Libye : Lynchage en léger différé - France Catholique
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Saint Benoît, un patron pour l'Europe
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Libye : Lynchage en léger différé

Mouammar Kadhafi est mort, et bien mort. Mais que s’est-il passé ? Après le spectacle sordide, les questions demeurent.
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Le jeudi 20 octobre, à Syrte, le dictateur libyen a perdu la vie. Sur ce point, le doute n’est pas permis, même si ses compatriotes ont eu visiblement du mal à s’en persuader, après 42 années d’un régime de fer.

Grâce aux caméras intégrées aux téléphones cellulaires, à Internet et à la télévision, la planète entière a pu voir le dictateur libyen aux diverses étapes de cette fin de vie. D’abord l’homme est debout, bousculé par une foule de rebelles en proie à la sauvagerie. Échevelé, ensanglanté, moribond peut-être. On le découvre ensuite inanimé depuis peu, au milieu des mêmes hurlements : son corps est alors affalé sur le plateau d’une camionnette, mortellement blessé par balles à l’abdomen et à la tête. Dans l’ambulance, il semble mort.

L’un de ses fils, Moutassim, a également été filmé en deux temps. D’abord capturé, étendu sur une couche, légèrement blessé mais pleinement conscient. Puis mort, lui aussi. Visiblement exécuté d’une balle dans le cou.
Transportées à Misrata, les deux dépouilles ont été longuement exposées, à peine lavées, dans une chambre froide du marché. Une file d’attente s’est formée. Hommes et enfants ont défilé pour maudire l’ennemi et le prendre en photo. Comme si, après tant d’années de dictature, et « un océan de mensonges », il était impossible de croire à ce décès sans voir la dépouille mortelle.

Mais que s’est-il passé ? Le représentant du Comité des droits de l’homme de l’ONU et Amnesty international ont relevé cinq versions…
Tout a commencé par l’intervention des avions de l’OTAN sur une colonne de plusieurs dizaines de véhicules « loyalistes » fuyant Syrte. On pense à ce moment que Kadhafi est loin. Les autos sont stoppées par les bombes, ou se dispersent. C’est le sauve-qui-peut. Un combattant rebelle découvre ensuite le dictateur réfugié dans une grosse canalisation de béton enterrée sous la route. Il l’aurait reconnu et extirpé. Légèrement blessé, Kadhafi, hagard, n’aurait pas opposé de résistance, malgré ce pistolet doré qu’un milicien exhibera triomphalement.

Ce qui suit est beaucoup moins clair, et sans doute moins honorable. Tout porte à croire que le prisonnier a été lynché et exécuté dans la cohue. Des rebelles s’en sont vantés, mais leurs chefs ont interdit cette version. Histoire officielle : leur capture a été victime d’un échange de tirs entre les deux camps. Assez peu vraisemblable.

Qu’est-ce que la vérité ? Question éternelle. La réponse des hommes reste souvent prosaïque : c’est celle qui les arrange. Aussi vrai en Libye, dans le feu de l’action, que sur les plateaux de télévision où l’on glorifie la révolution libyenne sans savoir comment elle va tourner. Le soir du 20 octobre, Bernard-Henri Levy relaie la version officielle puis évoque même les « massacres de Septembre [1792] » comme si cette barbarie était inéluctable.

Quoi qu’il en soit, le dernier jour de Kadhafi a été à la mesure de son règne : violent et flou. Chauffés à blanc par 42 années de peur du dictateur, puis par ses insultes et sa résistance étonnante lorsqu’il était traqué, les rebelles se sont comportés comme une horde bestiale. Triste logique. Il est difficile de rendre compte des événements à distance, mais ces exécutions en disent long sur l’état de désorganisation du pays. Avec sa culture tribale, une diffusion massive des armes et la multiplication des bandes, les règlements de comptes menacent… Comme en France à la Libération ? Car cette période fut marquée par de nombreuses exécutions sommaires. Un chapitre que notre histoire officielle préfère aussi occulter.

Avec cette fin de Kadhafi, une nouvelle étape dans la diffusion de la violence par la télévision a été franchie. Les rebelles ont posté leurs films sur Internet. Après en avoir brièvement averti le téléspectateur, toutes les chaînes ont relayé, ce jeudi 20 octobre, puis le lendemain, des images insoutenables. Comment échapper à la fascination de la haine? Est-il juste d’assister dans son fauteuil, en léger différé, au meurtre sauvage d’un homme, comme autrefois, en direct, dans les gradins du cirque ou en place de Grève ?

Pour le président Sarkozy ce fut un stupéfiant chassé-croisé : la veille naissait discrètement sa fille Giulia. L’heureux événement était classé par Google en « divertissements ». Quoi qu’on en ait dit, en l’absence d’images, cette mise au monde ne pouvait rivaliser avec la spectaculaire mise à mort que la télévision allait nous infliger.