Le mystère du pape François - France Catholique
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Le mystère du pape François

Traduit par Antonina R.-S.

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Aujourd’hui, nous fêtons le premier anniversaire de l’élection du pape François. L’un des grands paradoxes de sa papauté, c’est que cet homme, salué dès le début pour sa simplicité et son humilité, a suscité davantage de perplexité que n’importe quel pape de l’époque moderne.

Mise à part l’ineptie habituelle des médias, qui interprètent presque toujours les questions religieuses par référence à la droite et à la gauche, ce n’est pas si surprenant. La simplicité n’est jamais aussi simple qu’elle en a l’air. En fait, la simplicité est si rare qu’elle est difficile à suivre pour la plupart d’entre nous, nos têtes étant en général farcies de théories mal définies et d’idées préconçues qui faussent la réalité. Et cela même quand nous essayons d’être attentifs. Il faut vraiment se donner du mal pour parvenir à la clarté ou à la simplicité, quel que soit le sujet.

J’étais place Saint-Pierre l’année dernière quand le pape François est apparu au balcon. Ses premières paroles de pape « Buona sera » l’ont fortement caractérisé tout comme la célèbre réplique de Jean-Paul II « N’ayez pas peur ! » dans la même situation. Quand il a salué la foule et lui a demandé de prier pour lui – tandis qu’on lui a souvent fait dire qu’il demandait la « bénédiction » du peuple – son image dans les medias a été fixée à tort ou à raison : un homme humble, résolu à réformer l’Eglise, à éliminer les règles trop strictes et à accueillir le monde entier.

Des interviews ultérieures ont évidemment amené à se poser des questions sur la cohérence de sa vision globale. Quelle que soit la réponse à y donner – et on ne peut se contenter de les éluder, comme certains le souhaiteraient – elle est tout sauf « simple ».

Il a répété qu’il était « un homme de l’Eglise » et que, bien sûr, il croyait tout ce que l’Eglise enseigne. Mais le message a aussi été malheureusement brouillé à cause de remarques isolées du genre : « Qui suis-je pour juger ? » au sujet des homosexuels ; de son commentaire de la semaine dernière sur les « unions civiles » ; des pressions de plus en plus insistantes au sein du Vatican lui-même qui visent à modifier les règles concernant les divorcés et les remariés pour leur permettre de recevoir la communion. Ses véritables positions sont plus nuancées et différent des illusions dont se bercent de nombreux journalistes et dissidents ; elles attirent largement l’attention à cause de la spontanéité évidente et du charisme contagieux du pape. Il n’en reste pas moins qu’elles ne sont pas faciles à analyser.

Cette semaine est apparu un article intelligent comparant l’attitude américaine et pratique du pape au pragmatisme de William James et Charles Saunders Peirce [il y a une erreur dans le texte], aux philosophes contemporains Alastair MacIntyre et Slavoj Žižek, ainsi qu’à d’autres théoriciens hostiles aux théories absolues. J’ignore si c’est vrai – nul ne peut le savoir. Et il est assez étrange d’invoquer ces poids lourds pour expliquer Jorge Bergoglio. Mais si c’est vrai, cela voudrait dire que le pape ressemble au président Obama quand celui-ci déclare qu’il n’est « pas très porté sur les idéologies » et ne s’intéresse qu’à « ce qui marche ». Cet objectif apparemment simple repose sur un système théorique complexe.

Par exemple, le pape se situe bien au-delà de mouvements comme la vieille théologie de la libération et sa praxis marxiste boiteuse. Certains conservateurs américains ont soutenu de manière absurde que le pape François était un marxiste uniquement pour avoir dit qu’il fallait réorganiser le système économique mondial afin d’aider les pauvres et les marginalisés.

Accordons plus de bon sens au pape – et à Karl Marx. Le marxisme s’est défini comme un socialisme « scientifique » qui allait inévitablement remplacer des systèmes économiques et politiques erronés. Un ingénieur qui bâtirait un pont en partant d’une « science » dont l’échec a été aussi spectaculaire serait en prison.

Le pape François n’est pas né d’hier et rien de tout cela ne lui échappe. Comme tous les papes modernes, il sait qu’il ne peut pas nous conduire là où il voudrait que nous allions. C’est une tâche qui incombe à d’autres – il se borne à montrer le chemin. En outre, comme nous le constatons tous les jours, nul ne contrôle vraiment l’économie mondiale ou l’ordre politique international. Nous essayons tant bien que mal de résoudre les crises économiques, d’apaiser les conflits régionaux et d’imposer un semblant de droit international au monde. Mais le monde est malade, et nous aussi. Peut-être est-ce pour cela que le pape François a fait une telle impression en présentant l’Eglise comme une espèce « d’hôpital de campagne » pendant une bataille.

Le monde aime l’entendre parler de politique et de justice – qui, d’ailleurs, serait contre une amélioration dans ces domaines ? En parlant de la pauvreté et de l’exclusion (ce que Jean-Paul II et Benoît XVI avaient déjà fait sans qu’on leur en sache gré), le pape permet aux journalistes de raconter à leur aise qu’il veut éluder les questions sensibles portant sur la sexualité et la vie.

Mais le pape François a aussi souvent dénoncé la culture du rebut qui considère l’embryon comme bon à jeter. Il a même qualifié le pape Paul VI de « prophétique » pour avoir réaffirmé les anciens préceptes chrétiens sur la contraception, auxquels adhéraient toutes les Eglises chrétiennes il n’y a guère. Vous n’en avez pas entendu parler ? Vous devriez peut-être écrire à la presse. Mais ne vous faites pas d’illusions.

Pourtant, à franchement parler, ce qui n’a pas arrangé les choses c’est que, au début de sa papauté, le pape François a expliqué que les catholiques n’étaient pas toujours « obnubilés » et « obsédés » par l’avortement et des questions du même ordre – un faux pas de débutant. Lors d’interviews plus récentes, il a déclaré qu’il voulait être prudent parce que chaque mot sorti de sa bouche était passé au crible et parfois, comme il le craint, mal interprété.

Nous voici donc pour le moment avec une énigme sur les bras. Nous avons un pape remarquable, un homme doué d’une capacité extraordinaire de toucher et d’électriser le monde entier à un degré surprenant. Jean-Paul II était pareil, mais avec une approche plus publique, moins personnelle. Nous avons aussi un pape qui comprend en profondeur notre époque et n’a par conséquent pas hésité à signer Lumen fidei, une analyse brillante de l’état des choses, rédigée en grande partie par son prédécesseur, Benoît XVI, avec lequel il entretient des relations cordiales – n’en déplaise aux journalistes à l’affût d’un scoop.

Et pourtant, à l’issue de cette première année, nous avons encore du mal à comprendre comment ces différents aspects de sa personnalité s’harmonisent. Les voies du Saint Esprit sont souvent mystérieuses. Telle est sans doute pour l’instant la meilleure réponse à toutes nos questions, sous la conduite de ce surprenant pasteur.


Source : http://www.thecatholicthing.org/columns/2014/the-mystery-of-pope-francis.html

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Robert Royal est le rédacteur en chef de The Catholic Thing et président du Faith & Reason Institute de Washington (D.C.) Son ouvrage le plus récent est The God that Did Not Fail : How Religion Built and Sustains the West.