Miséricorde et conversion - France Catholique
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Van Eyxk, l'art de la dévotion
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Miséricorde et conversion

Traduit par Bernadette Cosyn

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Faire ses paquets en vue d’un déménagement est à la fois un fléau et une bénédiction. Et le faire après 35 ans de présence augmente considérablement les enjeux. Pourtant, parmi les papiers non triés et les articles mis de côté pour une utilisation ultérieure qui ne s’est jamais concrétisée, on tombe sur de vrais trésors, même venant d’endroits inattendus.

Fouillant un énième dossier, je suis tombé sur un document de la Congrégation pour une Education Catholique datant de 1989 : « Consignes pour l’étude des Pères de l’Eglise dans le cursus de formation des prêtres. »

En dépit du titre médiocre et de la limitation de l’auditoire, c’était un rappel rafraîchissant de la richesse de l’approche des tâches théologiques par les Pères de l’Eglise – une approche que le document tient pour être « unique, irremplaçable et toujours valide. » J’aimerais mettre en lumière ce que cela évoque pour moi et que je pense particulièrement pertinent dans le climat ecclésial et théologique actuel.

Tout d’abord, pour les Pères de l’Eglise, la place de la théologie était « in medio ecclesiae » au centre de l’Eglise – avec un statut privilégié accordé à l’assemblée liturgique. La théologie y était à la fois pastorale et spirituelle. Comment aurait-il pu en être autrement puisque la théologie était à l’origine le déploiement des richesses du mystère du Christ. Son but ultime est « que le Christ puisse demeurer dans vos cœurs au moyen de la foi ; que, enracinés dans l’amour, vous puissiez avoir la force de comprendre, ainsi que tous les saints, quelle est la largeur, la longueur, la hauteur et la profondeur de l’amour du Christ, qui surpasse toute connaissance, de façon à ce que vous soyez remplis de toute la plénitude de Dieu. » (Ephésiens 3:17-19)

Deuxièmement, leur théologie était résolument christo-centrée, « entièrement centrée sur le Mystère du Christ, auquel toutes les vérités individuelles se réfèrent dans une merveilleuse synthèse » comme le déclare le document de la Congrégation. Il poursuit : « tout dans leur action pastorale et dans leur enseignement se ramène à la charité, et la charité au Christ, le chemin universel de salut. »

La conviction d’Irénée que « le Christ fait toutes choses nouvelles en se livrant » (omnem novitatem attulit, semestipsum afferens – Adversus Haereses IV,c.34) était la conviction commune des Pères. Cette joyeuse et exubérante affirmation de la nouveauté christique imprégnait leurs prédications et leurs écrits. Il est significatif que le pape la répète dans Evangelii Gaudium, 11.

D’où un parfum mystique voulu dans la théologie des Pères. La plupart d’entre eux montrent une chaude appréciation pour la raison, pour la contribution de la culture et de la philosophie grecques à la réflexion théologique. Mais, comme le document de la Congrégation le laisse entendre, ils font particulièrement usage « de leur savoir existentiel affectif, ancré dans une union intime avec le Christ, nourri par la prière et soutenu par la grâce et les dons de l’Esprit. »

Troisièmement, leur vision de la Bonne Nouvelle du Christ était radicalement participative. Ils savouraient la joie du mystère, qui est « Christ est en vous, l’espérance de la gloire. » Et, avec Paul, ils insistaient que leur première tâche pastorale et théologique était d’admonester et d’enseigner afin de « dévoiler à chacun la perfection (teleion) dans le Christ. » (épître aux Colossiens 1:27-28)

Cette « christification » est l’aboutissement, le telos, de leur prédication, de leur enseignement et de leur théologie. Et cela requiert la conversion/ metanoïa, une transformation toujours en action. Ils accompagnaient leurs auditeurs suaviter ac fortiter, « tendrement et vigoureusement » parce qu’ils connaissaient intimement le but du voyage. Comme Saint Augustin l’aurait dit : le chemin et le but sont le même – le Christ qui est le Chemin, la Vérité et la Vie (Jean 14:6). Et nous sommes appelés à devenir membres du Christ, formant le totus Christus, le Christ entier, si central dans la prédication et la théologie augustiniennes.

La nouveauté de Jésus-Christ, qui, à travers son mystère pascal, a inauguré la création nouvelle, doit se refléter dans son corps qui est l’Eglise. Saint Augustin tire magnifiquement parti de ce thème dans un de ses sermons : « nous sommes ardemment invités à chanter un chant nouveau pour le Seigneur, en hommes nouveaux qui avons appris un nouveau chant… Par conséquent, chacun de ceux qui ont appris à aimer la vie nouvelle a appris à chanter un chant nouveau, et le chant nouveau nous remémore notre vie nouvelle. L’homme nouveau, le chant nouveau, l’alliance nouvelle. »

Quatrièmement, comme le langage de Saint Augustin en est la démonstration, les Pères s’élèvent souvent au niveau de la poésie dans leur extase pour le Christ et le salut qu’il apporte. Ephrem le Syrien exulte : « Nous te rendons gloire, Seigneur, toi qui a dressé ta Croix pour couvrir les mâchoires de la mort comme un pont permettant aux âmes de passer du royaume de la mort à celui de la vie… Tes meurtriers ont semé ton corps vivant dans la terre comme les agriculteurs sèment le grain, mais il a germé et fructifié en une abondante moisson d’hommes et de femmes surgissant de la mort. »

Amoureux de Jésus, ils n’avaient pas honte de chanter leurs chants d’amour.

Pour les Pères, la merveilleuse miséricorde de Dieu révélée dans le Christ est un don suprême mais également une tâche intimidante. La perle de grand prix requiert la vente de tout ce que l’on possède pour l’acquérir. Bien plus, les Pères étaient des « pathologistes » achevés de la vie spirituelle. Ils avaient une conscience affûtée des myriades de désirs, déceptions et tromperies qui entravent ou empoisonnent la vie nouvelle. Ils connaissaient les nombreuses fausses notes qui dénaturent l’harmonie du chant nouveau.

Alors, même quand ils célébraient la miséricorde du Père et le retour, la conversio, la metanoïa du fils prodigue, ils avaient conscience que le fils aîné se tapit en chacun de nous, tous bien trop enclins que nous sommes à nous déchaîner férocement. Ils scrutaient minutieusement Galates 5 sur les fruits de l’Esprit et les œuvres de la chair. Et ils prenaient à cœur les avertissements de Paul avec du respect à la fois pour eux-mêmes et pour le peuple qui leur était confié, avec lequel ils devaient cheminer.

A leur lumière, nous écoutons l’évangile de ce jour (NDT : le fils prodigue) et nous réfléchissons : la miséricorde rencontrera-t-elle finalement la metanoïa ? Le fils aîné accueillera-t-il l’amour du Père et – s’étant converti – entrera-t-il, tout réjoui, dans la maison du Père pour rejoindre la fête ? Et nous, le ferons-nous ?

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Robert Imbelli , prêtre de l’archidiocèse de New York, est maître de conférence émérite en théologie à Boston College.

Illustration : « les Pères de l’Eglise », icône ukrainienne du 11e siècle

Source : https://www.thecatholicthing.org/2016/09/11/mercy-and-metanoia/