Le divertissement et la tragédie - France Catholique

Le divertissement et la tragédie

Le divertissement et la tragédie

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Peut-on parler de catastrophe nationale concernant l’épouvantable accident qui s’est produit en Argentine, avec ces dix morts fracassés par le heurt de deux hélicoptères ? Incontestablement oui ! L’événement n’est pas de même nature que ceux du mois de janvier, qui avaient provoqué une mobilisation sans précédent. Mais l’émotion palpable qui entoure la perte de trois grands champions nous dit quelque chose sur la nature d’une communauté nationale qui s’identifie dans une épreuve, car elle s’y reconnaît. Elle y reconnaît une sorte de fraternité spontanée, celle qui concourt à former un peuple. La médiation de quelques figures y joue un rôle premier, tant il est vrai qu’en dépit de la tendance à l’égalisation, nous avons toujours besoin de héros. Qui donc disait qu’à notre époque ces héros étaient forcément des sportifs dépassant les limites communes (Robert Redeker dans le Figaro du 11 mars) ? A fortiori une navigatrice comme Florence Arthaud dont les traversées des océans ont construit une une des rares épopées de notre temps.

Bien sûr, je pourrais exprimer de graves réserves à propos des fameuses télé-réalités auxquelles nos héros s’associent. Ce mélange des genres suscite le malaise, non seulement en raison des reproches que l’on peut faire à ces divertissements et aux modes d’exploitations qu’ils développent. L’association de nos grandes figures sportives est destinée à renforcer leur puissance imaginaire, en leur conférant un supplément d’âme qui leur est bien étranger.

Mais voilà brusquement que le divertissement tourne à la tragédie, et la tragédie au drame national ! C’est un étrange tour du destin. L’homo festivus brocardé par Philippe Muray comme la figure limite de notre inanité existentielle se transforme en homme des douleurs et se trouve ainsi confronté à sa finitude et à sa mortalité. Pascal y verrait l’illustration même de la vanité du divertissement qu’il dénonçait déjà. Nous sommes transportés d’un ordre à l’autre, de l’ordre du festif à l’ordre dramatique. Le charme est rompu, l’illusion se dissipe et nous voilà confrontés à la grande énigme de la vie. Cette énigme que Florence poursuivait sur les océans et qui s’invite sur tous nos écrans, à l’heure ou nous ne l’attendions pas.

Chronique diffusée sur Radio Notre-Dame le 12 mars 2015.