Le message du lépreux - France Catholique

Le message du lépreux

Le message du lépreux

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L’évangile lu à la messe il y a deux dimanches était l’histoire de la guérison d’un lépreux par Jésus, dans Marc. Dans ma paroisse, le prêtre de passage, un missionnaire des missions étrangères qui avait des manières de coiffeur, a fait de l’histoire un plaidoyer sur « toucher » ceux que la société considère comme intouchables. Peu importe. Pour ce que j’en sais, il n’y avait pas une miette de contenu politique dans son homélie – je ne connais pas le type – mais il est passé à côté d’un aspect vraiment intéressant de l’histoire.

Après avoir purifié l’homme impur, Notre Seigneur lui dit : « Ne dis rien à personne mais va te montrer au prêtre et offre pour ta purification ce qu’a prescrit Moïse ; ce sera pour eux une preuve. » Comme nous le savons, c’est exactement ce que le lépreux n’a pas fait :

« L’homme s’en alla et commença à rendre publique toute l’affaire. Il répandit la nouvelle, si bien qu’il n’était plus possible pour Jésus d’entrer dans une ville ouvertement. Il restait dehors dans des endroits déserts, et les gens venaient à lui de partout. (Marc 1:45)

Ainsi qu’il est vrai de pratiquement toutes les histoires de l’Évangile, celle-ci a plusieurs couches qu’il nous faut éplucher.

Mon premier sentiment sur la désobéissance du lépreux à l’injonction au silence du Christ a été que cet homme était une sorte de Sammy Glick, un arnaqueur de la rue Rivington qui tourne la bonne fortune qui lui échoit en une autoglorification qui recherche toujours plus d’audience. Mais c’était avant que je ne devienne catholique. Actuellement, je pense que l’ex-lépreux était un homme si plein de joie qu’il ne pouvait tout simplement pas se contenir, il sautait littéralement hors de sa peau autrefois mutilée pour rendre témoignage du miracle.

Jésus ne savait-Il pas que l’homme réagirait ainsi ? Il est difficile de le croire. De fait, est-ce que le Dieu Incarné a dit ce qu’Il a dit précisément parce qu’Il savait que l’homme rendrait publique sa guérison ? Eh bien, c’est une question que je peux poser mais à laquelle je ne peux pas répondre. Pourtant, demander à quelqu’un de garder un secret est plus souvent la garantie que le secret ne sera pas gardé que l’inverse.

Bien sûr, il y a un geste de toucher dans l’histoire. Jésus avance la main pour toucher le lépreux et envoie sa puissance parcourir le corps de l’homme, touchant chaque cellule, neutralisant les bactéries pathogènes – et cela aussi facilement qu’Il avait transformé l’eau en vin.

Nous ne savons pas qui a pu être témoin de la guérison, mais qu’il y ait eu un ou plusieurs apôtres, ou des membres de la synagogue qu’ils venaient de visiter, ou des habitants de la ville qui passaient à ce moment-là, cela a dû couper le souffle de voir Jésus poser la main sur l’homme, parce qu’il n’y avait pas de contagion aussi redoutée que celle de la lèpre. Et quand l’homme est guéri et que Jésus l’envoie voir le prêtre, l’injonction de « ne rien dire à personne » ne s’appliquait peut-être qu’à la période entre la guérison et sa reconnaissance d’authenticité « selon ce que Moïse a prescrit ».

C’était le sujet de la lecture de l’Ancien Testament : extrait du chapitre 14 du Lévitique, le rituel de purification d’un lépreux reconnu guéri, un rituel exigeant deux oiseaux, du bois de cèdre, du fil écarlate et de l’hysope. L’homme devait avoir lavé ses vêtements, s’être entièrement rasé et avoir pris un bain… L’un des oiseaux était sacrifié ; l’autre libéré pour « voler partout dans le pays ». Au bout d’une semaine, l’homme devait de nouveau se baigner et se raser – même les sourcils. Suivait un sacrifice d’agneaux et un rituel d’offrande d’huile, de grain et de sang… c’était tout un processus, et coûteux, bien que le Lévitique prescrive également un rituel moins coûteux si « une personne est pauvre et n’a pas les moyens de dépenser autant. »

Peut-être que le Seigneur a dirigé l’ancien lépreux illico vers le prêtre pour qu’il soit évident sans discussion possible que la guérison était véritablement un miracle. Ce serait assez dans l’esprit de Sa remarque au réticent Jean-Baptiste concernant Sa purification par l’eau : « Accepte qu’il en soit ainsi maintenant, car c’est de cette façon que nous accomplirons toute justice. »(Matthieu 3:15)

Dans toute Sa miraculeuse créativité, notre Dieu si intime, venu non pour abolir la loi mais pour l’accomplir parfaitement, met le point sur chaque i et la barre sur chaque t. Et pour tous les témoins, c’est vraiment inattendu.

L’interprétation faite par les érudits que j’ai lus semble être que Jésus exigeait la discrétion de l’homme parce qu’Il savait qu’Il serait assailli dès lors que la nouvelle se répandrait. Qui suis-je pour débattre avec des érudits, surtout quand ils comprennent le grec. Et, comme aux noces de Cana (l’eau, le vin), quand le Fils a dit à Notre-Dame que Son temps n’était pas encore venu, il est certainement plausible de supposer qu’amener les choses à leur plénitude requérait une intervention de Sa part, encourageant le secret messianique.

Pourtant, chaque synapse de mon esprit en friche me dit que Jésus savait exactement ce que l’homme guéri ferait. Exactement.

Rien – et je dis bien rien – ne me fascine davantage que l’union hypostatique, un concept beaucoup débattu, souvent abrutissant. Il me suffit que Saint Augustin et Saint Thomas d’Aquin croyaient que le savoir du Christ, depuis sa conception et sa naissance, était parfait. Pleinement humain, pleinement divin.

Et cela ajoute un sous-entendu final émouvant à l’histoire du lépreux rapportée par Marc. Jésus connaissait cet homme, comme Dieu connaît chacun de nous – intimement (rappelons-nous le début de Jérémie : « avant de t’avoir formé dans le ventre de ta mère, Je te connaissais déjà… »)Il connaissait le passé et l’avenir de l’homme, par conséquent, il savait que l’homme ne pourrait rester muet, car qui, connaissant la Vérité, peut rester muet ?


Brad Minor est rédacteur en chef de The Catholic Thing, membre de l’institut Foi & Raison et membre du conseil d’administration de l’Aide à l’Église en Détresse aux USA. C’est un ancien chroniqueur littéraire de National Review.

Illustration : « Le Christ purifiant le lépreux » par Jean-marie Melchior Doze, 1864

Source : http://www.thecatholicthing.org/2015/02/22/lepers-message/