OÙ VONT LES EGLISES PROTESTANTES ? - France Catholique
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Van Eyck, l'art de la dévotion. Renouveau de la foi au XVe siècle
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OÙ VONT LES EGLISES PROTESTANTES ?

Le Père Bouyer nous dit : Le mouvement œcuménique a ranimé dans les Eglises séparées la conscience de l’unité visible que le Christ avait affirmé dans son enseignement Nous avons voulu aller interroger l’auteur de « Du Protestantisme à l’Eglise ». Le R.P. Bouyer, de l’Oratoire, nous a entretenu du mouvement œcuménique dans le protestantisme, nous rappelant une étude publiée tout récemment par lui sur ce sujet dans la revue « Unitas » (1) « Que le mouvement œcuménique ait ranimé dans le protestantisme entier la conscience de l’unité visible, c’est bien là l’un des aspects les plus prometteurs, nous dit-il. C’est pourquoi il nous faut nous défaire du lieu commun apologétique trop facile qui consiste à souligner la multiplicité, l’émiettement sans fin des Eglises protestantes. S’il y a là une part de vérité incontestable, il y a aussi une part d’illusion. Il vaut mieux espérer que les Eglises protestantes en se posant sérieusement le problème de leur réunion, en arrivent peu à peu à découvrir que ce qu’il y avait de meilleur dans le mouvement religieux qui fut au point de départ du protestantisme s’est fourvoyé dans le schisme et ne se dégagera que dans la catholicité retrouvée. » Nous donnons ici cette étude où le Père Bouyer définit les grands groupes issus de la Réforme et l’effort poursuivi actuellement par ceux-ci pour retrouver l’unité.
(1) Louis BOUYER, « L’Etat présent des Eglises protestantes », Unitas 30, Nov-Déc 1956, pp.133-137 (extrait).

FC 529 – 18 juillet 1957

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Quand nous comparons l’Eglise Catholique aux Eglises protestantes, nous sommes toujours tentés d’oublier que les Eglise protestantes ne sont pas de simples modifications de l’Eglise Catholique, mais un tout autre type sociologique. Il est essentiel à la notion catholique de l’Eglise que l’unité de celle-ci soit affirmée non seulement dans la doctrine et dans la pratique religieuses, mais dans une organisation hiérarchique puissamment centralisée.

Au contraire, ce qui distingue les Eglises protestantes comme protestantes, c’est précisément le rejet plus ou moins radical de cette dernière exigence. Même les luthériens les plus traditionnels, qui sont, parmi les protestants, ceux qui sont restés les plus proches de l’Eglise Catholique, croient que l’unité de l’Eglise est dépendante de deux facteurs et de deux seulement : l’unité d’une même foi fidèlement prêchée partout et l’unité des mêmes sacrements correctement administrés partout. Il en résulte que des organisations ecclésiastiques protestantes séparées par la langue, le lieu, l’histoire et qui portent même des titres officiels parfois entièrement différents se reconnaissent mutuellement, sur cette base, comme substantiellement unes et pratiquent en conséquence une complète intercommunion.

Lorsqu’on s’avise de ce fait, on s’aperçoit que les Eglises issues de la Réforme, en dehors de l’Eglise anglicane qui est à part, ne constituent guère plus de quatre ou cinq grands groupes, toujours conscients de leur unité intrinsèque et qui sont, en fait, de plus en plus étroitement liés. Ces groupes sont les luthériens, les réformés (ou presbytériens), les congrégationalistes, les méthodistes (ou wesleyens), à quoi il faut ajouter les Eglise de types sectaires, qui ne sont, à vrai dire, dans la mesure où elles sont vraiment protestantes, qu’une forme extrême du congrégationalisme.

Conférence luthérienne mondiale

Les luthériens sont particulièrement nombreux dans certaines régions d’Allemagne, la presque totalité des pays scandinaves, et ils ont poussé de puissants rejetons dans certaines parties des Etats-Unis, ou dans des pays de mission comme l’Inde. Restés très près du catholicisme par leur liturgie, leurs sacrements (pratique et doctrine), ils ont même gardé l’épiscopat dans les régions où la Réforme luthérienne a facilement triomphé, comme dans les pays scandinaves, et particulièrement en Suède. En Allemagne (et en France plus encore, où on les trouve en assez grand nombre dans l’Est et dans la région parisienne) ils ont fortement subi l’influence des réformés. Mais une réaction s’est produite depuis le XIXe siècle (précisément contre la tentative des rois de Prusse pour les absorber dans l’Eglise réformée) et il en est résulté une orientation de plus en plus traditionnelle dans des éléments de plus en plus nombreux du luthéranisme.

Cependant, la faiblesse initiale du luthéranisme, au plan ecclésiologique, tient à sa liaison originelle avec l’Etat. Les évêques ne l’ayant pas suivi en Allemagne même, Luther, en effet, pour organiser en Eglise ses fidèles, s’est rabattu, comme sur un expédient, sur les théories médiévales que la réforme grégorienne avait si énergiquement combattues. Il a reconnu au souverain laïc les pouvoirs d’un summus episcopus et lui a remis un pouvoir absolu de légiférer pour l’Eglise et d’y mettre en place les ministres.
Avec l’évolution des Etats modernes dans un sens de plus en plus profane et neutre, la plupart des Eglises luthériennes en sont donc arrivées à la désagréable situation d’un crustacé qui perd sa carapace. Mais le résultat a été la prééminence prise peu à peu par celles des Eglises luthériennes qui avaient gardé plus ou moins bien la structure hiérarchique traditionnelle, et la création sous leur égide et celle de leurs filiales américaines, d’une Conférence luthérienne mondiale. Celle-ci est devenue en peu d’années un facteur puissant non seulement de regroupement, mais de coopération dans un effort de retour aux sources commun à la plupart des luthériens.

Les Eglises réformées, ou presbytériennes, sont généralement appelées « Eglises calvinistes » par les auteurs catholiques. Cet usage paraît absurde et particulièrement agaçant à leurs membres. Il faut avouer qu’ils n’ont point tort. Calvin, certes, a eu une puissante influence sur la formation et l’organisation de ces Eglises ; mais à peu près aucune d’elles n’a jamais été assujettie aux doctrines particulièrement calvinistes (touchant à la prédestination ou les sacrements).

L’alliance presbytérienne universelle

Ce qui est vraiment la marque de Calvin sur ces Eglises, c’est leur gouvernement, qui est indiqué par le mot « presbytérien ». Calvin, en effet, voyant très lucidement le danger où le protestantisme primitif se trouvait pris a conçu, pour y pallier, une organisation hiérarchique originale qui les distingue. Il n’a voulu ni de l’assujettissement à l’Etat consenti par Luther, ni de l’anarchie développée contre le luthérianisme par le mouvement anabaptiste. Sa notion d’une Eglise d’institution divine, complètement autonome par rapport à l’Etat, est un retour incontestable vers la tradition catholique, et même vers les formes médiévales de celle-ci.

Cependant, bien que Calvin, semble-t-il, eût souhaité que l’épiscopat eût pu être maintenu, en fait, l’organisation qu’il a mise sur pied est fort différente de l’organisation catholique. Appuyée sur une exégèse certainement erronée du Nouveau Testament, elle juxtapose aux « ministres de la Parole », chargés des fonctions sacrées, des « presbytres » ou « anciens », qui sont des laïcs élus pour représenter tout le peuple chrétien. C’est aux conseils hiérarchisés formés par ces « presbytres », unis aux pasteurs, que l’autorité est reconnue.

Au point de vue doctrinal, sauf à Genève de son vivant, et aujourd’hui encore dans une partie de la Hollande et de l’Ecosse, l’orthodoxie calviniste n’a jamais eu beaucoup d’écho dans ces Eglises réformées, d’organisation presbytérienne. Elles ont été gagnées assez largement par le libéralisme doctrinal et elles n’ont jamais accepté la conception semi-réaliste et la célébration fréquente de l’eucharistie prônée par Calvin. Mais elles ont toujours été, plus qu’aucun autre type d’Eglises protestantes, très sensibles à leur unité internationale. Celle-ci, depuis la fin du XIXe siècle, s’affirme notamment dans l’Alliance presbytérienne universelle. La plus grande partie des protestants français s’y trouve en communion avec les Suisses, la plupart des Prussiens et des Rhénans, les Ecossais, les Hollandais, quelques anglais et de plus nombreux Américains.

Cependant, dès le moment de Cromwell, l’opposition à l’Anglicanisme soutenue en Angleterre tout d’abord au nom de principes simplement presbytériens s’est vue dépasser par une nouvelle conception de l’Eglise. C’est celle qui distingue ceux qu’on a appelés dès lors les « Indépendants » ou « Congrégationalistes ». Pour ces « indépendants », la véritable Eglise est formée par la libre communion des « congrégations » locales – de paroisses –, si l’on veut, totalement « indépendantes » les unes des autres. Les ministres sont donc choisis par les communautés locales, et non par de simples délégués de celles-ci, et ne dépendent que d’elles. Cela suppose que tous les membres d’une « Eglise » soient pleinement adultes dans la foi. C’est pourquoi un certain nombre au moins des Eglises congrégationalistes en sont venues au « baptisme » (ou à l’ « anabaptisme »), n’admettant pas d’autre baptême que celui donné à des adultes.

Congrégationalistes et méthodistes

C’est évidemment dans les Eglises de type congrégationaliste que le danger d’émiettement a été le plus grand pour le protestantisme. Ce serait toutefois une erreur de croire que les Eglises y auraient partout et toujours cédé. En fait, très souvent, sous des formes nécessairement fédératives mais parfois fort efficaces, elles ont elles-mêmes gardé beaucoup plus d’unité qu’on ne pourrait le croire. Elles continuent de faire le fond de la vitalité religieuse du protestantisme américain, comme des « non-conformistes » britanniques. Et elles sont probablement les Eglises les plus puissamment missionnaires du monde anglo-saxon.

Les méthodistes enfin (encore appelés wesleyens du nom de leur fondateur, le ministre anglican John Wesley) constituent une dissidence tardive, de la fin du XVIIIe siècle. Ils sont nés d’un effort de renouveau, intérieur et missionnaire, de l’Anglicanisme. Ils se sont séparés de celui-ci, non sans bien des regrets, plutôt par suite de l’apathie de sa hiérarchie à cette époque que par suite d’aucune volonté délibérée de schisme de leur part. Ils tendent d’ailleurs aujourd’hui de plus en plus à se rapprocher de leur Eglise-Mère. Ils se sont organisés en des groupements soit analogues à ceux des presbytériens, soit même « épiscopaux ». Ce qui les distingue surtout, c’est une insistance sur la conversion personnelle, accompagnée d’une piété envers le Christ parfois étonnement proche de la mystique médiévale de l’humanité du Sauveur.

Les sectes proprement dites sont en marge de ces grands groupements d’Eglises, bien qu’une certaine continuité historique et affective rapproche les plus modérées d’entre elles des congrégationalistes. Mais il faut avouer (comme l’a montré récemment M. Jean Seguy dans un excellent ouvrage paru aux éditions Beauchesne) qu’elles ne sont pas tellement le produit du protestantisme que d’une tendance déjà manifeste au Moyen Age (qu’on songe aux Bégards, aux Frères du Libre-Esprit, etc.).

Du mouvement d’Oxford au mouvement œcuménique

En sens inverse, depuis le XVIe siècle, bien des mouvements de regroupement ecclésiastiques se sont produits dans le protestantisme. Dès le XVIIe siècle, avec Leibnitz, on a vu se produire de sincères tentatives pour rapprocher les différents groupements religieux du protestantisme, et parfois on est allé jusqu’à envisager au moins la possibilité d’une réconciliation avec l’Eglise catholique.

Le plus célèbre de ces mouvements, et celui où ce dernier objectif s’est le plus tôt et le plus nettement affirmé, est évidemment, dans l’Anglicanisme du XIXe siècle, le fameux « Mouvement d’Oxford ». Mais le mouvement d’Oxford, d’une part, n’aurait pas été possible sans le « réveil » wesleyen de la fin du siècle précédent, lui-même tributaire du « piétisme » allemand des générations antérieures. « Piétisme » et « revivalisme » ont incontestablement rapproché la vie intérieure des protestants des lignes traditionnelles de la piété du Moyen Age, et donc du christianisme catholique. Mais, trop souvent, ils ont été empêchés d’aller plus loin par une insuffisance doctrinale.

Le mouvement d’Oxford y a ajouté dès le principe le sens de l’Eglise, de son caractère traditionnel, de son institution divine, de son autorité doctrinale. Mais le mouvement d’Oxford lui-même a été accompagné ou suivi de mouvements analogues dans la plupart des autres Eglises touchées (ou suscitées) par la Réforme, et notamment les Eglises luthériennes. Il faudrait citer à cet égard au moins l’Allemand Lohe (fondateur de diaconesses), l’Alsacien Hornung, le Danois Grundtvig, le Suédois Schartau, etc.
C’est sous l’influence de ces tendances, représentées éminemment dans l’archevêque luthérien suédois Nathan Söderblom, que le mouvement œcuménique, avec les grandes « conférences » de Life and Work puis de Faith and Order, a pris naissance. Il reste encore bien loin des positions catholiques, mais il y a au moins ranimé dans le protestantisme entier la conscience de l’unité visible que le Christ a voulu voir régner dans son Eglise.
Il ne faut pas oublier non plu que le mouvement œcuménique, tout en favorisant les rapprochements au plan mondial entre Eglises du même type, a déjà produit localement des unions d’Eglises de types différents. La plus célèbre de ces unions est celle qui a été réalisée dans l’Eglise du Sud de l’Inde, où presbytériens, congrégationalistes et méthodistes (wesleyens) ont fusionné avec des Anglicans. Sans doute, au point de départ de cette union, comme de beaucoup d’efforts œcuméniques, nous constations bien des ambiguïtés caractéristiques des formes du protestantisme les plus éloignées de la tradition catholique. Mais il est peut-être d’autant plus remarquable que, l’union faite, ce soient les éléments les plus traditionnels qui tendent à donner son visage à l’Eglise unie, sans pour cela rien abolir de ce qu’il y avait de positif dans les différentes expériences protestantes.

Louis BOUYER