Notes dans le contexte actuel - France Catholique

Notes dans le contexte actuel

Traduit par Bernadette Cosyn

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Les dernières lignes de « Carnet du sous-sol » de Dostoïevski sont celles-ci :

« Nous ne voulons pas savoir… à quoi nous accrocher, quoi aimer, quoi haïr. Nous sommes oppressés d’être des hommes – des hommes avec un vrai corps individuel et du vrai sang. Nous le voyons comme une disgrâce et nous imaginons un moyen d’être une sorte d’impossible homme universel. Nous sommes morts-nés, et depuis des générations, nous n’avons pas été engendrés par des pères vivants… Nous allons bientôt inventer que nous sommes nés d’une idée. »

Ces mots ont été écrits à Saint-Pétersbourg en 1864, en pleine Guerre de Sécession.

Dans son Manifeste du Parti Communiste de 1848, Marx nous a dit de « nous lever. » Nous n’avions rien à perdre que nos chaînes. Cet appel, cependant, montrait beaucoup moins de prescience de l’avenir que celui de Dostoïevski. Il nous disait que nous pourrions perdre nos pères, et en les perdant, nous perdre nous-mêmes. Nietzsche, vers la fin du 19e siècle, proclamait que Dieu était déjà mort dans nos âmes. Nous n’y avons simplement pas fait attention.

Mais la notion selon laquelle « nous allons imaginer être nés d’une idée » est une considération bien plus hautaine. Sans la paternité de Dieu qui fonde la réalité, nous nous « libérons » pour devenir tout autre chose que ce que nous devrions être. Le véritable dossier sociologique de notre époque, c’est un refus logique, étape par étape, du bien qui est déjà présent dans le cosmos et dans l’homme. Nous restons libres de connaître ce bien, mais seulement si nous le voulons.

Chesterton, au début du 20e siècle, nous disait que la plus horrible des idées humaines était que des hommes puissent naître d’hommes, non de femmes ; Les hommes ne peuvent pas engendre avec d’autres hommes – pas plus que les femmes ne peuvent engendrer avec d’autres femmes, peu importe la force de leur désir. Les « lois » positives établissant un « mariage » dans de tels cas contredisent la réalité. Elles placent tous ceux qui sont concernés en désaccord avec l’ordre des choses.

Dostoïevski l’avait vu clairement. Nous voulons un « homme universel », pas un homme particulier, né d’une femme, ayant été engendré par un père identifiable, avec un vrai corps et du vrai sang. Nos banques anonymes de sperme et d’ovules, nos usines d’avortement, notre procréation au hasard, le clonage, nos divorces, tout cela porte témoignage de la justesse de l’avertissement de Dostoïevski. Nous partons du principe que nous sommes nés d’un laboratoire ou d’une « idée » politique, et non de pères et mères véritables.

Nous lisons le passage de Jean qui nous dit que le Verbe a été fait « chair » – corps et sang – pour demeurer parmi nous. Le Verbe n’est pas apparu comme une « idée » ; non plus que nous-mêmes à nos débuts. Plusieurs passages de l’Ancien Testament parlent de Dieu nous connaissant avant que nous ne soyons dans le ventre de notre mère. Dans ce sens, nous étions effectivement, au tout début, « une idée » dans l’esprit créateur de Dieu. Mais la nature de l’homme n’est pas nôtre pour l’élaborer ou la mettre au monde. L’esprit de Dieu n’est pas rempli d’idées abstraites mais d’images à sa ressemblance.

Quel est le contexte actuel ? Qu’est-ce qui ne peut pas être admis, qu’est-ce qui est rejeté systématiquement de nos vies publiques ? Le contexte actuel est cette définition de l’être et de la vie qui est spécifiquement rejetée par la culture politisée.

Le curieux dans cette déviance officielle du bien, c’est qu’elle ne tolère aucune opposition. Elle ne le peut pas. Comme l’islam, elle affirme que toute vision de la réalité qui n’est pas entièrement contrôlée par l’ordre public est illégitime. L’élimination de la liberté de religion et de la liberté d’expression via des accusations de langage haineux et autres n’est pas fortuite. C’est l’hommage de l’erreur à la vérité.

Nous devons admettre que le catholicisme orthodoxe articulé est actuellement le véritable contexte. C’est ce que la culture admet devoir systématiquement éliminer. Mais ce rejet suit un chemin clair et logique. Il présuppose l’idée gnostique que les lois et coutumes des gens ne sont que des constructions libres, sans fondement dans la réalité. Nos lois cependant, étape après étape, sont composées de déviances logiques du bon qui est dans les créatures, spécialement dans les êtres humains. On trouve ce bien toujours présent dans la réalité.

La vérité de l’être humain n’est pas créée par lui, il la découvre comme préalablement présente en lui. Il ne lui est pas demandé de devenir quelqu’un d’autre, mais de devenir lui-même. Il lui faut choisir d’être ce qu’il est. Il est libre d’être ce qu’il a été créé pour être. Il est également libre de rejeter ce qu’il est. Selon son choix, il va à sa perte ou à sa gloire.

Le « projet moderne », selon l’appellation de Leo Strauss, propose que l’homme devienne objet de sa propre science. Il se reconfigure lui-même de toutes les manières. Mais au final, quand il achève le déclin de son propre bien, il est finalement en position de voir, s’il le veut bien, qu’il était mieux conçu qu’il ne le croyait. Nous ne pouvons que murmurer ces vérités dans le contexte actuel. L’ordre du mal tourne en dérision l’ordre du bien. Mais il ne peut en changer la vérité.


James V. Schall, S.J., qui a été professeur à l’université de Georgetown durant 35 ans, est l’un des écrivains les plus prolifiques en Amérique.

Illustration : « les martyrs dans les catacombes », tableau de Jules Eugène Lenepveu, 1855 [musée d’Orsay, Paris]

Source : https://www.thecatholicthing.org/2016/08/16/note-from-the-present-underground/