Premier Mai - France Catholique
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L'amour du travail bien fait avec saint Joseph artisan
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Premier Mai

Traduit par Bernadette Cosyn

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C’est peut-être une aversion irrationnelle à la danse Morris qui m’a presque fait préférer la célébration communiste du Premier Mai. Les arbres de mai, je pourrais supporter, mais le spectacle d’hommes vêtus d’un blanc évoquant l’hôpital psychiatrique, sautillant en brandissant leurs cannes et leurs mouchoirs, me remplit d’une gêne pleine de commisération. Et il y a en plus les ridicules chapeaux.

Et pourtant, je suis accusé d’être « un homme du treizième siècle ». Sûrement, je dois aimer tout ce qui est médiéval.

Mais une explication vient rapidement. Pour ce que j’en sais, la danse Morris (ou mauresque, pour respecter l’étymologie) était une innovation du quinzième siècle. Pas étonnant que je la regarde de haut. Ce siècle était décadent.

A vrai dire, je n’aime pas non plus le défilé sur la Place Rouge, avec ses tanks et ses missiles. Cela me semble une étrange manière de célébrer la « victoire des travailleurs ». Il serait mieux, je pense, pour tous les travailleurs du monde – et ceux de l’ex-Union soviétique en particulier – de venir et défiler avec leurs outils (du moins tant qu’ils n’exécutent pas de danse Morris).

Ne faudrait-il pas célébrer ce jour par une grande grève internationale immotivée ? Ça serait un bon moyen de rappeler à la direction sa place dans le grand schéma économique des choses. Les soldats également pourraient bloquer le trafic routier avec leurs chars et passer la journée à boire, dans le plus pur style russe.

Déjà à l’âge de dix-neuf ans — âge où j’ai commencé à entretenir des idées réactionnaires dans ce domaine — il m’a semblé que le mouvement ouvrier manquait de spontanéité. C’était également le cas d’autres congés publics, comme le « congé bancaire d’août » — en Angleterre, au Canada, en Suisse et ailleurs. Où est l’amusement là-dedans ?

Jusque récemment, les Irlandais avaient une compréhension raciale de ce que je veux dire ici. Ils se référaient à tout jour chômé comme à un « congé bancaire ». C’est peut-être encore le cas. Quand le besoin se fait sentir de ridiculiser l’autorité séculière, j’ai toujours adopté la méthode irlandaise.

Car même Noël, ces autorités le réduisent à un congé bancaire. Alors, comme maintenant, le contenu est évacué de la célébration, et tout est évalué en termes bancaires. La législation est passée pour spécifier exactement qui obtient des concessions pour tel jour donné. Les choses se « transactionnalisent ». Tout est transaction.

Cela pourrait s’appliquer à la danse Morris, en dépit de ses antécédents folkloriques. Car elle est morte à l’époque victorienne. Elle a été consciencieusement remise au jour au vingtième siècle. Laissez-moi reconnaître que les revivalistes étaient probablement bien intentionnés, mais une certaine artificialité trahit le spectacle. Cela pourrait expliquer en partie mon dédain.

Des arbres de mai aux prolétaires de mai : voici comment a évolué le Premier Mai. Toute l’histoire, d’après les sources américaines standard — les émeutes de Haymarket à Chicago et tout le reste—– est une triste affaire. Des semaines de soixante heures, des grèves et des briseurs de grève, des policiers, des anarchistes, des bombes — il n’y a pas beaucoup d’humour là-dedans. Pour ceux élevés dans la culture protestante (j’en étais) les catholiques étaient associés à de bas salaires horaires. Leur propension à voter par conséquent « progressiste » reste une idée reçue héritée de cette époque.

S’il y a deux choses que je déteste dans l’industrialisation moderne, ce sont bien celles-ci : la gestion des entreprises et les syndicats. La relation antagoniste entre les deux pourrait aussi bien avoir été « légiférée » depuis le début. Il a toujours été dans l’intérêt de l’État d’encourager cet antagonisme qui garantit le rôle de l’État comme arbitre et pourvoyeur d’allocations.

Et puis les nouvelles élites ont émergé, remplaçant les vieilles aristocraties. Nous avons d’un côté, poussant comme des mauvaises herbes dans le paysage de la Révolution Industrielle, des « capitaines d’industrie », de l’autre des « dirigeants syndicaux », et au-dessus d’eux les politiciens.

Nous entrevoyons avec le recul une transformation de l’idée de l’agriculture à l’idée de l’exploitation mutuelle comme étant la condition normale de la vie économique pour l’homme. On n’aurait pu imaginer un meilleur système pour diminuer la part de chacun par la pression des autres, pour réduire l’humanité à des collectivités concurrentes et l’individu à un rouage coincé quelque part au milieu.

Et c’est pour cela aussi que je blâme la danse Morris : un monde dans lequel l’individu essaye instinctivement de se singulariser – de retrouver la dignité de sa personnalité, en quelque sorte – en adoptant des passe-temps idiots. Il peut « s’exprimer » dans sa singularité, mais seulement sur son temps libre. Sa liberté consiste maintenant en « choix de consommation », quand il n’est plus au travail.

Une noble tentative pour contrer les conceptions du travail tant communiste que capitaliste a été lancée par le pape Pie XII en 1955. Pour le premier mai, il a créé la mémoire facultative de Saint Joseph le travailleur. Dans l’agitation des révisions liturgiques qui débutaient à cette époque, cela avait peu de chance de porter, mais l’intention était bonne.

Le travail humain est parfaitement illustré par Joseph le charpentier. Notons qu’il est travailleur indépendant, au savoir transmis de manière traditionnelle, travaillant chez lui, et employant probablement le travail d’enfant. Ce serait contraire à toutes les lois s’il essayait aujourd’hui.

Dans l’optique chrétienne de l’univers humain, chacun est doté de ses propres talents spécifiques. Donc il n’est pas possible que deux aient exactement le même travail. Les hommes ne sont pas des chevaux ou similaires, pour être harnachés. Nous ne sommes pas des bêtes de somme. Dès les origines, l’esclavage n’a pas été du goût des chrétiens.

Par reconnaissance de diverses réalités économiques, l’Église a néanmoins adopté les termes par lesquels l’esclavage salarié moderne est négocié. Avec raison, elle a insisté pour qu’un homme, s’il en est réduit à cela, touche un salaire décent : un salaire qui lui permette (à lui, non pas à elle, le sexe a son importance), même après impôt, d’entretenir une famille.

Cent ans plus tard, guerre et impôts en soient loués, le double salaire a été normalisé, en subvertissant même cela. C’est maintenant la normalité – et non une option – que les deux parents travaillent. Ce sont les enfants qui sont devenus optionnels.

Nous avons dérivé bien loin de la dignité du travail. Nous devrions au moins essayer de nous rappeler l’amère vérité de notre situation chaque premier mai.

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David Warren est ancien rédacteur du magazine Idler et journaliste de Ottawa Citizen. Il a une profonde expérience du Proche et de l’Extrême-Orient.

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Illustration : « Le Christ dans la maison de ses parents », tableau de John Everett Millais, 1850

Source : http://www.thecatholicthing.org/2015/05/01/mayday/#wpautbox_about