Le cœur du problème : l'idéologie - France Catholique
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Le cœur du problème : l’idéologie

Traduit par Bernadette Cosyn

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Je me suis demandé pourquoi, si la démocratie est la meilleure forme de gouvernement jamais inventée, elle fait ressortir le pire de nous-mêmes dans sa forme actuelle. En théorie, il ne devrait pas en être ainsi. En théorie, nous devrions, dans cette période électorale, être engagés dans une discussion nationale à propos des difficultés auxquelles nous faisons face. Le mariage est au bord du gouffre et il n’y a jamais eu autant d’enfants grandissant sans père. Qu’avons-nous fait, quoique avec d’excellentes intentions, pour apporter de telles souffrances aux plus vulnérables parmi nous ?

Comment pouvons-nous retracer tous nos errements ? Les salaires de la classe ouvrière stagnent depuis quarante ans. Qu’avons-nous fait, quoique avec d’excellentes intentions, pour les pressurer ainsi ? Pourquoi serait-il mauvais de hausser les épaules et de dire que leur mode de vie appartient au passé ?

Pourquoi diplômons-nous des millions de bacheliers qui ne savent rien de l’héritage occidental en littérature, philosophie, religion et art ? Comment nous sevrons-nous d’hydrocarbures étrangers pendant que nous conservons notre engagement à purifier l’eau et l’air ?

Un spécialiste marié venant d’Irlande peut attendre dix ans l’autorisation d’immigrer aux Etats-Unis, jusqu’à ce qu’il renonce – c’est le cas du frère de mon conseiller financier. Mais des millions de personnes sont ici illégalement ; que faut-il faire qui soit en accord avec la loi, l’équité, la prudence et la miséricorde ?

Le Moyen-Orient mijote dans son pétrole, ses alliances enchevêtrées, ses trahisons et ses haines, tandis que le ressentiment musulman contre les Israéliens prospères et l’Occident culturellement dominant ronge les cœurs de jeunes hommes aspirant à la guerre. Que devrions-nous faire, ou que pouvons-nous faire ?

Nous n’aurons pas ces discussions. La télévision est fort à blâmer, mais elle n’est pas la seule fautive. Je suis persuadé que ce vide où devrait se situer le cœur du problème a un nom : idéologie.

L’idéologie est un ersatz de religion. Elle se rue dans le vide créé quand on n’est plus ouvert au divin. L’un des éléments du folklore des Lumières est que « la religion » est si violente qu’elle doit être tenue à l’écart de la politique, par précaution. Ce folklore a envahi les esprits d’Américains intelligents par ailleurs, et semble une preuve en dépit du témoignage le plus évident de l’histoire, qui nous montre que, l’Islam faisant exception notable, presque toutes les guerres n’ont rien eu à voir avec la religion : les hommes déclarent des guerres pour conquérir un territoire, la gloire, la richesse, par peur, par ambition, par vengeance, goût de l’aventure et soif de sang.

Le danger actuel n’est pas que la religion façonne notre politique – c’est ce que la religion devrait faire, parce que nos intuitions concernant le divin devraient diriger notre façon de traiter l’humain. Je parle ici de façon générale. Le danger actuel est que la religion va être conduite à se cacher dans les caves pendant que les politiques, avec leurs credos idéologiques, endossent les prérogatives de la religion ; et c’est cela, et non la religion, qui a plongé les deux derniers siècles dans un bain de sang.

La maladie est facile à diagnostiquer mais peut-être impossible à traiter sans un miracle divin. Voici les symptômes. Les critères de preuves sont oubliés : l’idéologue « sait » ce qu’il n’a pas la possibilité de connaître, voir l’état d’esprit du président Bush quand il a conclu que l’Irak possédait une cache d’armes dangereuses, ou l’uranium et autres matières nécessaires pour les fabriquer. L’idéologue place la plus mauvaise construction sur les actes de ses opposants, comme lorsque le président Obama a fait la promotion de son plan de santé en sachant très bien que cela échouerait.

L’idéologue attribue les accidents à des fourbes machiavéliques et les erreurs de jugement à une stupidité complète sans voir que chacune des imputations annule l’autre. L’idéologue n’est pas celui qui croit avoir raison : il est celui qui ne peut pas imaginer comment quelqu’un peut faillir à croire exactement comme lui sans être un suppôt de Satan. Il ne s’arrête pas à considérer que lui-même a aussi cru autrement par le passé.

L’idéologue est le fanatique par excellence, qui ne peut pas se représenter l’univers moral de son adversaire mais dont le propre univers moral est unidimensionnel, tel une caricature.

L’idéologue ne peut pas pécher. Tant qu’il professe les opinions « justes », il a les coudées franches pour faire aux autres les choses les plus honteuses ; c’est un diffamateur, un lâche, un tyran ; il se sent dans son bon droit quand il fait perdre son emploi à un adversaire ; il ne pardonne pas, parce qu’il ne pense pas avoir besoin de pardon ; avoir 100% de bonnes réponses au questionnaire idéologique est pour lui l’équivalent de la grâce salvifique de Dieu.

J’ai jusqu’ici dit « il », mais le féminisme a rendu les femmes aussi vulnérables à ce qui historiquement touchait plus fréquemment les hommes. Si difficile qu’il soit pour un homme d’avoir une conversation décente avec un autre homme qui ne partage pas ses idées, cela lui est impossible avec une femme parce que le féminisme s’est lové autour de sa perception de soi, qui est que, si vous ne placez pas Dieu et la famille au centre de votre vie (sans exagérer non plus), peu importe l’image que vous donnez au monde.

Dans nos universités, la grande majorité des tentatives pour museler le droit à la libre parole et à la libre association vient d’idéologues femelles, tellement essoufflées dans leur hâte qu’elles ne peuvent s’arrêter pour envisager que ce qu’elles démontrent réellement, c’est qu’elles ne font pas partie du tout des universités.

L’idéologie est impatiente, désagréable, envieuse, vaniteuse, odieuse, égoïste, susceptible, croyant le pire, se réjouissant de l’iniquité ; furieuse contre la vérité, ne supportant rien ; sans repos, sans réelle foi ou espérance en Dieu.

Quand l’idéologue était enfant, il accueillait le monde avec l’émerveillement d’un enfant, mais maintenant qu’il a grandi en idéologie, il a rejeté les choses de son enfance. Car alors il voyait la vérité indistinctement, comme à travers une vitre, mais maintenant il baigne dans la lumière crue de l’idéologie, et dans cette absence de contraste, tout visage, humain comme divin, s’efface. Donc, pour l’idéologue, trois choses subsistent : la confiance dans l’avenir, une ambition démesurée et la haine ; et la plus caractéristique des trois est la haine.

Anthony Esolen est conférencier, traducteur et écrivain. Il enseigne à Providence College.

Illustration : Martyr dans les catacombes, par Jules Cyrille Cavé, vers 1900 [Art Gallery en Ontario]

Source : https://www.thecatholicthing.org/2016/09/20/the-heart-of-the-matter-ideology/