Le chemin Saint Cuthbert - France Catholique
Edit Template
Van Eyxk, l'art de la dévotion
Edit Template

Le chemin Saint Cuthbert

Traduit par Yves Avril

Copier le lien

Notre époque appelle à des pratiques vigoureuses pour nous sortir de cette « nouvelle normalité » qu’est la joyeuse récolte d’organes de foetus, le mariage gay et le combat militant pour le « gender », et pour nous reconnecter avec la bonne vieille santé normale et simplement humaine. Pour certains, la prière traditionnelle, le jeûne, et l’aumône suffiront, mais à d’autres – parmi lesquels je me compte – il faut des étapes supplémentaires, exigeantes.

Ainsi, bien que je n’aie pas de sang anglais ni écossais, j’ai fait la semaine dernière un pèlerinage sur le chemin Saint Cuthbert, 100 km de campagne accidentée de Melrose (Ecosse) à l’Ile Sainte de Lindisfarne (Angleterre). Le chemin de Saint Cuthbert n’a pas la célébrité du Camino espagnol que j’ai fait l’an dernier et sur lequel j’ai écrit ici même. En fait il a été créé il y a vingt ans environ, en partie pour stimuler le tourisme, mais aussi – de façon intelligente – comme un moyen de préserver quelque chose du passé chrétien de la Grande Bretagne qui pourrait autrement tomber encore davantage dans l’oubli.

Saint Cuthbert (634-687) a fait partie de la première vague d’évangélisation par les moines irlandais qui d’abord gagnèrent l’île d’Iona, puis les frontières de l’Ecosse et le nord de l’Angleterre. Cuthbert est né en Northumbrie et a étudié à l’abbaye de Melrose ; il est mort dans l’Ile Sainte, après avoir vécu saintement, voyageant beaucoup, prêchant, et combattant pratiques magiques et paganisme. Il fut un directeur spirituel renommé et un ermite – aussi bien qu’un prieur, un évêque et un thaumaturge – et le lieu de sa sépulture à Durham a été au Moyen-Âge un lieu de pèlerinage populaire. Bède le Vénérable a écrit une biographie qui représente le vieux Cuthbert comme quelque chose entre saint François et le prophète Isaïe.

Tout au long du chemin Saint-Cuthbert il y a de grandes beautés naturelles et culturelles, mais aussi une certaine mélancolie. Vous partez de Melrose Abbey, aujourd’hui en ruine, et finissez la première journée, après une marche harassante par-dessus de hautes collines, à Drybrugh Abbey, également en ruines, où Walter Scott est enterré. Ensuite un bout de route jusqu’aux restes de la Jedburgh Abbey, encore imposante, bien qu’elle ne serve plus depuis 1850.

De là, il y a de vastes étendues, à habitat clairsemé ; il peut prendre une journée entière de pentes raides et de marche pénible dans du terrain, lourd, pour aller d’un tout petit village à l’autre, sous la menace constante de la pluie et des vents cinglants. C’est bon pour la contemplation et la prière, le détachement des maux de ce temps et le contact direct avec la Création. Mais ce ne l’est pas pour le pusillanime physiquement et émotionnellement.

Le chemin est bien balisé, sauf juste après Cuthbert Cave (où les moines autrefois cachaient leur corps resté intact à l’abri des envahisseurs). La flèche ici se voyait bien. Bien sûr, il ne fallait pas que ce fût quand la pluie frappait le plus fort et quand le brouillard commençait à descendre des collines environnantes rendant la visibilité et l’orientation difficiles. Après quelques erreurs et des essais dans différentes directions – non sans une certaine anxiété, à des heures de tout secours – nous sommes arrivés au-dessus d’une passerelle et au long chemin trempé d’eau qui nous a mené à notre prochain abri.

Cuthbert lui-même doit avoir pris des bouts de cette route car elle suit l’ancienne Voie romaine entre York et Edimbourg construite par Agricola, gouverneur romain et commandant militaire (de 77 à 85) en Bretagne, et beau-père de l’historien Tacite qui a écrit un essai célèbre sur sa vertueuse administration.

Sur cette partie de la route, on trouve une pierre tombale avec une inscription qui évoque une dame guerrière du XVIe siècle qu’on appelle parfois la « Jeanne d’Arc de l’Ecosse »

Lilliard la belle pucelle

repose sous cette pierre ;

de petite taille elle était

mais grande sa réputation

sur les Anglais sots

elle frappait de grands coups

et quand ses jambes furent coupées,

elle combattit sur ses moignons.

Ce n’est pas la seule légende conservée, quelle que soit la vérité. Dans le petit Morebattle, on rappelle encore le Linton Worm, le Ver de Linton, qui désigne un dragon local venu du centre de la terre .

Rien cependant ne dépasse les ruines du monastère de Lindisfarne. Lindisfarne fut pendant 800 ans une communauté florissante, envoyant des missionnaires dans beaucoup de directions, le plus grand nombre à Durham où se dresse maintenant la grande cathédrale. L’île est coupée du continent chaque jour à marée haute. Ainsi depuis le continent vous devez minuter votre traversée si vous ne voulez pas vous retrouver dans les « boîtes de sécurité »

Les ruines d’une chrétienté si vibrante et aujourd’hui disparue vous donne une perspective douce-amère sur notre époque. Les moines de Lindisfarne ont survécu aux raids vikings et aux différentes guerres locales – jusqu’à Henri VIII. Chacun sait que Henri pilla les monastères mais il est triste d’en voir le résultat dans un lieu comme Lindisfarne. Encore cela prouve-t-il que notre situation actuelle n’est pas sans précédents. Les appétits sexuels débridés de Henry et ses ambitions politiques ont détruit un des anciens centres chrétiens. Les indications sur le site ne laissent aucun doute. Mais l’abbaye est vénérée des siècles plus tard. Henri ne l’est pas. Et la chrétienté est vivante.

Et le vieux Cuthbert n’a pas disparu de la scène britannique. Le jour où nous quittions l’Île Sainte, Durham informait de la vandalisation d’un groupe sculpté représentant les moines portant le corps de Cuthbert, actuellement placé hors de la grande cathédrale. Le comité de la cathédrale a décidé de le transporter à l’intérieur . Mais les résidents locaux y objectèrent , l’un d’entre eux disant : « Je ne sais pas pourquoi nous devons placer nos statues à l’intérieur, ce n’est pas elles le problème. Le problème auquel nous avons affaire, ce sont les hooligans. »

Nous avons affaire à bien davantage et à bien pis pour préserver l’héritage chrétien. Mais le corps demeuré intact de Cuthbert, je pense, doit avoir inspiré Walter Scott quand il a écrit :


« Sous leurs yeux le Magicien était là

comme s’il n’avait jamais connu la mort.

Sa barbe blanche était d’argent,

il semblait avoir quelque soixante dix ans.

Il était drapé d’une aumusse

et ceint d’un baudrier d’Espagne,

comme un pèlerin d’au-delà des mers ;

sa main gauche tenait le Livre des Pouvoirs ;

une croix d’argent était dans sa droite ;

la lampe était placée contre son genou ;

altier et majestueux était son regard,

qui avait fait trembler les plus féroces ennemis,

et tout son visage était serein :

ils le savaient, son âme avait reçu la grâce. »

Lundi 20 juillet 2015

Source : http://www.thecatholicthing.org/2015/07/20/st-cuthberts-way/

Photo : Les ruines de l’abbaye de Lindisfarne.