Le roi est mort - France Catholique

Le roi est mort

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La disparition, le 13 octobre, du roi Bhumibol Adulyadej âgé de 88 ans qui, sous le nom de Rama IX, a régné sur la Thaïlande depuis 1946, n’est pas seulement celle du plus ancien monarque régnant au monde. C’est aussi la fin de la dernière monarchie indochinoise sous sa forme d’une sorte de synthèse d’éléments issus du bouddhisme et de l’hindouisme. En ce sens, c’est un événement religieux autant que politique.

Ces terres situées au carrefour entre Inde, Chine et monde malais, entre hindouisme, bouddhisme et islam, avaient conservé un rapport entre pouvoir et divinité assez unique dont la France républicaine et laïque de la fin du XIXe siècle s’était bien accommodée au Cambodge, au Laos et même au Vietnam, sans parler des rois de Siam avec lesquels nous avons toujours été liés par traités. Tandis que le dernier roi de Siam nous quitte, nous avons une pensée pour cette civilisation particulière où surnage la mémoire du Cambodge de feu Norodom Sihanouk. Tout cela s’est mal terminé à cause de l’atroce guerre du Vietnam dont le Nobel de littérature attribué à Bob Dylan est venu raviver les souvenirs. Le roi Bhumibol était le seul à avoir survécu à cette ordalie. Grâce à lui, la Thaïlande échappa au sort d’État-croupion que lui aurait réservé le Pentagone. Les classes moyennes hostiles au communisme se convertirent alors à la monarchie comme la seule alternative à la néo-colonisation américaine alors qu’elles n‘y étaient pas spécialement acquises auparavant comme tout tiers état émergent. Le succès économique (durant les 70 ans de son règne la population a quadruplé mais le PIB a été multiplié par quarante !) a consolidé son prestige. Les critiques qui aujourd’hui ciblent la richesse de la famille royale oublient les conditions du miracle économique dont l’institution monarchique avait su prendre la tête tout comme on peut parler de la richesse de la famille royale britannique.

Le problème n’est pas tant celui des propriétés de la Couronne ou des doutes sur l’héritier du trône Maha Vajiralongkorn – qui est quand même arrivé à l’âge de 64 ans, quatre ans de moins que le prince Charles mais qui aurait plutôt suivi le modèle de bon vivant du fils de la reine Victoria, Édouard, qui se révéla finalement un grand roi. La seconde monarchie dont le monarque qui a atteint l’âge de 90 ans devient désormais la plus ancienne régnante au monde (64 ans de règne) présente de nombreux traits communs. L’héritier dans un cas comme dans l’autre a ses propres doutes sur la succession. Tandis qu’en Angleterre l’alternative serait le petit-fils, à Bangkok elle s’incarne dans la sœur très respectée. Une reine thaïe serait une première.

Au-delà des questions d’image, le défi auquel a à faire face la monarchie – thaïe comme britannique – est la constante nécessité d’adaptation aux évolutions de la société. Le roi Bhumibol, alité depuis près de sept ans, n’avait pu empêcher le peuple de se diviser en chemises jaunes et chemises rouges et une junte militaire de concentrer tous les pouvoirs. Aujourd’hui réunis par le deuil d’une année où les Thaïs de toutes conditions seront vêtus de noir, les deux camps devront également trouver une nouvelle raison d’être à la monarchie qui ne peut être d’un seul côté. (La reine Elisabeth II n’a pas pu ou voulu empêcher les électeurs de se diviser autour du Brexit.)

Le succès économique n’a pas entaché la relation au divin. La gestion des biens de la Couronne tient à l’habileté des conseillers et à leur insertion dans le système capitaliste. La symbolique du trône, elle, ne tient pas aux qualités individuelles du titulaire mais est l’effet de son caractère de nécessité. La monarchie thaïe depuis 1932 n’est plus absolue mais constitutionnelle. Ses légistes n’ont pas développé une théorie de droit divin qui n’aurait de sens que dans un registre judéo-chrétien. Il reste que les deux aspects localement se complètent. L’héritier peut être impopulaire. Cela n’empêche qu’il ne peut pas ne pas être partie du tout. Le roi est mort, vive le roi ! Habituellement, la proclamation n’attend pas. À Bangkok, sous le choc historique, on se donne un peu de temps.