Leur apocalypse et la nôtre - France Catholique

Leur apocalypse et la nôtre

Leur apocalypse et la nôtre

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Quand les gens disent que la fin est proche, il est généralement avisé de les traiter comme vous feriez d’un membre de la secte américaine des Millerites, qui étaient convaincus, preuves mathématiques issues des Écritures à l’appui, que la seconde venue du Christ aurait lieu le 22 octobre 1843. Le reste, comme on dit, c’est de l’histoire.

Que le monde finira un jour est hors de doute, même en termes scientifiques. Que ni homme ni femme n’en sache le moment est, selon les Écritures mêmes, tout aussi certain. Mais j’admets prêter une oreille, un peu plus qu’à l’habitude ces derniers temps, aux gens qui sont convaincus que nous sommes à un tournant radical, et pas un bon.

Une jeune femme a récemment décrit son père comme si affligé par ce que l’Amérique est en train de devenir que pour préserver sa santé il a dû cesser de regarder les nouvelles et ne peut plus écouter aucun discours d’Obama. J’ai des amis en France, en Angleterre, en Italie, qui disent ne plus reconnaître leur propre pays. Sans parler des guerres et des rumeurs de guerres.

Côté religion, beaucoup de gens me disent craindre que l’Église soit en crise. Un autre groupe prétend que ceux qui pensent que l’Église est en crise créent eux-mêmes la crise. Certains pensent que les gaffes du pape sont un signe. D’autres pensent que prêter attention à ces gaffes est déloyal et fait le jeu de ceux qui cherchent à discréditer l’Église.

Dans un sens ou dans l’autre, il semble soudain que tout l’édifice dogmatique et moral du Catholicisme est remis en question.

Quelle que soit la façon dont vous vous situez dans ce fatras d’opinions et d’émotions, l’élément prédominant est le sentiment de crise et d’urgence tout à la fois dans l’Église et le monde. Il serait agréable de penser que c’est seulement un artefact : trop de tablettes et smartphones créant une frénésie de nouvelles, comme certains le prétendent. Mais il y a bien plus, quelque chose de réellement consistant, dans notre situation difficile.

Le père John McCloskey a recommandé hier ici quelques disciplines de carême. J’ajouterais deux disciplines que tous les chrétiens vont être amenés à pratiquer en continu dans les années à venir : 1) redoubler d’efforts pour obtenir toute protection légale possible pour l’expression publique (aussi bien que privée) de la religion ; 2) se préparer, par la prière, le jeûne, l’exil et l’astuce à une période de souffrance voire même de véritable persécution.

Oui, je sais, c’est aussi le langage que tiennent les fous. Mais au-delà d’un vague sentiment de crise, considérez quelques éléments bien concrets et donnant à réfléchir. Par exemple, la semaine dernière, la Cour Suprême a voté par 7 voix contre 2 une loi autorisant le mariage gay en Alabama, bien que la propre cour de l’état d’Alabama l’ait rejetée. Cela suggère qu’une pleine légalisation nationale interviendra d’ici la fin de la session de printemps. Dans un sens, une mauvaise décision de plus. Mais dans un autre, c’est le point culminant d’un mouvement agressif – soutenu financièrement par des fondations, comme cela a été récemment rapporté – pour obliger maintenant tout un chacun à considérer l’homosexualité comme une bonne chose.

Ainsi, les mœurs sexuelles depuis Moïse sont clairement rejetées, et leur importance historique dans la vie juive et chrétienne tenue comme pure bigoterie.

Ne vous laissez pas abuser : cela ne conduira pas à « vivre et laisser vivre ». Tout particulièrement pour les églises qui résistent, ce sera plutôt : nous allons vivre et vous pouvez crever, pour ce que nous nous en soucions, dans votre « hostilité religieuse » (dixit le juge Kennedy). Hélas, beaucoup de catholiques et de protestants libéraux les ont rejoints, et d’autres souhaitent le faire.

La Cour protège généralement la liberté religieuse, mais comme nous l’avons vu avec l’Obamacare, une menace se dessine. La Déclaration, la Constitution, la loi sur les droits, le sens des lois, tout a été déformé sous le régime des droits nouvellement créés. Rappelez-vous, quand Obama a annoncé son projet de sécurité sociale, il impliquait que la « santé des femmes » passait devant le libre exercice du culte garanti par le Premier Amendement.

Ce moment sera pire que Roe v. Wade. Cette décision a pâli face à l’évidence et l’analyse, d’où le recours absurde et désespéré à l’argument d’une « guerre contre les femmes ». Le mariage gay – étant donné la nature passionnée et même la médicalisation du problème (l’homophobie) – va entraîner une pression légale implacable sur les communautés religieuses et laïques qui ne seront pas d’accord. En dehors de ce que cela signifie pour les groupes religieux, c’est aussi une sérieuse menace pour la longue tradition de tolérance et de pluralisme de l’Amérique.

Tenez vous prêts : si vous êtes assez âgés pour lire ces lignes, à moins que vous ne choisissiez de rentrer dans le rang, vous serez probablement la cible d’une vilaine diabolisation jusqu’à la fin de vos jours.

En parlant de vie, la Cour Suprême du Canada vient d’approuver à l’unanimité le suicide médicalement assisté. La loi contre le suicide n’est-elle pas de quelque manière une inintelligible aberration religieuse? Seuls deux états américains autorisent le suicide médicalement assisté, mais il y a une logique cohérente dans l’humanitarisme qui émerge comme une alternative aux religions historiques.

Comme l’une des principaux personnages de Lord of the World (Seigneur du monde), le roman apocalyptique préféré du pape, le prétend : « hé quoi, vous savez au fond de votre cœur que les euthanasistes sont les vrais prêtres. » Son épouse, qui accepte ce credo, fait sortir sa mère de sa « misère » – et se sent très fière de l’avoir fait. Pour être honnête, elle agit de même vis à vis d’elle-même quand elle trouve que tout ce plan humanitaire la déprime.

Selon un sondage Gallup, environ 70% des Américains seraient déjà d’accord avec le suicide médicalement assisté. Une faible majorité de « pratiquants réguliers » est opposée, mais environ 48% des « très religieux » soutiennent le suicide médicalement assisté. Une décision de la Cour instituant au niveau de l’Union un droit à mourir – et même une obligation à mourir – ne peut manquer de suivre.

Personnellement, j’espère finir mes jours dans un hospice catholique, s’il en existe encore à ce moment-là, où, même s’ils fonctionnent au rabais plutôt qu’en participant à un système d’assurance pernicieux, vous êtes autorisés à « faire une bonne mort ». Notez bien que dans l’optique chrétienne, cela ne signifie pas le décès le plus indolore (et drogué) possible, branché sur toute une machinerie de pointe.

Vous n’y avez peut-être pas beaucoup réfléchi jusqu’ici. Mais si vous espérez échapper au « plan de santé » du gouvernement, préparez-vous au combat.

L’Apocalypse proprement dite, non. Mais quiconque minimise ces nouvelles menaces de grande portée s’illusionne davantage que ces pauvres Millerites.


Robert Royal est rédacteur en chef de The Catholic Thing ainsi que président de l’institut Foi & Raison de Washington.

Illustration : à droite, les derniers sacrements, détail d’un triptyque d’autel « les 7 sacrements » de Rogier van der Weyden, vers 1450 (Royal Museum -Anvers)

source : http://www.thecatholicthing.org:2015/02/16/apocalyptics/