méditerranée.

Chaque vie humaine est précieuse bien sûr, ce n’est pas un simple pion. Et grâces soient rendue à François pour ses propos candides. Mais vous pourriez souhaiter que quelqu’un lui dise, candidement : si vous ne parlez pas des millions de personnes qui meurent suite à un choix délibéré, vous affaiblissez votre position quand il en vient à être question de personnes victimes des circonstances.


Robert Royal est rédacteur en chef de The Catholic Thing, et président de l’institut Foi & Raison à Washington.

Illustration : la Marche pour la Vie à Rome

source : https://www.thecatholicthing.org/2016/05/09/proof-of-life/