Le pape et les médias - France Catholique
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Le pape et les médias

Traduit par Antonia

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La lune de miel du pape François avec les médias toucherait-elle à sa fin ? Pas vraiment. Le phénomène actuel est en apparence de cet ordre, mais en réalité très différent – c’est un processus qui pourrait s’avérer à long terme beaucoup plus sain, tant pour le pape que pour la presse, qu’une simple prolongation de cette lune de miel.

Le programme du pape François pour l’Eglise ayant commencé à passer du stade du discours à celui de l’action – le Synode extraordinaire des évêques et la nomination d’un nouvel archevêque à Chicago sont des exemples concrets de cette évolution – les critiques n’émanent plus seulement des franges de la droite catholique mais aussi de certains éléments du courant principal. Et, sans s’en prendre au pape, les médias tiennent compte de ce qui se passe et commencent à le commenter.

Comme John Allen du Boston Globe l’écrit, « nous entrons dans la phase deux de la papauté de François, et la période de bons sentiments a cédé la place à un stade de tension ».

Le tournant dans les médias s’est peut-être amorcé avec un article écrit après le synode par Ross Douthat dans le New York Times. Douthat, un catholique conservateur, répète ce que d’autres avaient dit avant lui – que le pape risque de causer une fracture dans l’Eglise s’il accélère trop les changements qu’il préfère – mais il le fait avec insistance, très longuement et dans espace privilégié, la page de libres opinions du New York Times.

Signalant que jusqu’au synode, le pape François n’avait été fortement critiqué « que par la frange traditionaliste de l’Eglise », Douthat fait remarquer que le pape peut arriver à ses fins sans bousculer la doctrine établie. « Mais s’il semble choisir la voie la plus dangereuse – s’il décide de muter des critiques potentiels appartenant à sa propre hiérarchie [comme en limogeant le cardinal Raymond Burke ?], s’il semble sélectionner en vue du prochain synode les partisans d’un changement radical – les catholiques conservateurs auront besoin d’évaluer la situation avec lucidité ». Douthat va jusqu’à parler de « schisme ».

Le refroidissement de la presse s’est poursuivi avec la réunion des évêques américains du 10 au 13 novembre à Baltimore. L’une des manières de rapporter les faits a été de présenter les tensions croissantes entre le pape François et les évêques comme une variation sur le binôme habituel  « bon pape/mauvais évêques », ce qu’a fait Rachel Zoll de l’Associated Press en constatant que le pape François « poussait les évêques américains à effectuer…une volte-face déchirante » en abandonnant leur position élitiste et en consultant les laïcs.

Mais le pape lui-même n’est pas en reste quand il s’agit de parler de questions sociétales comme l’avortement et le mariage homosexuel, et il s’est entouré d’un petit cercle de conseillers ecclésiastiques. Laurie Goodstein du Times s’est rapprochée de la vérité en écrivant que le synode d’octobre avait « rouvert un fossé dans l’Eglise entre les conservateurs et les progressistes qui était demeuré relativement latent pendant cette lune de miel de vingt mois. A présent, le pontificat du pape François est entré dans une phase plus délicate, certains évêques se demandant s’il a une vision cohérente de l’évolution de l’Eglise qu’il souhaite et du plan à suivre pour la mettre en œuvre ».

Goodstein cite ensuite un extrait étonnant d’une interview donnée par le cardinal Francis George de Chicago qui vient de prendre sa retraite : « Il [le pape François] dit des choses merveilleuses, mais ne les présente pas toujours comme un tout, si bien qu’on ne sait pas trop quelles sont ses intentions. Ce qu’il dit est assez clair, mais que veut-il que nous fassions ? »
Ce type de questionnement semble être la voie que vont prendre les reportages sur le pape François dans un avenir immédiat. Pourtant, l’adulation est toujours présente, surtout dans les cercles catholiques progressistes où il est considéré comme le meilleur espoir pour les questions qui les touchent. Témoin cet éditorial du numéro du 25 octobre de The Tablet de Londres qui qualifie le discours de clôture du synode de « superbe exposé de l’enseignement catholique sur le mariage et la vie familiale ».

Etrange. Le texte ne parle presque pas du mariage et de la vie familiale. Au lieu de cela, le pape François oppose les extrêmes inacceptables (« un raidissement hostile » d’un côté et de l’autre « un angélisme destructeur »), en voulant peut-être laisser entendre que son discours est celui d’un homme modéré que des auditeurs raisonnables devraient écouter. Mais, excepté chez ces catholiques progressistes, l’adulation ne pourra guère se maintenir très longtemps. Le synode a soulevé trop de questions. Cependant, cette évolution des reportages et des commentaires n’est pas du tout un phénomène négatif, tant pour les médias que pour le pape. A cet égard, l’exemple des rapports entre Barack Obama et la presse est très instructif.

En 2008, de nombreux journalistes se pâmaient d’admiration devant le candidat Obama, et cette lune de miel s’est poursuivie pendant son premier mandat. A présent, tout a changé. Un espace autrefois amical comme les pages de libres opinions du Washington Post est devenu un champ de mines que des journalistes auparavant flatteurs font exploser en accusant Obama de se comporter davantage en spectateur qu’en président à part entière.
La situation ne risque pas de dégénérer à ce point-là avec le pape François. Le respect pour la papauté garantit que les remises en question et les critiques des catholiques de la mouvance générale seront plus voilées et que les médias, pour peu qu’ils soient consciencieux, en tiendront compte dans leurs commentaires.

Mais les avantages pour les médias d’une attitude moins idolâtre vis-à-vis du pape François sont évidents. Leur travail se ramène à des reportages factuels et à des analyses basées sur des données réelles. En toute objectivité. Les débordements d’enthousiasme sont exclus. Même quand il s’agit d’un pape.
Ce changement présente aussi un avantage potentiel pour le pape François : les médias le renvoient à la réalité. Sous le feu des critiques des journalistes, Barack Obama semble s’être retranché dans une hostilité très distante, ce qui l’a desservi. Si le pape est intelligent, des reportages honnêtes sur les problèmes auxquels il se heurte pourraient l’aider à rester au courant.

Goodstein du Times a cité une autre remarque insolite du cardinal George qui souffre d’un cancer : « J’aimerais m’asseoir avec lui [le pape François] et lui dire, Saint Père, je veux avant tout vous remercier de m’avoir permis de prendre ma retraite. Et ensuite, pourrais-je vous interroger un peu sur vos intentions ? »

Le cardinal George n’aura probablement pas l’occasion de le faire, tout comme nous autres. Mais si nous avons de la chance, les médias se chargeront de la tâche. Dans une certaine mesure, ils ont déjà commencé.

Source : http://www.thecatholicthing.org/columns/2014/the-pope-and-the-media.html


Photographie Le pape François reçoit la presse pendant son récent voyage en Albanie


Russell Shaw est l’auteur de Papal Primacy in the Third Millenium (2000). Son ouvrage le plus récent est American Church: The Remarkable Rise, Meteoric Fall and Uncertain Future of Catholicism in America (2013).